Fanny Garnichat : “Mes collages sont des créatures hybrides et polymorphes”
Rencontre avec Fanny Garnichat, jeune artiste française qui nous laisse pénétrer, le temps d’une interview, dans son univers du collage. Une artiste aux 1000 projets dans ses tiroirs, qui nous invite au rêve !
Bonjour Fanny, peux-tu nous raconter ton parcours et ses étapes cruciales ?
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu besoin de m’exprimer par différents moyens. L’art fut très tôt un moyen d’y parvenir au-delà des mots. L’étape cruciale fut la fin de mes études. J’ai fait un master de direction artistique en graphisme et communication visuelle. En sortant des cinq années d’école, j’avais emmagasiné énormément de culture visuelle mais j’avais aussi passé beaucoup (trop) de temps derrière un ordinateur et sur des logiciels pour répondre à des commandes corporate. Tout ça manquait cruellement de poésie à mon sens. Je n’étais plus en accord avec ce qui m’était enseigné. J’ai eu besoin de prendre du recul sur tout ça. Le collage a toujours été présent dans ma pratique artistique. Il a été plus que salvateur à ce moment-là de ma vie car il m’a permis une liberté d’imaginaire et un exutoire considérable. J’ai passé plusieurs mois en autarcie, à explorer des continents de formes, en découpant les images qui m’entouraient quotidiennement. C’est devenu viscéral. Cette période a été décisive, elle m’a confirmé que le collage était mon médium et qu’avec lui j’allais pouvoir m’exprimer. C’est à ce moment-là que j’ai trouvé mon écriture visuelle et en même temps découvert le set design. J’ai commencé en assistant un décorateur dont j’adorais l’univers, je voulais travailler avec des personnes qui m’inspiraient. J’ai alors découvert les shootings, les tournages, j’étais sur le terrain, dans l’action, j’ai adoré et j’ai beaucoup appris. Je me suis donc complètement éloignée du graphisme au sens propre du terme, avec le besoin vital d’être dans du concret, du palpable, de sentir les matières, d’associer les couleurs… Aujourd’hui, ces deux pratiques se conjuguent de manière très cohérente dans ma vie : dans les deux cas je construis des images soit avec de l’existant, soit de toute pièce.
Le choix du collage, est-ce un choix de la matière, d’esthétique, ou une orientation spontanée?
C’est les trois à la fois. Le collage est devenu mon langage, ce que je trouve génial c’est qu’il est universel. Et il me permet de mettre en images ce que je ne saurais traduire avec des mots. J’ai beaucoup de plaisir au contact du papier, c’est un matériau sensible et délicat. Le découpage est, quant à lui, un acte franc et définitif qui suppose de savoir se séparer d’une partie des choses et d’en choisir une autre, c’est une pratique très thérapeutique. Mes ciseaux sont devenus le prolongement de ma main, j’esquisse d’ailleurs bien mieux les formes avec eux qu’avec n’importe quel stylo.
Que cherches-tu à retranscrire dans tes œuvres ? Quelles sont tes inspirations ?
Mes collages sont des créatures hybrides et polymorphes, fruits de mon imaginaire et du regard que je porte au(x) monde(s). Mes inspirations sont très variées, ce que j’aime avant tout c’est rêver. Dans mon approche du collage, je questionne l’ambiguïté et l’équilibre fragile de certaines notions : le poétique/le monstrueux, le sensuel/l’écœurant, l’abondance et l’espace… Mon travail reflète ma vision des choses, c’est un mélange de particules concrètes et de peregrinages abstraits. Je travaille avec toutes les images qui m’entourent, aussi bien des magazines de mode que des prospectus de grandes surfaces, j’ai besoin de découper ces images pour faire le tri dans le trop plein environnant, de les déconstruire pour mieux me les approprier. J’aime confronter les mondes et les références que nous pensons avoir de ceux-ci : l’étrange beauté lissée des corps de la publicité et celle des viandes luisantes des catalogues de grandes surfaces, à la fois faites pour nous séduire mais qui nous perdent aussi dans une version retouchée d’une réalité. Il y a des balances comme ça qui sont très fortes de sens pour moi. Je questionne aussi la perte de sens et de poésie au travers de la banalisation des images. Il y a également une grande importance de la couleur dans mon travail et dans ma vie. J’ai un rapport très obsessionnel avec les couleurs, je cherche constamment l’association parfaite. Les couleurs et les textures traduisent mes émotions et m’évoquent tout un monde d’histoires et de souvenirs.
Quelle est ton œuvre préférée et pourquoi ?
C’est difficile à dire… C’est comme demander à un parent lequel de ses enfants il préfère. Chaque collage et série correspond à un temps d’inspiration, d’exploration et de recherche. Les différentes thématiques que j’explore ont leur raison d’être à un moment donné. Je ne dirais pas que j’ai de préférées, j’ai plutôt le sentiment avec certaines de mes œuvres, d’avoir atteint une quête que je m’étais fixée, de sentir que je suis arrivée à un équilibre de composition et de narration que je cherchais.
Comment expliques-tu le choix du plexiglas dans ton travail ?
J’avais besoin d’aller encore plus loin dans mon travail avec le papier, de libérer mes collages de la feuille de fond habituelle, de les mettre en apesanteur totale. Cette série est un hommage au papier, à sa fragilité et aux formes que j’y découpe. Mis sous plexiglas, comme le sont sous verre certains insectes reliques d’un écosystème, pour être mieux observés et gardés, le collage devient objet sacré et curiosité plastique. J’aime le dialogue entre les deux matières : la fragilité évidente du papier et la rigidité du pexiglas. La série de plexiglas est une navigation entre les couleurs, les formes et contre-formes, les ombres et les transparences. Recto verso. La particularité de cette série est qu’elle donne à voir les deux faces du collage : la face, construite et en harmonie chromatique, et le dos, sa construction et la provenance des papiers qui la composent – que je suis habituellement seule à voir. La transparence du plexiglas permet au collage d’être différent selon la surface de fond contre laquelle on l’accroche ou le pose, comme un caméléon qui s’amuse de son environnement. Elle permet aussi d’apprécier l’ombre et la silhouette du collage. Cette multi-dimensions m’intéresse particulièrement. Chaque face a sa beauté et son intérêt mais elles font partie d’une seule et même œuvre. Ici il n’y a pas d’envers ou d’endroit : il y a deux collages et deux mondes qui résonnent.
Quel serait ton projet de rêve ?
Que mon travail me permette de voyager à travers le monde. Y exposer, mener des ateliers, et collaborer avec des artistes internationaux d’horizons et de domaines différents.
Comment te sens-tu dans ton métier d’artiste face au Covid-19 et à l’évolution de la société ?
Je trouve globalement la situation très dure. Le monde est de plus en plus en désordre. Le Covid a chamboulé nos vies, nos équilibres et nos échanges. La société tend vers de la consommation et non de la contemplation, à laquelle s’ajoute la destruction des écosystèmes. Tout ça me fait très peur et me révolte à la fois. J’observe, abasourdie, qu’on nous clôture l’accès à la culture, sous toutes ses formes, au profit de l’ouverture de centres commerciaux, qu’on ne fait rien pour ralentir la destruction de la nature ni de la pollution. Cela en dit long sur le type de chemin que les politiques veulent nous faire prendre… Il ne faut pas rester passif, il faut mettre son énergie dans des idées et des actions qui ont du sens. Pour le reste, heureusement, il nous reste encore nos esprits pour voyager et créer…
Quels sont vos futurs projets ?
De nouvelles séries avec des formats plus grands, des projets en collaboration et des collages animés. Je vais également lier mon travail de set design avec le collage, c’est tout l’intérêt pour moi de travailler dans ces deux domaines, et donc penser des décors en collage et faire davantage de grandes fresques. J’ai plein d’idées… J’ai une exposition prévue à Marseille, qui se reporte malheureusement sans cesse depuis les deux confinements…
Plus d’informations sur le compte Instagram et le eShop / galerie en ligne de Fanny Garnichat.
Propos recueillis par Thaïs Franck
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