Dr Ponce : “Rigoler de ce que l’on déteste, c’est déjà le combattre”
Originaire de Montpellier, Dr Ponce aime les histoires. L’illustrateur se place en fin observateur des scènes de la vie quotidienne. C’est avec humour et sarcasme qu’il pose son regard sur la société et nous questionne à notre tour.
Peux-tu me parler un peu de toi et de ton parcours ? Qu’est-ce qui t’a amené au dessin ?
Je suis Dr Ponce, illustrateur et peintre muraliste. Je suis né à Montpellier sous la lune d’une nuit d’août 1987, j’aime les chats, les flammes et le pastis. D’aussi loin que je me souvienne, je me suis toujours interrogé sur le monde dans lequel j’ai débarqué, je crois bien que je n’y ai jamais rien compris. Avant même de penser au dessin, j’ai surtout été demandeur d’histoires. Il y avait chez ma grand-mère une incroyable collection du magazine Métal Hurlant. J’ai appris à lire en feuilletant en cachette ces pages dans lesquelles une génération de dessinateurs nous livrait leur propre monde, un nouveau monde. Pour l’enfant que j’étais, ce fut une véritable claque. Je pense qu’indirectement, c’est ce qui m’a mené au dessin. Le besoin de raconter, de construire un univers qui transmet un point de vue personnel sur le casse-tête géant qu’est la vie. C’est très testimonial mais je crois que l’homme a toujours eu ce besoin vital d’expression libre, de laisser sa petite trace, sa petite vision des choses pour ceux qui suivent. J’ai commencé par laisser mes traces par le biais du graffiti, puis j’ai eu la chance d’intégrer l’ESA St-Luc à Bruxelles pour y apprendre la bande dessinée. De fil en aiguille, je suis devenu dessinateur sans le voir venir plus que ça.
Tu as un univers bien singulier, dans lequel on retrouve souvent des personnages anthropomorphes. Comment est-ce que tu définirais cet univers ?
J’aime travailler mon univers comme un répertoire graphique d’expression personnelle, tout en prenant en compte qu’il ne reste qu’un support à l’histoire, c’est la base de ma création. Au fil du temps, j’ai bâti un univers qui prend place dans notre quotidien mais qui traduit une autre réalité : un monde dans lequel la lune est reine, les hommes sont chiens, les diablotins t’attendent sous le porche, les femmes sont fleurs et l’épicerie est temple. J’essaie ensuite de faire en sorte que toutes ces entités cohabitent l’air de rien, dans le but d’offrir au lecteur mon point de vue sur le sujet que je cherche à illustrer. Je travaille beaucoup autour de la symbolique, la recherche de ces petits éléments qui permettent de complexifier la lecture d’une image ou au contraire aident à rendre lisible le fond. C’est comme un puzzle sauf que l’on fabrique toutes les pièces.
En 2019, tu nommes l’une de tes expositions “Il a bu tout le pastis – une exposition dont vous êtes le héros”. Pourquoi cette envie de mettre en lumière ces scènes du quotidien ?
Le travail de dessinateur est un travail d’observation, d’analyse et de synthétisation, visuelle bien sûr, mais surtout émotive. Les inconnus m’inspirent au quotidien, j’aime regarder ce qu’il se passe autour de moi. Assez vite, je vais trouver un visage de gargouille, un sourire qui me fend le cœur ou une situation cocasse qui me donnent envie de les mettre en scène. Ces petites choses auxquelles on ne fait plus attention sont pour moi d’une beauté sans nom. Pour “Il a bu tout le pastis”, je suis parti du fait que c’était un peu le chaos dans ma vie. J’ai imaginé l’histoire d’un chat qui, lassé de son existence, boit tout le pastis du monde et le cerveau plein de vapeur d’anis, décide de changer sa vie. Le spectateur était amené à décider des agissements du chat, à l’aide d’un petit texte à choix multiples. Chaque étape dans le parcours du chat vers le changement était une réflexion sur une question qui m’obsède. Au final, prendre le temps de questionner notre société sur des sujets accessibles à tous, mais en y enlevant le côté générique du quotidien et en y intégrant son prisme graphique et sa morale, c’est devenu le fond de mon travail.
Tu utilises beaucoup l’humour au travers de tes créations, quel(s) message(s) souhaites-tu faire passer ?
J’utilise autant l’humour que le sarcasme pour disséminer mes pensées. J’ai une vision de notre société qui n’est pas très joyeuse. J’ai l’impression que l’on va dans le mur mais avec le sourire dans la 406 à 220km/h, en contresens sur l’autoroute des enfers et au fond, j’ai envie que tout brûle. D’un autre côté, je suis un éternel optimiste, je crois au libre arbitre, à la curiosité, à la détermination et au bien commun. L’humour permet de positionner mon discours entre les deux. Rigoler de ce que l’on déteste, le tourner en dérision, c’est déjà le combattre.
Originaire de Montpellier, peux-tu nous en dire plus sur le développement de l’art urbain dans ta ville ?
Dans Montpellier, qui est une ville de taille moyenne, il y a une véritable effervescence artistique visible, et pas que sur les murs. J’observe une concentration de talents qui se développent à vitesse grand V. Des collectifs de jeunes déterminés, de la micro-édition, des tatoueurs, des galeries avec des choix de direction artistique marqués, gagnent en visibilité et en nombre. Dans le même temps, les espaces et acteurs dédiés à la création sont en extrême difficulté. Je constate que nous sommes de plus en plus obligés de nous débrouiller seul, ce qui est aussi difficile que constructeur. J’espère que le futur sera radieux.
Y a-t-il certains pays auxquels tu aimerais confronter ton art ?
J’ai en tête d’aller travailler un jour en Suède, je trouve le travail artistique scandinave incroyable, c’est un vrai laboratoire de création ! Ça fait un moment que j’essaie de comprendre pourquoi.. J’en suis arrivé à la déduction que c’était sûrement à cause du manque de temps de soleil. J’ai lu que les liquor shops de Stockholm avaient pour ordre de fermer avant 18h. Depuis, j’imagine les Suédois, dès que la lune apparaît, partant à la recherche d’ivresse. Ça me fait rire, j’ai envie de voir si c’est vrai.
Quel est le projet rêvé que tu aimerais concrétiser dans le futur ?
Cela fait une paire d’années que je conceptualise une exposition spectacle, je souhaite construire un labyrinthe à taille humaine dans lequel le visiteur passe de pièce en pièce et vit l’histoire que je lui propose. Je me rends compte que mon travail jusqu’à présent est une préparation de ce projet, sur le jeu entre le fond et la forme, la construction des différentes trames narratives et bien sûr, la scénographie. En plus, je pourrai y mettre des vrais chiens.
Vous pouvez retrouver les créations de Dr Ponce sur son site internet et ses réseaux sociaux, Facebook et Instagram.
Propos recueillis par Camille Bonniou
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