Édouard Mazel : “Le métier de galeriste, c’est rebondir, être un couteau suisse”
Rencontre avec Édouard Mazel, l’un des fondateurs de la Mazel Galerie à Bruxelles. Une galerie qui s’illustre par son caractère familial et son univers street art, mais pas que.
Pourriez-vous nous raconter brièvement l’histoire de votre galerie ?
C’est une galerie familiale. Mes parents étaient marchands à Paris depuis plusieurs années, c’est une situation qui ne leur convenait plus, ils voulaient pouvoir soutenir et aider les artistes, faire des expositions, un catalogue, des foires, etc. Pour cela, il faut forcément une galerie. Ce fut la naissance et la genèse du projet. Puis, ma sœur et moi, nous avons commencé à grandir et il est devenu envisageable de collaborer avec eux. Comme nous avons généralement du mal à faire les choses à moitié, nous voulions un grand lieu, nous étions très ambitieux pour notre projet et nos artistes. À Paris, un grand espace est impensable, donc c’est à partir de là que Bruxelles est apparu comme la solution idéale.
Quelle est la ligne de conduite artistique de votre galerie ?
C’est très simple, on expose ce que l’on aime. Pour nous, c’est plus simple, c’est un métier de passion. On aime autant le design, la sculpture, la peinture, le dessin, la photographie et le street art. On ne voulait surtout pas se limiter à un registre, à un médium spécifique. Depuis quelques années, on a de plus en plus d’artistes street art mais pas pour suivre une mouvance, il se trouve que ce sont les artistes que l’on rencontre et pour lesquels on a eu des coups de cœur. On mélange des artistes très institutionnels comme Vincent Corpet et Stéphane Pencréac’h à des artistes comme C215 et Levalet. Si l’on doit donner une ligne directrice à notre galerie, nous, ce que l’on aime à tout prix c’est avoir un art accessible. L’une des raisons de la popularité du street art aujourd’hui est que par définition, il s’agit d’un art accessible et qui parle à tout le monde.
Pourriez-vous nous parler d’un artiste représenté par votre galerie ?
On a eu une très belle exposition avec C215, “Le monde de C215”, qui était une exposition exclusivement sur des cartes scolaires anciennes Vidal Lablache. Nous avons fait le travail de chiner les cartes, ce qui, l’air de rien, n’est pas facile. En effet, de plus en plus de gens commencent à les acheter pour les avoir en décoration chez eux. Nous avons monté une exposition très spéciale avec une narration, un univers, qui est plus que du street art, c’est de la peinture. On a réussi à vendre des œuvres à des collectionneurs qui n’avaient jamais envisagé acheter du street art. C’est à partir de là que l’on considère faire notre métier de galeriste.
Quel est l’intérêt de vos participations à des foires ?
Il est double. Le côté positif, c’est que forcément une foire rassemble un grand nombre de visiteurs, il faut pratiquement une vie pour espérer voir autant de visiteurs dans sa galerie. Le deuxième intérêt, c’est que les foires sont une manière d’internationaliser la galerie et ses artistes. Faire 300 ou 400 km nous ouvre un marché entier. Malheureusement, les foires s’intensifient un peu trop. Cela a une tendance à émietter la proposition, à trop correspondre peut-être à notre mauvaise évolution où l’on veut tout, tout de suite. Il y a donc aussi un peu un phénomène de désertification des galeries. On ne peut pas leur jeter la pierre, lorsqu’en un week-end on est capable de voir cent galeries, pourquoi s’embêter à aller faire toutes ces galeries. Aujourd’hui, faire des foires est devenu indispensable pour une galerie, avant, c’était un bonus.
Pour quelle raison avez-vous mis en place l’outil de réalité augmentée ?
Toutes ces galeries qui sont éternellement dans le modèle du white cube où rien ne dépasse, c’est clinique, c’est froid. Selon nous, le but d’une œuvre d’art est d’aller chez les gens, dans un salon, une chambre, une cuisine. La Joconde, par exemple, se trouvait dans la salle de bain de François Ier avant d’être exposée au musée du Louvre. Les gens ont besoin de se transposer et d’imaginer l’œuvre chez eux. C’est pour cette raison que, dans la plupart de nos expositions, vous trouverez du mobilier et du design. C’est un outil pour aider les gens à imaginer l’œuvre chez eux. Un outil qui accompagne une discussion, un échange. Cela ne remplace en rien le rôle du galeriste. Le métier de galeriste, c’est rebondir, être un couteau suisse.
Compte tenu de la crise sanitaire à laquelle nous faisons face, quelles alternatives avez-vous mises en place pour maintenir le lien entre la galerie et les visiteurs, les acheteurs potentiels ?
Nous n’avons pas attendu la crise sanitaire pour avoir cette prise de conscience qu’Internet va prendre de plus en plus de place dans le marché de l’art. Pendant le confinement, nous avons essayé de mettre en place des lives et des discussions sur Instagram. Cette année, nous fêtions les dix ans de notre galerie, nous avions prévu une performance live avec notre artiste chinois Hua Tunan, qui est évidemment coincé en Chine. Cet évènement n’a pas été possible, donc, finalement, nous avons retracé les dix années de la galerie en choisissant une exposition par an. Nous sommes également en train de préparer une visite virtuelle de la galerie ; quand tout ira mieux, nous continuerons de proposer ces visites virtuelles, parce que je pense que c’est plus agréable qu’un simple pdf.
Plus d’informations sur le compte Instagram et le site internet de la galerie.
Propos recueillis par Juliette Dutranoix
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