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Coline Gaulot : “J’aime créer du discours”

© Claire Baudou

Rencontre avec Coline Gaulot, une jeune artiste dont le travail repose en grande partie sur la notion de kairos, notion selon laquelle le temps se marque non pas chronologiquement mais grâce à des instants décisifs qui créent un basculement. Elle nous fait rentrer dans son univers à la fois personnel et universel. 

Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Ce sont souvent des événements qui arrivent dans la vie, intimes ou non, des impressions visuelles, des moments clés. Des basculements dans une situation qui m’interpellent. Des actions qui se passent dans la vie et dans les relations, des petits détails. J’admire également beaucoup de peintres dont Maria Lassnig, Félix Vallotton et Gerhard Richter. Je suis aussi en recherche constante de couleurs, c’est une obsession. Et j’écoute beaucoup de podcasts lorsque je peins, c’est quelque chose qui me nourrit énormément. J’ai une écoute très particulière, je ne peins pas en musique, les musiques me font éprouver trop de sensations. J’aime également le théâtre, auquel je suis très attachée : les textes, aller au théâtre et le langage, cela m’est resté de ma formation de départ. Une notion d’espace aussi, que j’ai assimilée grâce à la scénographie.

© Claire Baudou

Pourriez-vous nous expliquer la notion du mot kairos et la place que ce terme occupe dans votre travail ? 

Le kairos, c’est le point de départ de mon travail. J’essayais d’exprimer quelque chose depuis longtemps mais je n’y arrivais pas. Cette notion est apparue. Kairos, c’est une définition du temps assez particulière, qui indique non pas une vision chronologique du temps mais une vision qui se fait par des points clés, des instants décisifs, qui vont faire basculer un évènement dans une autre dimension. C’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup parce que c’est comme un micro-événement qui bouleverse les relations humaines, c’est souvent commun. Cela passe par l’émotionnel. Par exemple, mon projet Joyeux A, sur la notion d’anniversaire, débute dans mon souvenir puis ensuite, fait appel aux souvenirs des observateurs. Le temps n’est pas ressenti de façon linéaire. J’ai l’impression que la technique de la peinture répond à cette réflexion sur le kairos. La recherche d’une suspension, l’étalement de ce temps décisif. C’est un dialogue entre le thème et la matière.

Pourriez-vous nous présenter l’une de vos œuvres ou série d’œuvres ?

Pour la série des bouquets This is a love story, j’ai cartographié une histoire d’amour en peignant tous les bouquets qui m’avaient été offerts dans une histoire en particulier. Je les avais pris en photo, la première fois un peu par hasard et ensuite, c’est devenu une vraie volonté pour créer cette série. J’ai réalisé ce projet longtemps après, j’ai souvent besoin d’une digestion. Au départ, mon travail s’ancre dans une histoire personnelle puis le travail de recherches picturales et textuelles tente de toucher le lieu commun, l’universalité. Ce temps me permet d’être dans le dialogue plutôt que dans l’introspection. Dans cette série, on voit à travers les titres le moment où cela commence à aller mal. Par exemple, l’un des derniers bouquets s’appelle : “Je voulais t’acheter du mimosa mais je n’en ai pas trouvé” et j’ai ajouté un sous-titre “Plus tard, j’appris qu’elle n’en avait jamais cherché”. Il y a aussi le bouquet d’iris, “Ceci n’est pas un bouquet d’excuses, c’est un bouquet de compagnie”, évidemment c’était un bouquet d’excuses. Il y a une histoire qui se crée à travers ces bouquets. Au bout d’un moment, je m’inspire des souvenirs des autres. Dans le cas des bouquets par exemple, j’ai peint un bouquet de mariage, pas le mien, je ne suis pas mariée. Je trouve aussi l’universalité comme cela, en jouant de mes souvenirs et de ceux des gens qui m’entourent ou avec qui je dialogue.

© Claire Baudou

Comment vous est venue l’idée de faire de la porcelaine ?

Ce projet a émané suite à un anniversaire en famille. Une dispute a éclaté, il y a eu une espèce de cristallisation du moment. Je me suis dit que cet instant était intéressant, comme si la forme physique de l’objet, le gâteau, avait créé un moment de paroles. Je trouve inspirant ces gâteaux d’anniversaire, ils sont comme des totems sur les photos. Ils sont les points centraux mais que l’on ne voit pas. On regarde la personne qui souffle les bougies, les personnes autour, mais rarement le gâteau sur l’image. Je me suis mise à avoir envie de reproduire ces formes comme des témoins, pour essayer d’observer une fois de plus une cartographie, cette fois-ci familiale et temporelle. J’ai donc demandé à ma sœur et à ma mère qu’elles m’aident à récupérer toutes les photos que l’on avait des gâteaux de mon anniversaire. Il y a des vides, des manques, des doublés lorsque mes parents ont divorcé, etc. J’ai eu envie de donner à ces gâteaux une place physique, une matière qui permette un point culminant. Je voulais que la matière réponde à la problématique. J’ai donc pensé à la porcelaine. La porcelaine cristallise à un certain degré, elle bloque ainsi la matière à un instant. Tel le kairos, tel le gâteau qui bloque un âge, le moment. J’ai fait tous ces objets en résidence. Je ne les ai pas colorisés car je voulais les vider de leur goût personnel, afin que les gens puissent s’identifier. J’aime créer du discours. Je gagne une aisance en découvrant des matériaux, même si la peinture et surtout la couleur restent mes principales bases de travail.

Vous avez également créé une performance et mis en place plusieurs installations, est-ce que ce sont des disciplines que vous aimeriez explorer davantage ?

J’ai l’impression que l’installation, c’est presque mon premier travail. La série des bouquets de fleurs par exemple, c’est une installation, c’est-à-dire que tous les bouquets ont vocation à être installés dans un espace pour conter quelque chose, ensuite ils seront divisés. Je les ai pensés comme une installation, où les gens seraient au milieu de cette histoire, de cette narration. Les porcelaines, c’est aussi une installation dans l’espace. J’ai un lien très fort avec l’espace, certainement dû à mon parcours de départ, la scénographie. C’est la première chose à laquelle je pense en créant. La performance, c’est plus délicat. J’ai une pratique grandissante de l’écriture, de la parole presque. Toutes mes œuvres sont soulignées, sous-titrées ou sur-titrées de mots qui sont souvent réunis dans des éditions. Mon travail est arborescent dans ses modalités d’apparition. Chaque matière peut à un moment, entrer en réponse à mon questionnement.

© Claire Baudou

Plus d’informations sur le compte Instagram et le site internet de l’artiste.

Propos recueillis par Juliette Dutranoix

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