Entretien avec Debby Barthoux : la peinture figurative en temps de Covid
Alors que la distanciation est de rigueur, la peinture de Debby Barthoux appelle le contact. Entre un désir nostalgique de représenter le corps et la contrainte de peindre d’après visioconférence, la jeune artiste interroge la position de la peinture figurative dans la situation si particulière que nous vivons.
Depuis combien de temps est-ce que tu peins ?
Depuis 10 ans, je pense.
L’intention de représenter a toujours été présente dans ton travail ?
Oui, j’ai tout de suite commencé avec du portrait. J’ai d’abord dessiné des gens, et à partir de là, j’ai évolué vers le médium peinture. C’est surtout avec mon entrée aux Beaux-Arts de Toulouse en 2016 que les choses se sont accentuées. La peinture m’a apportée une autre manière de représenter les corps et surtout, une autre façon de traiter la peau.
Sur Instagram, tu as publié une peinture accompagnée d’une légende dans laquelle tu t’étonnes du fait que le modèle ne porte pas de masque. Comment ce nouveau paramètre influence ton travail ?
Je peignais beaucoup de corps avant le Covid, plus que maintenant. Dans la période actuelle c’est moins évident. Laura est l’une de mes dernières peintures de corps entier. C’est une scène qui se passait dans ma cuisine, saisie sur le vif. Du fait qu’on soit moins proches, qu’on se voit moins, je commence à axer ma pratique autour du visage, du visage sans masque ; chose de plus en plus rare. Là, par exemple, je ne vois que tes épaules, ton visage. C’est à ce genre d’images qu’on a accès en ce moment. Devoir peindre avec des photos ou en visioconférence nous donne un rapport à l’autre qui est complètement différent, c’est certain que ça modifie la manière de représenter.
Il t’arrive souvent de faire des portraits en visioconférence ?
Mes dernières séries n’ont été faites que d’après visio. Ce qui me plaît pas mal finalement, car ça m’a menée à intégrer le paramètre écran. Mes visages sont assez pâles, lissés par la peinture à l’huile. J’essaye d’accentuer l’aspect artificiel de l’image pour qu’on sente qu’elle n’est pas réalisée d’après modèle vivant mais à partir d’un écran d’ordinateur ou de téléphone.
D’un autre côté, il y a dans ta série Écrans la volonté de déjouer cette surface inévitablement lisse, quitte à en détruire la lisibilité…
Oui, j’ai débuté cette série assez récemment, précisément à la fin de l’année dernière. Ce sont des photos ou des conversations en visio que j’ai screenées, avant de venir les retravailler à l’aide d’une photocopieuse. Il y a bien un élément de figuration au départ, mais il finit enseveli sous différentes strates de matière. Le rendu est assez opposé à ce que je peux produire en portrait. Les corps disparaissent complètement, on ne voit plus que des trames et des traces d’images. Je peux coller l’une sur l’autre entre trois et quatre images intercalées avec du Plexiglas. C’est une peinture plus frontale, plus matérielle.
La palette de couleur que tu utilises est ambivalente. On peut y lire un gris triste, ou une couleur plus douce évoquant davantage la nostalgie. Qu’est-ce que cette gamme de couleurs symbolise pour toi ?
Ma palette a surtout dérivé cette année, en lien avec mes interrogations sur la communication par les écrans. Je cherche des lumières ternes, violettes, peu naturelles. En ce moment le bleu domine beaucoup, mais ce n’est pas que le bleu des leds, c’est aussi une présence sous-jacente de la mer qui reste évoquée comme un appel à l’évasion.
Les couleurs que j’utilisais quand j’étais plus jeune étaient davantage sombres, noires ou grises comme tu dis. C’étaient des images que je créais de toute pièce, sans modèle, en rapport à mon imaginaire. Aujourd’hui encore les visages que je peins restent assez pâles, ils sourient ou rigolent peu, c’est assez stoïque, figé. L’obscurité de ma palette a évolué vers autre chose, ces attitudes réservées notamment.
L’un des derniers autoportraits que tu as peins, Paris, s’inscrit dans une mise en scène très contemporaine d’after qui finit aux toilettes. Il me rappelle un autre de tes tableaux, Contact, qui met lui aussi en scène un moment de soirée. Est-ce que cela a une importance particulière pour toi d’enregistrer le réel contemporain ?
Mon travail s’attache beaucoup à ces petites scènes, dans une cuisine, dans une soirée, dans une chambre. Il y a un rapport à la mémoire du quotidien qui est assez important. Ça m’a toujours intéressée de représenter des moments simples de soirées qui sont finalement devenus des moments exceptionnels. Je suis contente d’avoir pu les peindre quand il en était encore temps.
On pourrait penser que les artistes ont plus de temps devant eux en ce moment, mais au contraire, il y a moins de choses qui entrent, donc moins de matière pour créer…
Ça casse le cliché de l’artiste peintre seul au monde dans sa tour et qui travaille toute la journée sans voir personne. Cette image est fausse. L’artiste et le peintre ont besoin de voir des gens, d’être en contact, de vivre des situations un peu folles pour nourrir leur travail. Personnellement, j’ai de plus en plus de mal à peindre maintenant que je sors moins. Je sais que j’aime réaliser une peinture à partir d’une simple phrase, un mot parfois suffit, quelqu’un bourré qui balance un truc poétique. Ce sont des choses que je notais. Les échanges font donc partie intégrante de mes peintures. Maintenant que j’ai moins d’échange (moins d’échange avec les gens bourrés), c’est plus compliqué. Après, ça fait évoluer ma peinture vers de nouveaux axes donc ce n’est pas plus mal.
Cette idée de l’artiste à l’écoute du monde immédiat qui l’entoure est intéressante. Le fait que des gens comme toi, ou récemment Nicolas Mathieu en littérature, investissent le contemporain permet à notre génération d’avoir un lieu où se projeter dans l’art, hors du rap ou autre médiums dominants dans ce ce registre là.
Oui c’est bien qu’on s’empare du registre du quotidien. La peinture reste malgré tout un art protégé. Il y a toujours ce poids de l’histoire de l’art héritée. Il faut peindre mais uniquement des sujets importants. On n’est plus à l’époque où on ne pouvait peindre que les sujets mythologiques ou religieux mais il faut quand même que ce soit sérieux. Moi je trouve que les sujets qui parlent à toute une génération ce sont ceux là. Ma dernière peinture c’est un geste banal, c’est la situation de tout le monde : “M’endormir à la lumière bleue de mon écran”.
Je m’inspire beaucoup de la photographie, surtout celle de rue, et je trouve qu’elle parvient très bien à rendre sacrées des scènes a priori sans importance. Un gars qui mange un hamburger au coin d’une rue peut prendre les mêmes proportions qu’une peinture de la Renaissance. C’est ce que je veux retrouver dans la peinture figurative contemporaine.
Il y a un enjeu humain dans la figuration dont tu parles.
Le rapport avec l’autre était déjà compliqué, les nouvelles technologies ne sont pas arrivées cette année, skype n’est pas si récent, mais la crise du Covid a accentué les problématiques inter-humaines disons. Il va être de plus en plus difficile de se voir, de communiquer, et dans ce cadre, la figuration peut devenir un enjeu politique.
Est-ce qu’il y a des artistes qui t’inspirent plus particulièrement en ce moment ?
Le travail de Chloe Wise, une artiste américaine, m’intéresse pas mal. Mais les grands loves de ma peinture restent Marlene Dumas, Robert Rauschenberg et Sigmar Polke. Ces trois références m’ont fait aimer la peinture, la sérigraphie, l’usage des photos au départ de la peinture.
Tes prochains projets seront dans la continuité de ce que tu fais déjà ?
Je trouve de plus en plus intéressant de mettre en relation mes peintures avec des sculptures. J’avais un projet d’exposition avec une amie de Londres, Iris Garagnoux, qui réalise des sculptures très organiques, qui rappellent la chair et l’intérieur de l’être humain. Mais ça a été stoppé… c’est un peu frustrant, donc pour l’instant, je ne me projette pas trop sur ces collaborations, je continue à peindre à l’atelier maintenant que je peux y retourner. Je vais surtout continuer de développer la série Ecrans sur des formats plus grands.
Le travail de Debby Barthoux est à suivre sur son compte Instagram.
Propos recueillis par Alexandre Parodi
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