David Munoz : “Un dialogue se créait entre l’œuvre et le spectateur”
Singulière et captivante, l’œuvre de David Munoz prend racine dans la science et l’astrophysique. Elle est multidimensionnelle. Les travaux de l’artiste se façonnent par le biais de la photographie, de l’installation multimédia, de la vidéo ou bien de la sculpture. David Munoz arpente les montagnes et photographie les paysages les plus sauvages. Ses œuvres portent sur la trace de l’intervention humaine sur l’environnement. Elles interrogent le public sur ses certitudes et altèrent sa perception sur les notions de réalité. Rencontre avec un artiste engagé.
Quel est votre parcours professionnel ?
Depuis mon adolescence, je m’intéresse à l’Espace et à la photographie. En tant qu’amateur, je réalisais des cartographies du cosmos. J’ai voulu en faire mon métier et me suis orienté vers un cursus scientifique. Cela m’a permis de faire de l’astrophysique et de développer une culture scientifique. J’ai pu également faire de la pige pour différents journaux. Puis au gré des rencontres, je me suis décidé à reprendre la photographie par le biais de l’art contemporain. J’ai toujours eu le désir de pratiquer cette activité de manière plus active. J’ai donc approfondi mes connaissances art en abordant ses théories, la photographie, la sculpture, mais aussi la vidéo. Aujourd’hui en parallèle de mon activité artistique, je travaille dans le secteur de l’aéronautique.
Quelle est votre démarche artistique ?
Je travaille avec une dimension poétique et interactive, de manière à établir un dialogue entre l’œuvre et la personne qui la regarde. La position du spectateur est primordiale, je crée une interaction immersive avec l’image, la sculpture et le son. Le but étant de l’amener sur des pistes de réflexion. J’associe des narrations de nature philosophique, anthropologique ou encore psychologique à ma pratique artistique et c’est par le biais des nouvelles technologies que j’éveille la conscience du spectateur sur son impact environnemental. Dans mon champ de travail, j’aborde aussi le rapport entre le réel et la confrontation des différents types de réalités. Il y a la réalité physique, celle qu’on voit à l’œil nu, captée par l’appareil de prise de vues et la réalité virtuelle, qui s’offre à nous par le biais des technologies de l’information et des réseaux sociaux. C’est ce qui m’intéresse, dans le sens où je vais interroger le spectateur sur les différentes réalités. Donc en plus de la dimension écologique de mon travail et mon rapport à l’environnement, il y a aussi ce rapport à la réalité et à ses recouvrements.
Sur quoi s’appuient vos travaux ?
À chaque fois, je me sers de mon parcours pour alimenter mon art, l’enrichir et surtout établir des échanges entre les différents mondes, que ce soit l’art, la science, le domaine de l’environnement ou de l’écologie au sens plus large. J’y inscris les aspects les plus fins comme la physique des particules et la cosmologie, je travaille notamment avec le Laboratoire de l’accélérateur linéaire de l’Université Paris-Saclay et le CERN à Genève. Je vais à la rencontre de scientifiques étudiant les micro-organismes des écosystèmes glaciaires de l’INRAE. J’essaie toujours d’avoir une cohérence dans mes sources de manière à le retranscrire dans mon art.
De quoi avez-vous besoin lors de vos expéditions ?
Je me sers d’une chambre photographique argentique et d’un appareil numérique en complément. J’utilise aussi une caméra de cinéma compacte pour les prises de vue. Un appareil de captation sonore est essentiel pour mes projets car sur le terrain, j’établis des dialogues entre les personnes habitant sur les lieux et je capte les sons sur lieux (sons des glaciers par exemple). Lors de mes voyages, je suis souvent seul, mais par sécurité je suis parfois accompagné de guide sur des zones à risque (chutes éventuelles de glace dues au réchauffement climatique par exemple).
Quel est votre processus de création ?
J’aborde toujours un projet avec une base littéraire et philosophique, ce qui me sert de réflexion pour un sujet donné. Ensuite, je structure et je réalise. Avant toute réalisation, je vais sur le site en question pour m’imprégner du lieu et établir un lien sensible avec celui-ci. J’ai vraiment un contact étroit avec le terrain. Ensuite je capte l’instant, j’enregistre les sons, les vibrations que le lieu délivre. Après l’expédition, je travaille chez moi avec des générateurs de fractales pour créer des images de paysages hyper réalistes, basées sur ma mémoire du lieu. Je génère ainsi ces représentations de paysage par le biais de l’ordinateur. Les fractales sont des modèles mathématiques établis à partir du vivant et du minéral pour générer des rendus hyper réalistes. Ainsi, Je recrée les nuages, les roches, les taux de pollution… Je m’appuie donc sur les représentations culturelles pour retranscrire ma propre vision du paysage. En confrontant les créations pures et les photographies, le rendu final introduit un questionnement chez le spectateur, qui n’a plus la capacité de discerner la réalité physique de cette réalité virtuelle qui lui sont donnés à voir.
Quelles sont vos inspirations ?
J’apprécie le travail de Joseph Beuys. C’est un exemple pour moi parce qu’il s’implique totalement dans son art, tant personnellement que physiquement. C’est un acte d’engagement fort ! Les écrits de la philosophe Anne Cauquelin m’intéressent aussi énormément. Notamment sa réflexion sur le fait que le paysage soit une représentation mentale et culturelle. Je m’inscris également dans la logique de Timothy Morton, telle qu’il la décrit dans La Pensée écologique. Je rejoins sa pensée qui dit qu’il n’y a pas de limites dans l’interaction et le maillage, pour reprendre son expression, entre les différents éléments du vivant et du non vivant. L’écologie de l’environnement est une notion d’un écosystème global dans lequel il y a le paysage, la nature, mais aussi l’humain, dans les domaines sociaux, psychiques et scientifiques et tous les écosystèmes à différentes échelles, qui s’y raccrochent.
Quels sont vos projets à venir ?
En ce moment, je développe des œuvres pour deux expositions : la Biennale Nemo au Centquatre et et le Centre André Malraux au Bourget dans le cadre de ma résidence à la Capsule. Mes œuvres sont soutenues par la scène de Recherche de l’ENS Paris-Saclay et La Diagonale Paris-Saclay. Elles porteront sur les notions d’environnement, de réalités et questionneront notre rapport intime et sensible à l’urgence environnementale.
Plus d’informations sur le site internet ou le compte Instagram de David Munoz.
Propos recueillis par Chloé Desvaux
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