Charley Toorop – Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris
Déjà en 1994 le MAM, poursuivant son investigation de la peinture européenne de l’entre-deux guerre, avait consacré une exposition exceptionnelle à la Hollande. « La beauté exacte », rendait compte de l’avant-garde néerlandaise qui jusqu’à cette date n’avait su sortir de la gangue dans laquelle elle s’était laissée enfermer, épuisée qu’elle était par Vermeer et Rembrandt. De Van Gogh à Mondrian, l’exposition avait su montrer comment la scène artistique néerlandaise s’était imposée entre tradition et modernité. Explorant deux grands axes, Réalités naturelles et Réalités Abstraites, l’avant-garde néerlandaise avait vu s’épanouire des personnalités fortes telles Charley Toorop ou les trois plasticiens de De Stijl que furent Bart van der Leck, Théo van Doesburg et Pietr Mondrian.
Or cette rétrospective sur Charley Toorop sonne un peu comme une redite. Ses tableaux les plus intéressants étaient déjà présents en 1994 et n’apportent aujourd’hui aucun éclairage nouveau sur l’art des Pays-bas à cette époque. De ses années d’apprentissage, on sent l’honnête volonté de se démarquer de son père Jan Toorop, l’un des plus célèbres peintres néerlandais du moment, symboliste et néo-impressionniste, pour s’essayer aux apports modernes du fauvisme, du cubisme et de l’expressionnisme.
C’est surtout dans l’art du portrait que Charley Toorop se révèle et opère une filiation avec la tradition néerlandaise. Et plus exactement dans l’autoportrait, nullement assujetti aux contraintes de la commande. A l’instar de Rembrandt, l’artiste établit comme une chronique de son propre visage à travers le temps. Elle scrute les changements qui s’y opèrent dans une objectivité toute singulière et impose au spectateur son regard sans complaisance. La figuration est frontale, les yeux sont hypertrophiés, la forme est épurée et toujours construite dans un espace pictural le plus plan possible. Comme dans ce tableau, Le repas des amis, peint entre 1932 et 1933, Charley Toorop se sert de la tradition hollandaise des portraits de groupe en rassemblant tous les personnages en rang sur un même plan. Les corps sont quasi inexistants, ils ne sont plus que bouches, nez et yeux exorbités, sans soucis de proportions puisque la vérité ici s’inscrit davantage dans l’idée que dans sa soumission au réel.
C’est peut-être dans les rapports qu’a entretenu l’artiste avec les avant-gardes de son pays que l’exposition s’avère la plus intéressante. Oeuvres superbes de Zadkine, Léger ou Mondrian, photographies et films montrent son amitié et ses liens avec l’élite artistique de l’époque. Attentive, il est fort probable que Charley Toorop ait regardé également pour elle-même du côté de la nouvelle objectivité allemande tel Otto Dix plutôt que vers l’abstraction géométrique de son ami d’enfance Pietr Mondrian. Restant viscéralement attachée au réalisme pictural, elle n’en a pas moins contribué, consciemment ou non, à créer des ponts entre les arts et les idées artistiques nouvelles de l’époque, plaçant la Hollande au cœur de la modernité artistique après tant de siècles d’éclipse.
Mais « bâtisseuse de ponts», n’est-ce pas justement la signification de son troisième prénom : Pontifex !
Karine Marquet
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A lire aussi sur Artistik Rezo :
– Sturtevant au MAM
Charley Toorop
Jusqu’au 9 mai 2010
Du mardi au dimanche de 10h à 18h, le jeudi jusqu’à 22h
Tarifs : de 3,50€ à 7€
Musée d’art moderne de la Ville de Paris
11, avenue du Président-Wilson
75016 Paris
[Visuel : Palais de Tokyo, Paris, abrite le musée d’Art Moderne de la ville de Paris et un centre d’art contemporain, février 2007. Travail personnel de Pline. Licence Creative Commons Paternité – Partage des conditions initiales à l’identique 3.0]
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