0 Shares 1665 Views

Elena Majecki : “Pour moi la photographie c’est pousser ma créativité toujours plus loin”

Elena Majecki

Elena, photographe basée à Bruxelles, aime prendre des photos d’artistes à l’argentique, l’énergie des autres est son moteur. Dans son travail ses photos sont souvent imparfaites, parfois floues mais racontent toujours une histoire. Photographe intègre, qui ne déroge pas à ses valeurs, elle a une vision précise de ce qu’elle veut.

Quel est ton parcours ?

J’ai fait une année d’UNIF en communication politique après mon Bac et ensuite j’ai fait une année d’école en communication audiovisuelle. Après ça, j’ai arrêté mes études et je me suis mise à travailler dans le domaine de la restauration pendant un an tout en continuant de travailler la photo, au Botanique depuis septembre 2020 ou des portraits d’artistes pour les Volta Sessions. J’ai également réalisé des piges pour des magazines (Vice Belgique, RedBull Musique…) où je faisais des articles liés à la musique.

Depuis combien de temps pratiques-tu la photographie ?

Ça fait 6 ans maintenant, j’ai commencé à partir de Noël 2015 après avoir eu mon premier appareil photo. Sinon de façon plus sérieuse, ça fait 3 ou 4 ans, à partir du moment où je suis arrivée à Bruxelles.

Comment es-tu venue à pratiquer la photographie de façon plus sérieuse ?

J’ai toujours été attirée par l’art, j’avais pris des cours de dessin quand j’étais petite et j’avais trop aimé la vibe de l’atelier mais je suis très nulle en dessin. Après j’ai fait de la guitare mais j’étais très nulle. Sinon côté visuel j’ai toujours aimé les belles photos mais c’est quand j’ai eu mon premier appareil photo que j’ai eu un déclic, j’ai su que c’était la photographie qui était la pratique artistique qui me correspondait le mieux.

C’est surtout grâce à mon entourage que j’ai décidé de poursuivre dans cette voie en particulier. Je ne suis pas née dans un milieu où être artiste est possible mais j’ai des potes qui m’ont soutenu, en étant à Bruxelles et en grandissant je me suis rendue compte qu’il y avait pleins de types de photographies différentes et pas seulement que la photo de mode. Petit à petit je me suis frayée mon chemin et à partir du moment où j’ai compris que c’était ce que je voulais faire, je me suis lancée !

En quoi Bruxelles est une ville intéressante pour s’épanouir en tant que photographe ?

Bruxelles c’est cool parce que quand tu commences il y a pleins d’écoles différentes qui sont abordables et chaque école correspond à un type de photo différente : documentation, plastique… Après en tant que jeune c’est intéressant parce que c’est une petite ville donc ton réseau se développe assez vite et il n’y a pas de prétention dans ce que tu es et dans ce que tu fais. Il y a beaucoup de personnes qui travaillent dans des bars et qui font de l’art à côté, tu n’es pas seule à faire de l’art, beaucoup de monde en fait. Du coup tout le monde va t’encourager à en faire aussi, à ton rythme et il n’y a pas cette honte qu’il peut y avoir à Paris de dire que tu es un artiste mais que tu travailles aussi à côté.

Tu fais des photos de concerts, des portraits et des paysages, qu’est-ce que tu préfères ?

Les photos de concerts et les portraits. Ce que je préfère de façon très technique c’est la photo documentaire parce que tu peux travailler des thèmes sur le long terme et c’est vraiment quelque chose vers lequel j’aspire, de pouvoir travailler longtemps avec les artistes avec lesquels je collabore. Comme Ana Diaz par exemple, j’ai déjà travaillé plusieurs fois avec elle, du coup tu peux voir une réelle évolution dans ton travail et je trouve ça plus intéressant.

Dans les photos de concerts, l’énergie des gens impacte beaucoup sur ce que je suis et ce que je fais, du coup c’est mélanger deux choses que j’aime : la musique et les photos de personnes.

Lous and the yakuza at Bar du matin, summer 2018

Quel type de photo préfères-tu : argentique ou numérique ?

Argentique direct ! Je n’aime pas quand c’est trop beau, trop parfait. Ce sont plus les techniques anciennes des photos qui m’intéressent. Parfois pendant des concerts je switch entre l’argentique et le numérique. Ça dépend aussi des situations et du travail qu’on me donne à faire, quand tu n’es pas payée beaucoup tu ne peux pas te permettre de faire que de l’argentique.

Quel concert as-tu préféré shooter ?

La question est trop dure (rires) ! J’hésite entre Hubert Lenoir parce que ça n’était pas prévu que je le prenne en photo. Ce soir-là, je shootais Lolo Zouaï au Botanique mais son set s’est terminé plus tôt que prévu donc je suis allée dans l’autre salle où il y avait Hubert Lenoir. C’était la fin de son concert, il y avait une énergie dingue dans la salle et il se passait quelque chose entre lui et le public. J’ai utilisé une pellicule entière parce que ça faisait longtemps que je n’avais pas ressenti une énergie aussi incroyable à un concert.

Sinon il y a eu la release party d’Ana Diaz qui m’a marqué. C’était à la fin de ma première année de travail et je sentais que j’avais franchis un cap, que je savais ce que je faisais quand je prenais des photos.

Quelle est la photo préférée que tu as prise ?

C’est une photo que j’ai prise à la release party d’Ana Diaz. J’avais fait des doubles expositions, ça veut dire que je shoot ma pellicule deux fois, mais il y a toujours des fois où ça fait des trucs fucked up mais c’est ce que j’aime justement. Cette photo en particulier, tu peux la lire de 3 façons différentes si tu la tournes, en réalité je ne sais même pas comment j’ai fait ça mais je trouve ça dingue !

Quelle est ta photo préférée prise par un.e autre artiste ?

Ça aussi c’est trop dur (rires). Je vais t’en donner deux sinon c’est trop difficile !

La première c’est une série de photos sur le groupe de rock espagnol Hinds, prises par la photographe américaine CJ Harvey, qui shoot uniquement à l’argentique. Elle avait suivi Hinds en tournée avec un autre groupe de rock et je trouve que la manière dont elle a documenté leur tournée est vraiment folle. De plus, le regard qu’elle porte sur les filles est très intéressant, il n’y a pas ce male gaze, c’est un truc très rock and roll.

Sinon le deuxième c’est Jono White, un photographe anglais qui est le photographe de Wolf Alice. J’ai toujours apprécié son travail, facilement identifiable parce qu’il a son propre style. J’aime aussi beaucoup ce qu’il fait dans son travail plus personnel et la vision qu’il a du corps. Ce qui me plaît c’est que ses photos sont toujours très vraies, sans superficialité ou artifice.

C’est quelque chose que tu aimerais faire, partir en tournée avec un artiste ?

Oui et non. Il faut que ce soit quelqu’un avec qui ça match pour que ça soit intéressant. Après en tournée ce n’est pas que du fun, c’est très fatigant et émotionnellement ce n’est pas toujours facile d’être loin de chez soi. Mais j’aimerais connaitre l’impact que ça aurait sur ma créativité et sur moi. Ça doit être une bonne expérience de travail dans tous les cas.

Quelles sont tes inspirations ?

La vie ! (rires) L’énergie des gens que je rencontre me touche et me motive énormément. De façon visuelle et plus technique, j’aime beaucoup les artistes qui dépassent l’esthétique Instagram, très pop. Par exemple, je trouve ça très intéressant que Jono White utilise des grands angles pour ses photos. C’est grâce à lui que j’ai appris que c’était acceptable de faire des photos floues. Les artistes qui m’inspirent sont ceux qui m’ont permis de déconstruire les vieux standards de la photo, selon lesquels une photo doit être cadrée comme ça et pas autrement. Ceux qui poussent leur créativité plus loin et qui sortent de la norme en l’assumant.

Qu’est-ce que t’as apporté la photographie ?

Ça m’a apporté une façon de m’exprimer, pouvoir montrer comment moi je vois le monde. Ce n’est jamais tout propre, tout lisse mais c’est vraiment la façon dont je vois les choses.

Quelles personnes ont eu un impact dans ton parcours ?

Ma meilleure pote et toutes les personnes de mon entourage qui m’ont encouragé. Mais aussi toutes les personnes qui ont croisé mon chemin et qui ont cru en moi. Par exemple, Blu Samu m’a fait confiance pour shooter son concert à Paris et c’était dingue ! En ce moment aussi, le travail que je fais pour Volta, l’équipe aime beaucoup mes photos et ils me le disent donc forcément ça me fait plaisir, ça me fait avancer et ça me donne confiance dans mon travail.

Pourquoi est-ce si important pour toi de photographier des femmes qui font de la musique ?

C’est quelque chose que j’ai commencé lorsque j’ai débuté la photographie, parce que j’écoutais beaucoup de femmes artistes et c’était naturel pour moi de les photographier. Après de façon plus technique les femmes sont souvent hyper sexualisées, de façon sociologique le male gaze c’est quelque chose que tu vois trop souvent et qui m’a toujours énervé.

Lolo Zouai at @botanique_bxl

Est-ce que t’aimerais faire de la photographie ton métier à plein temps ?

Aujourd’hui je ne vis pas de la photographie mais c’est parce que je n’ai pas envie d’en vivre, c’est un choix que j’ai fait. Je suis très partisane du fait que si tu veux vivre de quelque chose tu peux, mais souvent tu dois être prêt à faire certains sacrifices professionnels ou artistiques. Mais moi ce n’est pas quelque chose que j’ai envie de faire, je n’ai pas envie de faire des photos en studio avec des fonds blancs parce que je trouve que ça n’apporte rien. Après avec le temps, j’aimerais bien trouver un travail alimentaire plus en lien avec une activité artistique. Mais si je ne vis jamais à plein temps de ma photo je le vivrais pas mal, parce que ça voudra dire que je serai restée fidèle à moi-même et à mes principes.

Je ne suis pas prête à travailler avec tout le monde non plus. J’ai travaillé avec un groupe de rap et ensuite j’ai appris qu’ils avaient fait des trucs pas cool donc j’ai décidé de supprimer mes photos et de ne plus travailler avec eux, même si ça pourrait m’apporter de l’argent ou de la visibilité.

Quels artistes rêverais-tu de shooter ?

Charli XCX et PNL. De façon générale j’aime travailler avec des petits artistes indépendants qui ont une idée très précise de ce qu’ils font et qui justement ne font pas de compromis dans leur musique et restent fidèles à eux-mêmes. Toute cette scène Queer qui est en avance de son temps comme Lala &ce par exemple.

Quels sont tes futurs projets ?

On ouvre un atelier d’art en non-mixité, donc sans mecs cis hétéro, avec six personnes de Bruxelles qui font tous des choses différentes, que ce soit de la peinture ou du tatouage. Je vais donc en profiter pour expérimenter tout ce qui me passe par la tête. Sinon je travaille avec le Volta sur les Volta Sessions, c’est super enrichissant et ça me permet de découvrir de nouveaux artistes à chaque fois.

Retrouvez le travail d’Elena sur son compte Instagram

Propos recueillis par Eléna Le Gall Marchetti

Articles liés

“Riding on a cloud” un récit émouvant à La Commune
Agenda
121 vues

“Riding on a cloud” un récit émouvant à La Commune

A dix-sept ans, Yasser, le frère de Rabih Mroué, subit une blessure qui le contraint à réapprendre à parler. C’est lui qui nous fait face sur scène. Ce questionnement de la représentation et des limites entre fiction et documentaire...

“Des maquereaux pour la sirène” au théâtre La Croisée des Chemins
Agenda
109 vues

“Des maquereaux pour la sirène” au théâtre La Croisée des Chemins

Victor l’a quittée. Ils vivaient une histoire d’amour fusionnelle depuis deux ans. Ce n’était pas toujours très beau, c’était parfois violent, mais elle était sûre d’une chose, il ne la quitterait jamais. Elle transformait chaque nouvelle marque qu’il infligeait...

La Croisée des Chemins dévoile le spectacle musical “Et les femmes poètes ?”
Agenda
108 vues

La Croisée des Chemins dévoile le spectacle musical “Et les femmes poètes ?”

Raconter la vie d’une femme dans sa poésie propre, de l’enfance à l’âge adulte. En découvrir la trame, en dérouler le fil. Les mains féminines ont beaucoup tissé, brodé, cousu mais elles ont aussi écrit ! Alors, place à leurs...