Eléonore M : “Lorsque je dessine, mon esprit est comme détaché de mon corps”
Rencontre avec une artiste illustratrice et photographe lyonnaise. Eléonore M nous invite à découvrir son univers artistique, teinté de douceur et de mélancolie, ancré dans un héritage familial.
Parle-nous un peu de toi, peux-tu te présenter ? D’où viens-tu ?
Je m’appelle Eléonore, je suis illustratrice et photographe. J’ai passé mon enfance entre les forêts de Chartreuse, les montagnes, la musique et les livres d’art. La création est au cœur de mon quotidien, et depuis toute petite, elle occupe une place vitale.
À quel âge as-tu débuté le dessin ?
J’ai commencé le dessin très tôt, je viens d’une famille d’artistes où le goût pour l’art et la création se transmet de génération en génération. Grâce à ma mère qui est elle-même artiste peintre, j’ai développé une grande passion pour l’art et j’ai rapidement choisi le dessin comme moyen d’expression. Nous avons eu une éducation très riche artistiquement. Au-delà de la technique et des livres d’art, mes parents nous ont toujours invités à observer ce qui nous entoure, à être sensibles au monde et aux multiples détails qui le composent. C’était une véritable éducation à la contemplation mystique. Et le dessin est simplement une forme de contemplation.
Tu travailles également la photographie, est-ce une passion qui s’est développée ultérieurement, tel un prolongement du dessin ?
La photographie est en effet venue plus tardivement, non pas comme une suite au dessin, mais comme un complément. En fait, c’est plutôt une forme de prolongement de mon goût pour la peinture (Moyen-Âge, Renaissance et XIXe siècle). J’ai grandi au milieu des reproductions de Friedrich, Turner, Giotto, Botticelli, Rossetti ou encore celles des peintures flamandes du XVIIe, fascinée par ces compositions florales riches en couleurs et en symboles. J’ai fait également des études d’Histoire – Histoire de l’Art où j’ai pu approfondir mon goût pour ces périodes artistiques et pour la photographie d’Art.
La création d’une mise scène et d’un décor autour d’un sujet est une aussi grande passion que le dessin, et j’aime tout particulièrement recréer dans mes photographies un esprit pictural et une atmosphère mystérieuse propre à ces natures mortes du XVIIe siècle. Par là, je maintiens un lien avec l’art floral qui fut une partie de mon activité pendant quelques temps. J’aime voir dans les fleurs non pas l’expression naïve de la joie ou du bonheur, mais bien le réceptacle de la Création, le symbole de l’éphémère, de la beauté inaccessible, du mystère et du sublime…
Quelles ont été tes inspirations ?
Et bien la peinture principalement. Je l’ai mentionné précédemment, mais les peintures du Moyen-Âge, de la Renaissance et du XIXe siècle sont un grand sujet de prédilection. Je suis également fascinée par la pureté des traits et des formes des sculptures gréco-romaines. J’ai découvert l’Antiquité par le biais de l’histoire, et c’est une période fascinante artistiquement.
J’ai également une grande passion pour la gravure, que j’ai héritée de mon grand-père éditeur et graveur. La précision des traits, la minutie avec laquelle sont réalisés ces détails, si précis… et la beauté du papier, le toucher singulier d’un Vélin d’Arches… les gravures d’Albrecht Dürer me laissent sans voix autant qu’une peinture de Botticelli.
Enfin je suis une grande sensible à la musique. Elle apporte le son à ces peintures que j’aime tant. La musique est omniprésente, autant dans ma vie que dans mes moments de création. Sans grand étonnement, la musique que j’aime et celle qui correspond aux époques artistiques que j’apprécie. J’y ajouterai néanmoins la musique folk qui me transporte à chaque fois.
Tu travailles beaucoup de supports différents, papiers, tissus, avec des outils et techniques variés, variant couleurs et noir et blanc. Peux-tu nous parler de tes procédés et de tes méthodes ?
Oui en effet j’aime beaucoup tester de nouvelles matières, c’est toujours très excitant et stimulant ! Ce qui est passionnant dans le dessin, c’est qu’il peut recouvrir de multiples supports qui ont chacun une histoire. Le papier est un support très noble, que j’ai découvert par le biais de mon grand-père. Lorsque je touche du papier, j’ai la sensation de m’inscrire dans une histoire familiale, mais aussi dans une histoire plus large qui regroupe des artisans aux savoir-faire ancestraux, des artistes, des enlumineurs… Le Vélin d’Arches est mon papier de prédilection, et je ne dessine aujourd’hui que sur celui-ci. C’est comme une partie de moi ! Le papier m’inspire le trait fin, précis, noir. J’y ajoute un peu de doré. Mais c’est un support qui pour l’instant dans mon travail ne supporte que le noir et le doré (et le blanc). J’ai du mal à travailler la couleur sur le papier, je trouve le rendu toujours décevant à part de rares exceptions. C’est mon côté perfectionniste !
En revanche, lorsque j’imagine un dessin pour un tissu, c’est toute autre chose. J’imagine un velours soyeux, un coton doux… je visualise d’anciennes tapisseries, des tissus décoratifs. Etudiante, j’ai passé beaucoup d’heures au Musées des Tissus et Arts Décoratifs de Lyon. Je suis tombée amoureuse de tous ces motifs colorés, du travail impressionnant du fil de broderie, et la beauté des formes assemblées entre elles. Ces tissus racontent chacun une histoire. Lorsque je dessine des motifs pour les tissus, je crée toujours le dessin à l’encre noir sur papier. Puis je travaille les couleurs sur Illustrator. Il m’arrive souvent de créer des mélanges de peintures ou d’encre sur papier, de numériser le rendu et d’utiliser la couleur ensuite sur l’ordinateur.
Dans tes dessins, on retrouve souvent des figures féminines, très fleuries, aux allures de statues grecques. À mi-chemin entre la mythologie et le monde contemporain, est-ce un désir de ta part de rendre hommage à la beauté et la force des femmes à tout âge ?
À l’origine ce n’était pas une volonté consciente. À vrai dire, lorsque je dessine, je ne choisis pas vraiment à l’avance, il n’y pas de schémas précis et méthodiques dans ma tête. En revanche, des images m’habitent : des sons, des couleurs, des impressions. Tout cela crée un imaginaire très présent qui se matérialise dans le dessin. La femme en fait effectivement partie. Et en effet, j’aime partager une vision de la femme belle et forte à la fois, fascinante et mystérieuse, sauvage et raffinée… C’est important pour moi de partager dans mon art des valeurs qui me correspondent.
De tes dessins semble se dégager beaucoup de douceur et de mélancolie. Quelles sont les émotions qui t’habitent et te portent lors de la création ?
La mélancolie est un terme très juste, car je suis de nature mélancolique. C’est une émotion très forte et poétique et très inspirante artistiquement. Cependant, je ne vois pas la mélancolie comme un état de tristesse ou de dépression. Je vois cela plutôt comme une forme de contemplation, une impression vague de tristesse mais de beauté à la fois. Une forme de “sublime” que l’on peut retrouver justement dans les natures mortes. Les fruits et les fleurs se meurent, et pourtant c’est d’une beauté incroyable. J’aime la musique aux sonorités nostalgiques, et flamboyantes à la fois. J’aime les visages au regard rêveur, parfois perdus dans le ciel. Ce sont ces émotions qui caractérisent mon imaginaire. Pourtant, cela ne veut pas dire que je le suis au quotidien. Lorsque je crée, je rentre dans mon jardin secret, dans cette petite bulle intérieure. Cette bulle est en effet teintée de mélancolie. Mais je peux sortir très rapidement de cet état de presque méditation, et retrouver le pétillant de ma joie de vivre !
Peux-tu nous parler un peu plus de ta collaboration aux allures de cabinet de curiosités avec Bestioles Paris ?
Cela faisait depuis quelques temps que nous nous suivions mutuellement. J’ai toujours aimé les choses étranges et curieuses, et encore une fois j’ai été marquée par mon grand-père qui possède une collection impressionnante de petites bestioles et insectes dans sa galerie. C’est une passion qui s’inscrit une nouvelle fois dans des époques historiques et artistiques que j’apprécie. Le cabinet de curiosités recouvre beaucoup d’éléments qui m’inspirent et me passionnent au quotidien ! Lorsque nous avons eu l’idée d’une collaboration avec Bestioles Paris, je voulais absolument recréer cet univers de cabinet de curiosités que l’on ne retrouve pas dans son travail car elle a su apporter une belle touche de modernité aux papillons sous cadre.
As-tu d’autres projets à venir ?
Oh oui ! J’ai toujours de multiples idées dans mon esprit !
Le confinement est-il riche en création ou davantage un temps de repli et de réflexion pour toi ?
Les deux ! La création est pour moi une forme de repli et de réflexion. Lorsque je dessine, mon esprit est comme détaché de mon corps, et je suis dans une sphère hors d’atteinte. Je le disais, le dessin est pour moi une forme de méditation !
C’est d’ailleurs grâce au premier confinement que j’ai mis en place ce tournant dans mon travail en arrêtant l’art floral pour me consacrer au dessin. Ce second “confinement” vient confirmer ces choix.
Pour finir, as-tu une musique qui pourrait englober ton travail et ton univers ?
C’est une question extrêmement difficile car j’aime tellement de musiques ! Mais je suis tout de même particulièrement sensible au Cum Dederit de Vivaldi, notamment la version de Armand Amar et Sandrine Piau.
Propos recueillis par Claire Pinault
Plus d’informations sur Eléonore M à retrouver sur son site internet et compte Instagram.
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