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Entretien avec Philippe Baudelocque, l’artiste de “l’entre-deux”

GAZELLE - Pastel à l'huile - Festival Nasimi, Bakou Azerbaïdjan - 2018 © Philippe Baudelocque

Philippe Baudelocque est un artiste français particulièrement connu pour ses dessins cosmiques à la craie sur fond noir. Son art recèle mille et un sens et paradoxes.

Pourriez-vous nous présenter votre parcours ?

J’ai commencé le graffiti en 1988 ; il s’agissait alors d’un travail de lettrage selon les codes esthétiques du genre. Hormis le lettrage, j’appréciais de travailler dans des lieux désaffectés. En architecture, ces endroits sont appelés des “dents creuses”, à savoir des terrains vagues où il n’y a plus de bâtiments, il n’y reste que les murs. Ces entre-deux de “dents creuses” sont des espaces qui m’ont particulièrement marqué : on est dans la ville mais pas stricto sensu. Ces friches apportent un côté sauvage, non cadré dans la ville. Et je pense qu’elles reflètent bien mon positionnement en tant qu’artiste.

Fusion, Peinture acrylique, Ivry-sur-Seine, mai 2000 © Philippe Baudelocque

Comment définissez-vous justement votre positionnement en tant qu’artiste ?

Si je suis connu pour mes dessins muraux, je ne qualifie pas mon travail d’art urbain. Lorsqu’on parle de street art, cela signifie que l’artiste privilégie la rue ou n’intervient que dans l’espace urbain et ce n’est pas mon cas. J’ai commencé à travailler dans des espaces qui, même s’ils se situaient en ville y échappaient d’une certaine manière et cette position intermédiaire me sied parfaitement encore aujourd’hui. Ma pratique puise dans tous les genres artistiques : arts contemporain et moderne, graffiti, land art, arts classiques, numériques, etc… Je ne vois aucune hiérarchie entre eux : ils m’intéressent tous. Mais je ne travaillerai jamais en utilisant à 100% les ressources d’un seul genre. Les dessins à la craie blanche sur fond noir m’ont fait connaître. Beaucoup d’artistes cherchent à trouver une esthétique qui les rendra identifiables parmi de nombreux autres, je pense avoir réussi. Toutefois, la craie ne constitue pas mon médium de prédilection, celui avec lequel je m’épanouis le plus. J’ai besoin d’autres médiums comme la peinture, la photographie, la sculpture que je travaille également régulièrement.

Entrelac_02 – Peinture numérique – tirage sur papier Rag 310 gr. – 2015 © Philippe Baudelocque

Pourquoi représentez-vous autant d’animaux ?

Je m’intéresse essentiellement à la structure du vivant, aux cellules, aux animaux, aux plantes, aux minéraux et à leurs interactions notamment avec les hommes.

5 – Tirage sur papier Rag 310 gr. – Forêt de Sénart – 2019 © Philippe Baudelocque

Vos dessins revêtent-ils des sens particuliers à déchiffrer au travers des symboles et des motifs géométriques ?

Mes dessins sont conçus comme des mille-feuilles. Ils présentent de nombreux motifs, notamment des étoiles et des figures géométriques, accessibles à tous, sans besoin d’explication. J’attribue des significations à ces dessins mais volontairement je ne vais pas vers le public pour leur expliquer car je pourrais en parler pendant des heures. Et puis je préfère que le public fasse la démarche de venir me voir pour parler d’un élément et laisser chacun se projeter le plus librement possible. Les significations de ces dessins doivent rester ouvertes. Je ne souhaite en aucun cas définir un sens précis que j’enfermerais dans une boîte bien rangée dans l’étagère. Par ailleurs, je ne présente au public des dessins qui ne renvoient qu’à des significations positives. Enfin, de manière générale, j’aime les paradoxes et cela se ressent dans mon travail : créer par exemple avec une craie fragile, des dessins monumentaux.

Vos dessins sont complexes : y réfléchissez-vous longuement avant de passer à la réalisation ?

Je ne me dis pas qu’il faut que je fasse tel tracé pour obtenir tel résultat. J’ai mis au point une manière de travailler qui soit suffisamment flexible afin que je puisse ajouter des symboles sans détruire toute la structure. Ainsi, au fur et à mesure de mes lectures ou de ce que je vois, je peux rajouter un élément, un nouveau symbole, une nouvelle cellule dans un dessin déjà en cours de réalisation.

Qu’en est-il du Projet Lasco au Palais de Tokyo – où vous avez recouvert une cage d’escalier de plusieurs étages de vos dessins – et de vos futurs projets ?

Le Projet Lasco est pour moi un manifeste ou un plan pour tout mon travail à venir qui implique la couleur et le multimédia. Il constitue en effet le plan de la maison que je suis en train de construire sous forme d’extensions de projets mais avec des noms différents du mien. Si mon nom Baudelocque est associé aux dessins en noir et blanc, cette reconnaissance constitue un frein dans les projets sur lesquels je travaille actuellement. Certains souhaiteraient que je reproduise ce type de dessins quand la couleur serait nécessaire ou dans le cas où la surface ne serait pas appropriée. Pour opérer ces changements, j’ai décidé de prendre des pseudonymes qui sont aussi les noms de ces différents projets. J’ai également créé un dispositif pour tous les assembler sans altérer leurs propriétés respectives. Je l’ai nommé “décohérence”. Ni incohérent, ni cohérent. À mes yeux, une cohérence en constante évolution. D’ailleurs, si je devais synthétiser ce que je fais par un mot, j’utiliserais le terme “fusion”, principe qui contient tous les temps et espaces.

Équation de fusion – Pastel à l’huile – Projet Lasco, Palais de Tokyo – 2016 © Philippe Baudelocque

Enfin, je souhaiterais un jour réaliser deux projets en lien avec le devenir de la planète. Le premier serait de créer une peinture monumentale sur la surface lisse d’un barrage, en ce qu’il est lié à l’eau, et le second un gigantesque dessin au sol qui serait lié à la terre. De la même manière que mes dessins cosmiques à la craie légère sont liés … à l’air.

Propos recueillis par Annabelle Reichenbach

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