Eric Pagès, graphiste de la foule
« Je ne me prends pas du tout pour un super-héros. » L’idée de la transition post-adolescence inachevée d’Eric Pagès conviendrait pourtant à sa série de figures mythiques. Mais l’œuvre de l’artiste se révèle diversifiée, structurée et mûrie.
L’essence de sa démarche stylistique débute sur les bancs de la Fac, à l’université d’Aix-en-Provence. Etudiant, il axe sa réflexion sur l’univers des batailles graphiques, en dessinant à la plume et au stylo. C’est le fourmillement de personnages – et leur organisation en différentes ethnies – qui l’intéresse et concentre toute son attention. Encouragé par un professeur, Eric Pagès poursuit dans cette voie et engage le thème de sa maîtrise : la foule.
Au regard de ses premières réalisations apparaît une appréhension évidente envers cette « foule ». Que l’artiste confesse sans ambages : « Au départ, c’est vrai, il y a une forme d’agoraphobie, qui se soigne un peu avec les années. Je n’aime pas trop me retrouver entouré de beaucoup de monde, je ressens alors un sentiment d’angoisse, de crainte ».
Parallèlement, comme une thérapie inconsciente, Eric Pagès se lance dans une série plus figurative. En grand fan de BD et des Comics Marvel des années 1978-1985, il rend hommage à ces super-héros et leurs aventures, avec une inspiration directement puisée dans les souvenirs de son enfance. La reproduction de ces visuels anciens intègre ainsi la marque d’une « innocence passée ». La navigation dans un monde imaginaire s’appuie sur la technique de l’aérographe, qui produit des tableaux lumineux et des effets surnaturels. Grâce à des ajouts de matière, du latex, de la résine ou du plâtre, ces œuvres offrent en outre un certain volume.
Impuissance soudaine
Alors, certes, ces super-héros pourraient formuler l’antithèse de la foule. Par leurs figures messianiques s’échappant de la masse, leurs costumes singuliers ; tout les démarque, leur accorde une véritable identité. Mais les héros de Eric Pagès s’affichent dans des postures affaiblies, des attitudes d’impuissance soudaine. « J’étais dans une période assez sombre. Ces tableaux racontent une partie des mes sentiments de cette époque. Certaines situations ressemblent à mes humeurs du moment c’est assez parlant. Il y a de la peur, de la colère, de l’angoisse », explique-t-il.
Ce constat du héros déchu, blessé, le ramène à une stature humaine. Conscient de ses faiblesses, le « sur-homme » redevient « normal ». Ce qui amène à nouveau le graphiste au thème de la masse globale : « La série des super-héros s’est faite complètement en aparté de la foule ; je me suis rendu compte seulement plus tard que, finalement, je restais dans le thème de la foule ».
Avec ses dernières œuvres, Eric Pagès semble avoir trouvé un moyen de prendre de la hauteur. Ses tableaux de paysages, dans un dénuement complet et une grande intensité picturale, créent un univers fantastique remarquable.
Cyril Masurel
Quelles sont vos racines, réelles ou imaginaires ?
-Elles se trouvent dans l’univers imaginaire. C’est le bonheur que peuvent apporter les BD lorsque l’on est enfant. C’est cet univers incroyable et fort qui transporte tout.
En quoi aimeriez-vous vous réincarner ?
– Pas en chien ! J’y pense souvent car j’ai un chien, mais c’est difficile, c’est une vie à attendre, une vie de dévotion. Pas non plus en super-héros car ce sont des gens peu enviables socialement, à mon avis.
Existe-t-il un espace qui vous inspire ?
– Pleins ! Une scène de spectacle lorsque l’on fait un essai de lumières, qu’il n’y a pas encore de monde. Je suis positionné sur la scène avant de faire un portrait et j’ai l’impression de me préparer pour la bataille.
Quelle place tient la fuite du temps dans votre vie ?
– J’ai appris à relativiser sur ce thème. J’ai 40 ans, c’est un âge charnière. Finalement c’est bien pire avant qu’après. Il faut laisser les choses venir comme elles sont. Et ne pas faire vite car le temps passe. C’est une erreur que j’ai moi-même commise. On se rend vite compte qu’on a tout faux. Il faut laisser faire les choses avec le temps, profiter.
Quelles sont vos obsessions, comment nourrissent-t-elles votre travail ?
– Je n’ai pas trop d’obsessions. A part la foule qui revient, naturellement.
Propos recueillis par Cyril Masurel.
Tout l’univers d’Eric Pagès sur son site : www.commedesartistes.fr
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