Ërell : “Mon style s’apparente à une prolifération artistique urbaine”
À 33 ans, Ërell sème ses motifs géométriques tous autant accessibles qu’énigmatiques dans l’espace urbain. Ses compositions qui évoluent au fil des rues constituent une ode à la nature.
Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
J’ai commencé à pratiquer le graffiti en 2000 et ai continué durant plusieurs années. C’est en 2006, alors que j’étais au lycée, que m’est venue l’idée du motif moléculaire que je n’aurai de cesse de travailler et reproduire jusqu’à aujourd’hui. Après mon baccalauréat en arts appliqués, je me suis formé au métier de designer produit à travers différentes écoles et sensibilités complémentaires : tout d’abord, une école de design industriel, qui m’a appris la rigueur et à concevoir sans toutefois savoir mettre en forme, d’où ma formation en ébénisterie qui m’a offert plus d’autonomie en me permettant de réaliser mes productions artisanales (et qui à ce jour me permet de travailler le bois), et enfin une école d’art et de design dans laquelle j’ai appris à pratiquer la recherche plastique et à réfléchir au sens avant d’aborder les contraintes techniques.
En quoi ce parcours fait-il écho à votre style actuel ?
La transversalité entre art et design, présente tout au long de mon parcours, a nourri ma volonté de passer progressivement du graffiti à une pratique plus protéiforme et multidisciplinaire. Du graffiti, je conserve la signature répétitive, l’automatisme du geste, l’énergie qui transforme la typographie en emblème visuel, en logo. Je puise dans le design l’aspect industriel, mais également les matériaux, les couleurs et les formes. Au fil des années, j’ai réussi à obtenir une forme d’épure du tag pour en conserver l’essence. Mes motifs constituent ainsi un langage universel.
Parallèlement à vos études, vous avez commencé à coller votre fameux motif géométrique dans l’espace urbain.
J’ai commencé par effectuer quelques collages. Toutefois, j’ai réalisé que l’usage de l’adhésif était plus discret que le seau de col. J’ai donc créé un emporte-pièce de la forme de mon motif, puis j’ai investi dans une vieille presse en fonte pour réaliser aujourd’hui moi-même mes stickers, soit 600 en une heure.
En 2015, vous réalisez votre première exposition à la galerie Artistik Rezo.
J’ai ainsi commencé à développer ma pratique d’atelier. Je ne voyais pas d’intérêt à reproduire un simple motif noir sur une toile blanche. J’ai donc travaillé de manière différente, sur divers matériaux et supports qui ont apporté une richesse de couleurs et de textures. J’ai par exemple utilisé une toile en la plongeant dans un bassin d’eau pour y travailler la rouille. Ce qui m’intéresse c’est le côté vivant, organique, de l’ordre de l’accident. Comme les mauvaises herbes qui poussent dans les interstices des rues ou même le graffiti invasif, qui longtemps rejetés, sont aujourd’hui par leur côté naturel ou esthétique davantage réhabilités tant ils font du bien aux citadins.
Comment définiriez-vous votre style pictural ?
Mes modules renvoient à la nature. Tels des organismes vivants, ils se multiplient, prolifèrent, grandissent. Lorsque j’en ai l’occasion, je cherche à inclure des éléments qui font écho à l’architecture, aux matériaux ou couleurs liés aux lieux d’implantation. Cela me permet de m’imprégner des singularités de ces lieux et ainsi de mieux contextualiser mes interventions. Je me sens plus proche du post-graffiti de par ma démarche. Mon style s’apparente ainsi à une “prolifération artistique urbaine”. Via ces motifs, j’ai créé un vocabulaire formel abstrait doté d’une identité forte qui est devenue ma signature. La force de mon travail réside tout autant dans la simplicité de mon motif que dans les compositions infinies qu’il permet.
Avez-vous un message à faire passer à travers vos créations ?
Je ne cherche pas à faire passer de message. Mes interventions urbaines ont pour but de susciter la curiosité des passants.
Et y parvenez-vous ?
Très souvent, lorsque je fais du collage, les passants m’interpellent et cherchent à comprendre ce que je fais, pourquoi je le fais et ce que représente cette forme. Il m’est arrivé lors d’une intervention dans les rues de Marseille de proposer à un homme qu’il “m’aide” à terminer mon collage en choisissant la dernière place du motif sur la composition qu’il observait depuis plusieurs minutes.
Vous créez ainsi des interactions.
Mes compositions sont souvent propices aux rencontres car libres d’interprétation et donc sujettes à discussion. J’ai un jour échangé avec une femme qui y voyait des motifs kabyles lui rappelant les origines de sa grand-mère. Il m’arrive également d’offrir des stickers à des enfants intrigués qui s’amuseront à leur tour à créer des formes. Outre les réactions suscitées, faire évoluer des collages en milieu urbain permet de modifier ponctuellement et de façon éphémère l’environnement des citadins en venant perturber la routine de leur parcours. Il s’agit d’un geste artistique qui, je l’espère, contribuera ainsi à donner envie aux habitants de mieux observer leur environnement et pourquoi pas de s’en emparer à leur tour. Enfin, pour celles et ceux qui ont peu d’occasion d’être confronté.e.s à l’art, mon travail dans la rue constitue un premier contact.
Retrouvez le travail d’Ërell sur son site Internet et son compte Instagram.
Propos recueillis par Annabelle Reichenbach
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