Comme des Garçons et Cristóbal Balenciaga – Docks de la Cité de la Mode et du Design
Il faut entrer dans les entrailles du serpent vert des Docks, nouvellement ouvert au public, pour comprendre l’équation qui a pu réunir ces deux visionnaires de la mode.
Quel dialogue aurait pu se dérouler entre Cristóbal Balenciaga et Rei Kawakubo ? Quels rapprochements possibles entre le maître de l’architecture du vêtement, le peintre du noir, inspiré par la mode du XVIIIe, XIXe et XXe siècle et celle qui offre une vision de la mode du XXIème siècle, éthérée, poétique, faisant du blanc et de ses déclinaisons chromatiques, sa principale palette de couleur ?
Les réponses se trouvent dans les deux salles consacrées aux deux créateurs de mode.
Première salle donc : « Cristóbal Balenciaga, collectionneur de modes » ou l’hommage au grand maître de la couture espagnole, disparu il y a quarante ans. Véritable musée imaginaire, ce ne sont pas moins de 63 costumes, accessoires, échantillons de broderie ou de passementerie des XVIIIe, XIXe et XXe siècle, accumulés au fil des ans et ayant influencé le travail de Cristóbal Balenciaga qui sont exposés ici. Ils évoquent l’Espagne des folklores et des traditions, de la religion omniprésente et des spectacles. A ces « mood-boards » ou tableaux d’inspiration viennent s’ajouter les créations du couturier espagnol entre 1937 et 1968 (date de la fermeture de sa maison de couture) : robes, manteaux, capes, chapeaux, ensembles griffés prêtés par la maison Balenciaga ou extraits du fonds du musée. Cette documentation personnelle ne serait rien sans les accessoires, les photos, les croquis, les ouvrages sur l’art et l’histoire du costume (beaucoup de dessins exposés proviennent directement des archives des revues « Les modes parisiennes »). La conclusion s’impose au visiteur : Cristóbal Balenciaga était à la fois un érudit et un artisan de la mode.
Malheureusement, la richesse et le caractère hétéroclite de l’ensemble des pièces ne sont pas mis en valeur par la scénographie adoptée par le musée Galliera. Une présentation froide, clinique, que la présence des compactus (ou mobilier d’archivage) réalisés spécialement par Bruynzeel n’arrivent pas à réchauffer. Et l’éclairage tantôt blafard, tantôt aveuglant comme sous l’effet de néons, ne permet pas de sublimer la magnificence des créations.
Une fois admirée l’intimité créatrice de Cristóbal Balenciaga, il suffit de sortir et d’entrer dans la salle attenante pour arriver dans l’antre de Rei Kawakubo, la créatrice de la griffe Comme des Garçons.
Présentée sous forme d’une installation à base de bulles de plastique transparentes, « White Drama », la dernière collection printemps-été 2012 de Comme des Garçons s’offre aux curieux. Une symphonie en blanc racontant les épisodes de la vie d’une femme, de la naissance, en passant par le mariage, jusqu’à la mort et l’immanence.
Audace, radicalité, délicatesse. Rei Kawakubo décline toutes les variations possibles du blanc pour sublimer des vêtements semblant émerger d’un étrange univers.
Une robe de mariée rappelant le cocon d’une chenille, des chapeaux pointus sortant tout droit d’une procession religieuse, des robes-linceuls prêtes à envelopper une Ophélie des temps modernes, les constructions poétiques de la créatrice de Comme des Garçons atteignent le sublime et touchent au spirituel.
Quant aux matières utilisées, tissus, voiles, à l’aspect opaque ou transparent, au toucher rugueux, soyeux, moutonneux ou cotonneux, à la texture brillante ou mate, elles sont là pour rappeler que loin d’être une couleur monochrome, le blanc s’enrichit d’un millier de nuances.
Seul bémol à cette installation présentant le travail de Rei Kawakubo : l’usage du plastique translucide, déformant, qui empêche parfois le visiteur d’admirer de plus près les créations.
Rei Kawakubo et celui qu’on a surnommé « Le Couturier des couturiers » partagent cette aspiration commune pour la maîtrise du volume, le goût de l’abstraction et la volonté de transformer le noir et le blanc – non couleurs pour certains – en outils à part entière de leur création. Et tous deux se rejoignent dans la radicalité et le refus de transiger avec les diktats des tendances, préférant de loin installer leurs oeuvres dans une intemporalité flirtant avec le génie.
Roxane Ghislaine Pierre
Comme des Garçons, White Drama
Cristóbal Balenciaga, collectionneurs de modes
Jusqu’au 7 octobre 2012
Ouvert tous les jours (sauf lundi et jours fériés), de 10h à 18h
Nocturne le vendredi jusqu’à 20h.
Billet d’entrée groupé pour les 2 expositions :
Plein tarif : 6 € // Tarif réduit : 4,5 € // Tarif jeune (14-26 ans) : 3 €
Gratuit moins de 14 ans
Les Docks – cité de la Mode et du Design
34 quai d’Austerlitz
75013 Paris
M° Gare d’Austerlitz, Quai de la Gare ou Gare de Lyon
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