Cocoon Museum
Un ovni architectural aux courbes sensuelles et sans nation fixe destiné à traverser le monde à partir de 2008, le mobile Art est un hommage au cultissime sac matelassé de Chanel. En son ventre, une vingtaine d’artistes contemporains présenteront des pièces inédites. De Hong Kong à Paris, en passant par Tokyo, Londres, New York et Moscou, ce projet initié par la Maison Chanel a été confiée à l’architecte-exploratrice Zaha Hadid. Toujours en avance sur son temps et prête à déjouer les règles traditionnelles de l’architecture, cette brune de 57 ans à l’œil vif et noir revient sur les fondements de ce projet architectural hors-normes. Entre art, mode et architecture… reste la sensualité organique.
Propos recueillis et traduits de l’anglais par Anaïd Demir
Comment avez-vous été sélectionné pour réaliser le Chanel Mobile Art?
La signature de la Maison Chanel, le sac matelassé, comme point de départ d’une exposition itinérante à travers le monde venait d’eux. Il me semble extrêmement intéressant que le style Chanel puisse à la fois être une entité globale et avoir une présence mondiale. Chanel est reconnue pour la superposition subtile de textiles les plus fins et pour son sens aigu du détail, et cela afin de créer les pièces les plus élégantes de sa collection. Le Mobile Art est l’illustration de cette philosophie de superposition et de fluidité.
15 artistes vont créer une pièce pour le Mobile Art. Bien plus qu’un simple espace d’exposition, nous avons créé un paysage entier pour ces œuvres. Les visiteurs seront guidés à travers cet espace qui utilise des technologies de pointe développées en collaboration avec les artistes.
A votre avis, quels sont les liens entre votre travail en général et l’esprit Chanel ?
Ma propre architecture s’est développée à partir de l’Avant-Garde Russe dont elle est la retranscription spatiale.
Nous avons travaillé ces 30 dernières années à élargir notre répertoire à cette nouvelle architecture faîte de couches successives, et qui utilise des matériaux de haute qualité. La Maison Chanel suit des principes d’inspiration similaires.
Je pense qu’à travers notre architecture, nous pouvons donner un aperçu d’un autre monde aux gens, les enthousiasmés et les stimuler sur le plan des idées.
Comment s’est passé votre première rencontre avec Karl Lagerfeld ?
La première fois que nous nous sommes rencontrés, c’était dans le hall de notre hôtel à New York. Comme il a pu le dire pour le lancement du Mobile Art durant la Biennale de Venise il y a quelques mois, cela montre à quel point les espaces publiques sont aussi importants que les halls d’hôtels.
Qu’attendait-il de vous ?
Il m’a toujours dit qu’il me voyait comme la première architecte qui mettait en avant une Esthétique Post-Bahaus.
Ces 30 dernières années, nous avons travaillé à articuler lisiblement la complexité de la construction et d’un nouveau langage architectural inspiré par la nature. Ce nouveau langage a réussi à fleurir grâce aux nouveaux outils de modélisation digitale. Ce qui a permis à notre action architecturale de se diffuser plus amplement. Nos ambitions sont tournées vers une création fluide et dynamique tout en s’attachant à des structures complexes. Elles ont été soutenues par les innovations technologiques.
L’état actuel de l’architecture demande un sens de l’exploration que Chanel, je pense, recherchait pour ce projet.
Il y a une forte réciprocité entre les deux: nos visions architecturales encouragent le développement des nouvelles technologies et les techniques industrielles demandent à ce que nos visions deviennent réalité. Tout comme cette collaboration avec Chanel, de grandes choses vont naître de cela.
Comment avez-vous conçu le Mobile Art ? Quels en sont les principes ?
Notre architecture est intuitive, radicale, internationale et dynamique. Nous cherchons à construire des bâtiments qui évoquent des expériences originales. Ce serait proche d’un désir de nouveauté comparable à l’expérience de découverte un nouveau pays ou de nouveaux territoires.
La conception du Mobile Art est un élément essentiel de notre répertoire. Il a stimulé notre créativité, nous a projeté au cœur de l’avant-garde culturelle, nous permettant d’établir une relation avec le monde de l’art. Aiguiser la curiosité est une constante dans notre travail. Le Mobile Art explore dans sa pratique les langages architecturaux les plus en pointe, et elle a pour ambition de générer une sensualité sculpturale à travers une logique rationnelle.
Nos récentes explorations des formes et systèmes naturels nous ont permis une fluidité totale dans ce pavillon. Pour le Mobile Art, nous avons exploré des formes organiques évidentes comme celle de la spirale qui forme les cornes animales ou les coquillages. Ce système d’organisation et de croissance est fréquent dans la nature. Dès l’entrée du pavillon, il offre au public une expansion généreuse des espaces, et ça fonctionne avec les sites locaux de chaque ville traversée. Cette forme part en spirale vers le centre à travers une succession de cellules décroissantes… ce qui crée une variété constante d’espaces d’expositions. Comme le Mobile Art doit voyager à travers trois continents, cette division permet aussi au pavillon d’être aisément transportable puisque les éléments qui la composent sont autonomes et maniables.
Le Mobile Art, initialement conçu selon un système d’organisation naturelle, a donc aussi été créé selon les principes fonctionnels de l’exposition. Pourtant, au-delà de cela, le pavillon a dépassé le langage formel. Une énigmatique étrangeté s’est développée entre le système naturel du pavillon et ces adaptations fonctionnelles, ce quine manque pas de piquer la curiosité des visiteurs.
Est-ce la première fois que vous travaillez avec des artistes ?
Dans l’histoire de notre pratique, nous avons toujours collaboré avec des artistes. En 92, on nous a demandé de designer la première véritable exposition de l’Avant-Garde Russe en Occident : « Great Utopia » au Musée Guggenheim à New York.
Notre démarche consiste à recréer quelques-unes des expositions qui ont fait école et d’en faire des expériences totalement immersives.
On a bouclé la boucle l’été dernier, presque 15 ans plus tard, lorsqu’on a montré notre propre travail dans ce même musée.
Ces 10 dernières années, on a aussi conçu des installations pour exposer la collection de la Deutsche Bank par des séries d’expositions célébrant leur 25è année. L’exposition a voyagé à Berlin, Tokyo et Singapour. Comme la collection était solidement vissée au sol, mais qu’elle n’en était pas moins fluide et fraîche, nous avons réfléchi à ce qui pourrait venir renforcer et contextualiser ces travaux.
Une fois de plus, on a créé un environnement immersif réinterprétant la géométrie du Musée de Singapour. La forme de l’expo dérivait de la juxtaposition et de la distorsion du plan de base du musée. Cela créait un espace continu qui mettait en relation les œuvres présentées dans un nouvel environnement et permettait la circulation des visiteurs, en toute cohérence.
A Berlin, les visiteurs entraient par un étrange espace formé de cellules concentriques, c’était comme des bulles d’air solides qui se mettaient à flotter dans la galerie. A Tokyo, on est partis d’une étude sur les caractéristiques textiles et leur possibilité de transformation. Ces réflexions nous entraînent vers un design qui prend en compte des qualités comme la légèreté, la douceur et la souplesse.
Quels sont les artistes contemporains que vous appréciez ?
J’aime beaucoup Rachel Whiteread, Jeff Koons, Anish Kapoor, Bill Viola, Andreas Gursky et Richard Serra.
Je me souviens de l’installation d’Anish Kapoor à la Tate Modern à Londres. Dans son projet, le matériau était vraiment crucial. Si la même pièce avait été faite en plastique, elle n’aurait pas eu le même intérêt.
Le matériau joue un grand rôle et c’est cette prise de risque qui rend une exposition vraiment fantastique.
De la même manière, quand on arpente les labyrinthes de Richard Serra, il y a une part d’inconnu, si c’était fait dans un autre matériau, ça ne marcherait pas. Les explorations spatiales et matérielles de Rachel Whiteread m’intéressent aussi beaucoup. Quant au travail de Bill Viola, je le trouve incroyablement réflexif et hypnotique.
A votre avis, art et mode, art et luxe, ont des points communs ?
Art, architecture, et mode ont été créés pour des utilisateurs.
Ils sont finalement faits pour créer un cadre aussi plaisant que stimulant pour son consommateur, dans tous les aspects de sa vie. La société contemporaine ne tient pas en place, et mode et architecture evoluent avec la vie.
Je pense que ce qui est nouveau dans notre génération, c’est ce nouveau niveau de complexité sociale, qui se reflète dans l’art, l’architecture et la mode. Il n’y a plus de formule simple. Pas de solutions globales, et de petites répétitions. Mon concept, c’est de partir d’idées et de traditions dans le design mais d’en faire quelque chose de neuf et d’inhabituel.
Quels sont les nouveaux concepts que tu as intégré à cette pièce ?
En créant le pavillon de design, nous avons développé une fluidité entre les formes géométriques et organiques. Et à travers des espaces dynamiques, les oppositions entre intérieur et extérieur, obscurité et lumière, naturel et artificiel, sont réunies et synthétisées.
Des lignes de force convergent vers l’intérieur du pavillon. Elles redéfinissent constamment la qualité de chaque espace d’exposition et donnent du mouvement au pavillon.
Quels sont vos prochains projets ?
Nous avons différents projets à travers le monde et sur différents types de structures.
Le « MAXXI » : Le Musée National du 21è siècle à Rome est dans sa phase finale de construction, il sera prêt à ouvrir ses portes en 2008.
Ce sera le nouveau musée majeur Italien de ces 70 dernières années.
Au cours de cette année 2007, nous inaugurons le Nordkettenbahn à Innsbruck – une série de 4 stations de trains.
Nous avons récemment démarré la construction d’un gratte-ciel révolutionnaire à Marseille : ce sera le siège de CMA CGM, la firme de navigation en France.
La construction commencera bientôt pour les archives de Pierre Vives et l’édifice sportif de Montpellier. Nous avons des projets autour du Abu Dhabi Performing Arts Center, le centre Olympique Aquatique de Londres, les Opéras de Dubai et de Ghangzhou en Chine.
On est toujours en pleine expérimentation. Comment l’édifice va être utilisé, est-ce un lieu privé, ou bien un espace public, industriel… tout cela fait partie de nos premières interrogations. Les environnements que l’on crée sont spécifiquement liés à la fonction de chaque bâtiment.
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