Faux et contrefaçon sur le marché de l’art, en droit ça donne quoi ?
La question du faux et de la contrefaçon occupe et préoccupe les professionnels du marché de l’art, d’autant plus à l’air de la digitalisation où frauder est de plus en plus simple. Alors comment la justice française a-t-elle lutté et lutte-elle toujours contre le marasme du faux et de la contrefaçon sur le marché de l’art ?
Il est important de dissocier les notions de faux et contrefaçon. En droit français, au pénal comme au civil, il existe une dichotomie légale entre les deux pratiques. La contrefaçon correspond à tout acte portant atteinte aux droits de propriété intellectuelle d’un auteur. Le faux correspond quant à lui à une imitation ou une substitution frauduleuse de la signature ou du signe distinctif d’un artiste sur une œuvre d’art.
En 1791, suite à la lutte acharnée de Beaumarchais, la loi française protège pour la première fois les artistes. En effet, après le succès de sa pièce Le Barbier de Séville, Beaumarchais lassé de voir son travail peu reconnu, réunit autour de lui une trentaine d’auteurs lors d’un dîner. Ils ont pour volonté de faire valoir leurs droits et fondent le 3 juillet 1777 la première organisation d’auteurs dramatiques appelée “Bureau de législation dramatique”. Plus tard, en 1791, on parlera du droit de représentation, adopté par l’Assemblée constituante. Cette loi est la première illustration du droit d’auteur comportant une dimension morale et patrimoniale. Mais celle-ci n’est alors qu’un texte s’appliquant aux spectacles. Il faudra attendre 1793 pour que ce texte ait une portée générale. En effet, dans la loi du 19-24 juillet 1793, il est dit dès le premier article que “Les auteurs d’écrits en tout genre, les compositeurs de musique, les peintres et les dessinateurs, qui feront graver des tableaux ou dessins, jouiront durant leur vie entière du droit exclusif de vendre, faire vendre, distribuer, leurs ouvrages dans les territoires de la République et d’en céder la propriété en tout ou en partie.” Ainsi, ce texte de loi consacre un droit aux auteurs pour la durée de leur vie, puis à leurs héritiers pendant cinq ans. En revanche, au vu des distinctions entre faux et contrefaçon évoquées précédemment, cette loi ne protège les artistes que de la contrefaçon et non du faux. En effet, le droit de paternité d’une œuvre par un artiste lui permet d’exiger que sa signature figure sur son œuvre mais ne lui permet pas d’exiger que sa signature soit retirée d’une œuvre qui ne serait pas la sienne.
Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour qu’un scandale fasse office d’élément déclencheur. Alexandre Dumas fils fait alors l’acquisition d’un tableau signé Corot mais en réalité réalisé par Paul-Désiré Trouillebert. Cet artiste fut influencé par le travail de Corot mais sa cote reste bien inférieure à celle du maître. Or, à ce moment de l’Histoire, ni le droit pénal, ni le droit civil, ne permettait de condamner l’usurpateur. Il faudra attendre la IIIe République pour qu’en 1885, le sénateur Agénor Bardoux propose un projet de loi à l’encontre du faux. Cette loi permettra aux auteurs et héritiers d’œuvres graphiques et plastiques d’agir avec l’aide d’un avocat contre la mise en circulation de faux de leurs créations. Ce projet de loi sera accepté en 1895 et deviendra la loi Bardoux, luttant contre la pratique du faux. Mais cette dernière possède néanmoins quelques limites : elle est restreinte à ne protéger que les disciplines de la peinture, sculpture, dessin, gravure et musique, excluant les arts visuels. Aujourd’hui encore, cette loi est en vigueur et demeure inchangée. Or à notre époque plus que jamais, on assiste à l’expansion des arts visuels tels que la photographie ou le cinéma. Cela pousse à envisager une révision de la loi afin de l’ancrer dans le marché de l’art contemporain. De plus, celle-ci ne s’applique que sur les œuvres n’étant pas entrées dans le domaine public.
Ces deux pratiques ne sont pas non plus soumises aux mêmes sanctions. En amont, la contrefaçon fait l’objet d’une saisie-contrefaçon, c’est-à-dire que l’œuvre soupçonnée est immédiatement saisie à son propriétaire. En aval, elle fait l’objet d’une allocation de dommages et intérêts plus une possibilité de destruction de la pièce contrefaite. Quant aux faux, la saisie n’est pas autorisée en amont, la pièce est considérée comme bien commun. En aval, l’œuvre est confisquée et souvent remise au plaignant, la destruction n’est pas obligatoire. Le fait que la destruction d’un faux ne soit pas légalement obligatoire rend d’autant plus difficile l’éradication des faux sur le marché de l’art. En somme, il est indéniable que la peine encourue ne semble pas suffisamment dissuasive. Pour un faux, c’est-à-dire l’apposition d’un nom usurpé, le faussaire encoure deux ans de prison et 75 000 euros d’amende. Pour une contrefaçon, c’est trois ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende. Et enfin pour recel, qu’il s’agisse d’un faux ou d’une contrefaçon, le criminel encoure cinq ans de prison et 375 000 d’amende et le double si le recel s’effectue en bande organisée. Le risque semble donc minime en comparaison des éventuels gains.
En droit français la dissociation entre faux et contrefaçon a longtemps posé problème, non seulement par la différence de traitement mais aussi par la méconnaissance des subtilités liées à la pratique du faux. Les lois en vigueur aujourd’hui correspondent-elles toujours au marché de l’art contemporain ? Les sanctions ne sont-elles pas trop légères ? Et comment éradiquer définitivement cette pratique? Tant de problématiques pour lesquelles professionnels du marché de l’art et professionnels de la justice peinent a solutionner.
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