Clet Abraham : “Travailler sur les panneaux, c’est remettre en question l’autorité”
Provocateur et contestataire, le travail de Clet Abraham ne passe pas inaperçu. Ses panneaux de signalisation colorés et ludiques ont pourtant pour but de se rebeller contre le système.
Pourquoi avez-vous choisi la rue pour vous exprimer ?
La rue c’est une façon de se ré-accaparer un public, qui sinon est filtré soit par les institutions publiques, commerciales, par les gouvernements, ou les galeries. C’est donc une façon de se libérer des entraves de ces structures. Après, personnellement, je vois le street art comme un art contestataire. Son côté sauvage est pour moi fondamental et même peut-être sa raison d’être. Il y a donc une part de rébellion qui permet d’exprimer des concepts qu’on ne peut pas exprimer autrement.
Fondamentalement il y a la volonté de faire passer un message : plus que l’art lui-même c’est le message qui m’intéresse. Les panneaux, d’ailleurs, ce n’est pas un hasard : ils sont le symbole visuel de l’autorité. Travailler sur les panneaux c’est remettre en question cette dernière. C’est ça mon message : rediscuter l’autorité.
En 2010, à Palazzo Vecchio à Florence, vous avez profité de l’espace vide suite au déplacement d’un tableau de Bronzino, pour y accrocher votre autoportrait. Il y est resté 24 heures, personne ne l’avait remarqué avant.
Est-ce que c’était une façon de faire place à l’art contemporain dans une ville comme Florence, ville de la Renaissance, un peu fermée peut-être à l’art contemporain ?
Oui, absolument. Aujourd’hui elle s’est rapidement ouverte au street art, mais avant 2010 c’était une ville figée qui jouait sur son passé.
Vous avez eu des problèmes avec la justice : le parquet de Florence vous avait condamné à une amende de 10.000 € pour votre sculpture L’Uomo comune en accusant votre œuvre d’être une construction abusive.
Oui, mais j’ai été acquitté en mars. Toute l’accusation est tombée, elle a été complètement annulée donc j’ai gagné, en fait.
En 2015, au Japon, votre compagne a été arrêtée, coupable seulement d’être présente pendant que vous créiez une œuvre. Selon vous, les gouvernements ont peur de l’art, justement pour le pouvoir qu’il dégage en tant que moyen d’expression ?
Je dis toujours que mon travail est un baromètre de démocratie. Dans les pays démocratique, mon travail passe bien. C’est vrai qu’il y a une provocation directe sur l’autorité, donc les pays qui ont des difficultés avec ça réagissent mal. Il y a aussi des pays où je ne travaillerai jamais car c’est trop risqué.
Quelle est justement la différence entre art et vandalisme selon vous ?
C’est personnel mais, pour moi, l’art construit alors que le vandalisme détruit. Un acte artistique peut avoir une partie destructive mais il a une finalité constructive. Le vandalisme s’arrête à la destruction. Après, bien sûr, c’est au cas par cas.
En tant qu’artiste français vivant en Italie, lequel de ces deux pays trouvez-vous le plus ouvert au street art ?
Il n’y a pas de grande différence mais la France est un peu en avance quand même. Paris est un lieu particulièrement ouvert, mais comme pourrait l’être Milan, où mon travail a toujours été très bien reçu et accueilli. Je dis accueilli et non officialisé : mes œuvres sont tellement critiques qu’elles sont très rarement officialisées.
Comment choisissez-vous, en général, les villes où travailler ?
C’est un peu de tout. Ça peut être une recherche de visibilité mais aussi un plaisir, des endroits qui m’attirent, qui m’intriguent. Les deux dernières années j’ai surtout voyagé aux États-Unis, pour chercher quelque chose de nouveau : les panneaux sont différents, tout comme l’atmosphère. C’est excitant, chercher le nouveau, dépasser ses limites.
Quel est votre quotidien pendant le confinement ?
Honnêtement c’est très douloureux, c’est quelque chose que je gère assez mal. Je réagis en travaillant, en dessinant beaucoup, y comprit des choses qui ne sont pas forcément liées au street art, pour essayer de vider le sac, comme on dit. Je ne vais pas me plaindre car j’ai tout ce qu’il me faut, mais intérieurement c’est très difficile, je ne supporterai pas longtemps cette situation.
Quels sont les projets futurs que vous pouvez nous dévoiler ?
J’ai un projet sur San Francisco, peut-être à la fin de l’année ou début de l’année prochaine, dès que ce sera à nouveau possible de voyager.
J’en ai un autre aussi intéressant, qui m’amuse beaucoup, prévu pour Noël, à Florence. Je ne peux pas rentrer dans les détails : c’est un joli projet, provocateur mais gentil, pas méchant, en relation avec les éléments iconographiques liés à Noël.
Plus d’informations sur Clet Abraham sur son site Internet .
Propos recueillis par Violagemma Migliorini
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