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De l’éprouvé corporel au dire adolescent, le travail d’assistante chorégraphique de Pauline Maluski

Pauline Maluski est danseuse, professeure et assistante chorégraphique. Elle accompagne notamment la compagnie AK Entrepôt pour un projet mené par Laurance Henry intitulé “Ce que je veux dire”. Pauline Maluski nous livre ici la singularité de son travail d’assistante chorégraphique cherchant à dévoiler, à travers le corps, une réalité adolescente : la difficulté de dire le monde, d’y trouver sa place en tant que sujet et de se positionner par rapport au collectif. Passer par le corps pour trouver le ton juste à l’occasion d’une création dramaturgique et chorégraphique sur l’adolescence. 

En quoi consiste ton travail d’assistante chorégraphique auprès de Laurance Henry, pour la pièce en création actuellement ? 

La metteure en scène avec qui je travaille questionne actuellement l’adolescence. Nous rencontrons des adolescents pendant quatorze semaines de résidence au sein de collèges et de lycées de différents territoires en France. De ces rencontres on va tirer une matière, des énergies, qui nourriront le travail de création au plateau avec trois interprètes, à la fois comédiens et danseurs. 

La pièce en cours de création s’intitule Ce que je veux dire, elle se construit à partir du Dire adolescent. On cherche ce que les adolescents ont envie de dire du monde et au monde. Laurance Henry cherche la façon dont ils le feront avec leurs mots, mais aussi avec leurs gestes, leurs mouvements, leurs images… Pour attirer ces différents langages, ces différentes manières de se dire, la metteure en scène travaille sur le mot, elle est accompagnée parfois d’une philosophe, elle se fait aussi accompagner d’autres fois d’une photographe et l’adolescent donne à voir un instantané de son adolescence. De même je l’accompagne sur le travail du corps pour lequel je propose des chemins d’exploration en mouvements dont on va tirer des choses qui échappent, qui cautionnent, ou pas, une direction pour la création. 

Mon travail c’est donc de créer des chemins de corps pour que la metteure en scène puisse observer, prendre, glaner des énergies, des émotions, des postures, des manières d’être seul, d’être ensemble, de prendre sa place, de se toucher… Des manières de se dire avec tout le corps, au-delà du mot.

Vous faites donc un travail préalable auprès des adolescents avant de travailler directement avec les comédiens ? 

Tout à fait, le travail de création avec les comédiens-danseurs se fera au plateau à partir de juin 23. En ce moment et ce depuis septembre 2022, on questionne l’adolescence auprès d’adolescents sur plusieurs territoires de France : des ruraux, semi-ruraux et urbains, à Marseille, en Bretagne, à Mulhouse, à Clermont… Laurance part à la recherche de ce que les adolescents ont envie de dire du monde aujourd’hui. 

Elle cherche néanmoins ce qui fait lien entre tous ces discours ? 

C’est comme une mosaïque, à partir de ce qu’on aura rencontré, retenu. Nous ne demanderons pas aux comédiens-danseurs d’être dans l’imitation de ce qu’on aura vu. Je participerai au temps de création plateau en leur proposant la matière, longuement questionnée auprès des adolescents, par les mêmes chemins, des prolongements, et nous les validerons quand ils iront dans le sens de ce qui a été traversé, vécu, vu. Laurance validera ou non dans le sens de ce qu’elle souhaite partager.

Ces adolescents vous les accompagnez dans le temps ou est-ce une rencontre ponctuelle ? 

En général nous rencontrons une classe sur une semaine pleine, parfois sur trois semaines réparties dans leur année scolaire. Et ces adolescents viendront voir la pièce, une fois qu’elle sera créée. Ce sont des rencontres qui s’échelonnent sur une certaine durée.

C’est merveilleux quand ils parviennent à faire groupe, de là peuvent émerger des individualités. La metteure en scène travaille beaucoup sur la question du vivre-ensemble. Nous faisons état de ce qui arrive, et chaque jour de la semaine quelque chose se laisse saisir. À partir d’une même trame de recherche, d’une même recherche de corps, on peut fouiller et aller plus loin. Les choses se disent autrement. Ces rencontres qui s’étendent sur la semaine permettent un approfondissement de que ces adolescents peuvent nous offrir.

Comment entrez-vous dans le lien avec eux ? 

Laurance démarre toujours la rencontre. Elle créé d’abord une relation de confiance par un temps d’échange. On est dans un contexte scolaire mais on va faire en sorte que le cercle démocratique existe, dans lequel chacun a la place de se dire. Elle part du postulat qu’ils ne savent pas moins qu’elle et qu’elle vient à leur rencontre, chercher et se nourrir de ce qu’ils savent. Pour ma part, le jeu est une vraie porte d’entrée. Je propose des jeux chorégraphiques dans lesquels les adolescents peuvent se dire sans les mots.

Le projet de création est préalablement présenté aux théâtres. Les théâtres intéressés par ce processus de création et cette création créent des partenariats avec des établissements scolaires par exemple et les professeurs intéressés s’investissent dans ce projet. Les adolescents sont très ouverts. On a rarement des réticences, on a parfois des réserves, des inhibitions, qui sont plutôt dépassées pendant le temps de la rencontre.

Mon travail est de sentir l’endroit où Laurance souhaite aller, d’ouvrir au maximum les perceptions, de proposer des jeux chorégraphiques dans lesquels on interroge l’individu au sein du groupe. Je crée des situations prétextes, je propose des jeux chorégraphiques inspirés de diverses sources dont certaines de Simone Forti. Ces jeux chorégraphiques questionnent le geste quotidien. Être seul – être ensemble, guider – être guidé, prendre sa place – céder sa place, choisir un chemin, décider, s’arrêter – poursuivre… Pour exemple: un jeu dansé autour de la chute qui interroge les différentes façons de chuter et de se relever. Un jour un adolescent m’a dit “ça, je ne le ferai pas” et au bout de deux heures il vient me dire “je ne l’ai pas fait parce que ça c’est ma vie”. Dans un contexte plus léger, un autre adolescent a parlé d’un de ses rêves évanoui, et a ajouté que désormais il se donnerait les moyens de ses rêves. Et puis dans une proposition en mouvement, lors de laquelle tous les adolescents en jeu avaient choisi de s’arrêter un à un, lui seul a fait le choix assumé de poursuivre, jusqu’où il pouvait, montant même sur une chaise pour ce faire. J’ai aperçu dans ses yeux un appel,  je lui ai juste dit “vas-y, poursuis” et il est allé jusqu’au bout. C’est justement cet adolescent qui voulait désormais aller “jusqu’au bout de (s)es rêves”. Tous ces jeux chorégraphiques touchent forcément l’humain. Ces manières de bouger, de danser disent de soi.

Ce qui est intéressant dans ces exercices c’est que tout se joue de manière symbolique, là “aller jusqu’au bout” s’est concrétisé dans l’espace, dans le corps, à partir de l’expression langagière. Les mots résonnent avec le corps. 

Une adolescente m’a dit justement qu’elle était étonnée de voir à quel point son corps, sans réfléchir, répondait spontanément, intuitivement aux consignes que je proposais. Pour certains, le corps est premier par rapport au mot. Pour d’autres, le travail du corps est tellement dénué de sens, la part non verbale n’existe pas pour eux, elle n’est pas conscientisée. Un autre jour, j’avais proposé un jeu chorégraphique en déplacement impliquant particulièrement le dos ou comment le jeu avec la gravité change radicalement la posture du corps et l’attitude de la personne. Une jeune fille qui semblait complètement empêtrée dans ses vêtements, dans son corps, lors de cet exercice, a su au fur et à mesure se porter et porter le groupe même dans cette intention. Elle a su là assumer cette fierté qu’elle n’était parvenue à vivre dans le discours. Ils sont tellement pleins, avec la conscience de leur corps présents dans l’instant, tellement beaux. Ils y trouvent de la liberté. Et le jeu est condition de cette liberté. Laurance prend toujours le temps de formuler ce qu’on cherche et ce qu’on a trouvé avec eux, ce qui s’est exprimé. 

L’intuitivité du corps libère-t-elle de la réflexivité qu’entraîne la mise en mots de ce qui advient à travers soi ? 

Les adolescents que j’ai rencontrés me paraissent avoir une véritable soif de sens, qu’ils cherchent dans les mots. Mais certains ont beaucoup de mal à se dire, il y a une exigence dans la qualité de l’expression qui prend place très tôt chez l’enfant et entraîne chez lui une forme de censure, laquelle s’exprime d’autant plus à ce moment charnière qu’est l’adolescence.

Propos recueillis par Valentine Mercier

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