Charlotte Rotureau : “J’ai déconstruit pour reconstruire”
Dans le cadre d’une semaine thématique intitulée “Comment la culture change le monde” animée par Samuel Valensi, les étudiants de 5e année de l’ICART ont accueilli plusieurs professionnels engagés dans la transition du secteur culturel. Le vendredi 5 février, c’est Charlotte Rotureau, accompagnatrice en transition environnementale, qui leur a présenté ses activités.
Bonjour Charlotte, vous êtes spécialiste de la transition environnementale et vous accompagnez des acteurs publics et privés de l’événementiel dans leur transition environnementale. Quel est votre parcours et comment en êtes-vous arrivée à monter votre entreprise ?
J’ai travaillé pendant six ans dans l’événementiel sportif, puis j’ai fait un voyage de trois mois à vélo en Europe qui a été un véritable déclic. J’ai commencé à me poser beaucoup de questions sur la transition écologique, tant dans ma vie personnelle que dans mon environnement professionnel. J’ai décidé de reprendre mes études en faisant un Master en Tourisme Innovation et Transition, où j’ai fait un mémoire sur l’événementiel éco-responsable comme levier de la transition écologique. Cet écrit a été fondamental pour la suite de mon activité, il m’a permis de rencontrer plus de 35 personnes en entretien et de développer mon réseau. C’est de ce cheminement que sont nées les deux structures : EVVI et EVVI Inspiration.
Et qu’est-ce qu’EVVI ?
Avec EVVI j’accompagne les événements de demain dans leur transition environnementale. J’amène les événements à revoir progressivement leur organisation, leurs manières de faire, de voir les choses pour aller vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement. C’est à la fois avoir un rôle de formation, de conseil, mais aussi d’observation et d’écoute auprès des structures que je suis. J’aime échanger avec elles et comprendre leurs problématiques.
Pouvez-vous nous parler d’EVVI inspiration ?
EVVI Inspiration a commencé en juin dernier. J’ai décidé de monter un projet pour lequel je suis partie en voyage itinérant où j’ai parcouru 1300 km à vélo sur deux parcours différents. Ce périple m’a permis de réaliser 59 interviews auprès d’organisateurs d’événements ainsi que d’autres acteurs de l’éco-système. Les interviews étaient thématiques pour pouvoir aborder ensemble des thématiques comme le transport, l’accessibilité tous public, la réduction du gaspillage, la sobriété énergétique et l’alimentation. En parallèle, durant mon itinérance, je publiais une newsletter par semaine pour présenter les événements et personnes que je rencontrais et j’y intègre quelques fois des articles un peu plus réflectifs, en interrogeant les choses d’une manière un peu plus large.
Pourquoi avoir choisi l’événementiel en particulier ?
Pour moi l’événementiel c’est de l’expérimentation pure. L’événement est un endroit fédérateur, ce qui est assez rare selon moi, et c’est ce qui fait sa spécificité. Un événement a la possibilité d’être un espace neutre car on ne ressent pas les tensions extérieures quand on est dedans et il peut, de ce fait, être un terrain propice au développement des actions en faveur de la transition environnementale. De plus, cela permet d’étudier la question de la résilience, cette capacité à rebondir et à s’adapter à un nouveau contexte, une notion qui est de plus en plus présente au vu de la période que nous traversons. L’événementiel est, pour toutes ces raisons, un outil de la transition environnementale puisqu’il est un banc d’essai pour expérimenter de nouvelles manières de faire, d’être et de vivre.
Et comment arriver à un événement plus résilient ?
La relocalisation me semble être un élément important, avec notamment la problématique des transports mais aussi le fait de pouvoir s’assurer de la fabrication de produits locaux et éthiques. La transparence est la clé. Par exemple, le fait qu’un événement soit résilient d’un point de vue alimentaire sur son territoire m’apparaît indispensable. L’autre élément à considérer est la notion de sobriété et de juste dimensionnement.
Comment approchez-vous les acteurs très divers que vous y rencontrez ?
J’essaie d’abord de comprendre la vision des organisations et d’écouter les personnes que je rencontre. Un événement, c’est 80-90% d’achat de biens et services. L’organisateur va organiser les achats d’un événement de la même manière qu’il a l’habitude de faire ses courses. Si la personne à l’habitude de faire attention à la provenance et à la qualité des produits, elle va essayer d’appliquer cette philosophie dans les achats de l’événement. Il est donc important en premier lieu de poser une vision qui considère les enjeux de transition environnementale. Cette première phase va amener les organisateurs à questionner leurs pratiques et habitudes et peut conduire à faire évoluer les critères d’achat.
Avez-vous pu observer des changements auprès des acteurs ou événements que vous avez accompagnés ?
L’évolution des comportements nécessite du temps et il est encore trop tôt pour tirer les premières conclusions. Ce qu’il est important d’intégrer c’est que tous les changements que nous mettons en place au niveau individuel et collectif demande du temps et de la patience. Il me semble donc essentiel de sortir du jugement, d’être à leur écoute dans la bienveillance et d’accepter que chacun va à son rythme et que le plus important c’est que les gens se lancent. Plus les personnes expérimentent, plus elles prennent confiance en elle et plus ça leur donne envie d’évoluer.
Quels “grands enseignements” avez-vous tirés de votre expérience ?
J’ai déconstruit pour reconstruire. C’est-à-dire que je suis repartie de zéro, j’ai changé mes habitudes de vie. Pour moi, c’était avant tout une transition personnelle, j’ai dû arrêter d’être dans le jugement et de vouloir sans arrêt convaincre les autres. Pour trouver les moyens de donner aux personnes les bonnes pratiques dans leur quotidien, j’ai revu ma manière de communiquer. Il faut se donner le droit d’essayer, il faut sortir de la notion réussite/échec, car chacune de nos actions nous apprend quelque chose d’instructif. On doit accepter que le changement puisse prendre du temps.
Pensez-vous que nous devons réparer le monde que nous laissent nos aînés ?
Un point difficile, mais que je trouve essentiel, c’est qu’il faut sortir du combat générationnel : l’âge n’est pas corrélé au critère de la pollution. De nombreuses études montrent que c’est plutôt le revenu qui l’est. Nos différentes visions du monde ne doivent pas s’affronter, mais se compléter pour trouver des solutions.
Tous les événements avec lesquels vous travaillez sont déjà tournés vers des pratiques éco-responsables. Est-ce que vous avez déjà eu envie de vous tourner vers des événements moins ou pas encore impliqués dans ces démarches ?
C’est en effet un projet auquel je pense via EVVI Inspiration, des choses sont en réflexion et en préparation pour les prochains mois.
On voit de plus en plus de labels “verts” qui se mettent en place. Quel est votre regard là-dessus ?
En effet, on peut différencier les labels, la charte et les normes ISO. La norme 20121 est un outil de management, elle ne re-questionne pas vraiment la philosophie et la vision de l’événement. Ça peut être un outil pertinent, mais ce n’est pas une fin en soi. Au niveau des chartes, il s’agit d’un engagement moral mais qui n’implique pas de suivi, ce n’est donc pas de mon point de vue l’outil le plus pertinent, même s’il peut permettre de lancer une dynamique. Avec les labels, ce qu’il y a de positif, c’est que ça donne une “To Do List” permettant aux organisateurs d’avoir une feuille de route pour une démarche éco-responsable. C’est surtout pertinent quand ces labels exigent un contrôle comme The Greener festival : il faut donner des factures, des référentiels, il y a un suivi tous les ans. Ça demande un vrai travail de fond de la part de l’organisateur. Pour Eco Manifestation Alsace, il y a un système d’audit où l’on doit vérifier les différents éléments.
Avez-vous des exemples à nous partager de festivals qui ont su se réinventer et agir dans la bonne direction ?
Plein ! Il y a un événement qui s’appelle Regards de Mômes en Ile-et-Vilaine, près de Rennes. Ils ont beaucoup réfléchi sur la question des déchets et ils arrivent à sortir avec 3 grammes de déchets par visiteur sur un espace en extérieur, avec de l’alimentation. Il y en a un autre, Oniri 2070 : la Compagnie Organic Orchestra. Ils transportent tout leur matériel dans les sacoches de leurs vélos, de spectacle en spectacle, sur un petit territoire. Je trouve que c’est un modèle intéressant. Vous pouvez retrouver l’interview du directeur artistique Ezra sur la chaîne EVVI Inspiration.
J’ai également été à la rencontre des Disjonctés à Brive-la-Gaillarde, qui ont pensé un événement sans électricité. Ils jouent beaucoup sur la lumière et sur les ambiances. La démarche était très intrigante. Mais je pense aussi à la Mad Jack, Ciné Cyclo ou encore Chahut au Château dans le Jura. Ce sont des exemples d’événements qui vont loin dans la réflexion et inventent les futurs codes. Ce sont des événements pionniers, ils font vraiment de l’expérimentation et c’est pour ça que tout n’est pas parfait, loin de là mais ils essaient et pour moi c’est ce qui est le plus important.
Pour en apprendre davantage et retrouver le travail de Charlotte Rotureau, vous pouvez vous rendre sur la chaîne Youtube EVVI Inspiration, s’inscrire à la newsletter, ou la suivre sur Facebook.
Propos recueillis par Zoé Guillemot de Liniers, Baran Cengiz, Enora Bariou, Victoire Youf, Mathilde Caud, Alexia Maune, Anna La Fonta, Bérénice Saïag, Claire Eouzan, Marina Zhabina, Victoria Fert et Elise Arnaud.
Rédigé par Zoé Guillemot de Liniers et Elise Arnaud
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