Ces passionnés qui font de leurs domiciles des espaces d’exposition
Des Beaux-Arts à l’art contemporain, l’Histoire de l’Art s’est écrite au fil de toute une série d’expérimentations, venues alimenter notre perception de l’art. Intéressons-nous à une initiative remarquable pour ce qui est de la présentation des œuvres : les expositions organisées dans des espaces domestiques. Rencontre avec Anne Deuker, dont l’AppARTement, à Montbéliard, est devenu un véritable lieu d’effusion artistique.
L’art ne serait-il pas, par essence, le lieu de toutes les expérimentations ? En ce sens, on se demande pourquoi d’instinct, en tant que lieu d’exposition, nous avons tendance à penser presque exclusivement aux musées et galeries… Si les œuvres d’art permettent d’aller à la rencontre de tous les possibles, pourquoi n’en irait-il pas de même de la façon de les montrer ?
Dès les années 1980, l’historien de l’art Jan Hoet a marqué l’Histoire de l’Art en initiant le projet “Chambre d’amis”. Une cinquantaine de maisons sont investies par des œuvres d’art. Depuis, on voit ici et là des passionnés qui reprennent en main cette belle ambition : placer l’art contemporain au plus près du public – une façon de mettre fin à la pensée selon laquelle il serait élitiste. C’est une aspiration que l’on retrouve chez Anne Deuker, qui se plait à offrir un espace où l’on peut se sentir bien, que l’on soit visiteur ou artiste…
Comment vous est venue cette envie de faire de votre domicile un lieu dédié à l’art ? Travaillez-vous dans le secteur culturel ?
Aujourd’hui, à côté de l’AppARTement, j’ai un travail qui n’a pas grand chose à voir avec l’art, mais ça a toujours été parmi mes envies. Je dirais que j’ai toujours baigné dans le milieu. Plus jeune, j’avais plusieurs amis qui étaient un peu embêtés s’ils voulaient créer de grosses pièces alors qu’ils vivaient dans des petits studios, ou qui avaient besoin de matériel et d’outils. Alors mon idée quand j’étais toute jeune, quand j’ai commencé à travailler, c’était de créer un atelier pour les artistes, en mettant des outils à leur disposition. Finalement, ça n’a pas fonctionné. Quoi qu’il en soit, déjà à ce moment, j’avais cette idée de créer quelque chose par rapport aux artistes.
Quelle est donc l’histoire de cet “AppARTement” ?
J’ai acheté une ancienne clinique vétérinaire, que j’ai retapé pour en faire un logement. Mon appartement est vraiment fait à mon goût – c’était une clinique vétérinaire donc j’ai travaillé les espaces comme j’avais envie de les travailler. Finalement, bien que ce soit un appartement, ces espaces se prêtent bien aux expositions : il y a des murs, il y a une circulation évidente, peu de portes (seulement pour les chambres et les sanitaires)… On peut donc circuler sans soucis.
Un jour, un ami artiste devait faire un atelier ouvert, mais il lui était difficile d’accueillir dans son propre atelier. Je lui ai donc proposé de faire ça dans mon appartement. C’est comme ça que j’ai fait une exposition dans mon appartement pour la première fois. Ça a très bien fonctionné, et j’ai gardé ça dans un coin de ma tête… Ensuite, je suis passée au travail à 90%, ce qui m’a libéré un peu de temps et je me suis dit que c’était le moment de m’y mettre.
Vous vivez donc vraiment ici ?
Ah oui, ce n’est pas une galerie ! C’est un peu la mode des galeries qui transforment leur déco pour ressembler à des appartements, mais ici, c’est mon vrai domicile ! J’aime que dans ce domicile, il y ait toujours du passage.
Votre propre expérience de visiteuse a sans doute eu son influence sur votre façon de penser votre projet ?
J’ai toujours aimé aller voir des expos dans des lieux moins conventionnels. Le cube blanc et froid, où on fait le tour sans pouvoir s’asseoir, où on voit une œuvre qui nous plait et devant laquelle on se contente de passer un instant, puis où on n’a plus que la porte de sortie… J’avais vraiment envie de quelque chose de différent. Je voulais un endroit où on est accueilli, où c’est chaleureux.
Alors oui, ici, les lumières sont imparfaites, les murs ne sont pas tous des murs blancs… et c’est tant mieux ! Cela permet d’ailleurs aux artistes d’avoir leurs œuvres en situation. Et pour les visiteurs, de voir ce que ça donne vraiment – ne serait-ce que par rapport à un fauteuil ou un canapé. Parce que dans une galerie, on n’a pas la notion de l’espace, ici il est plus facile de se rappeler notre chez-soi.
Comment se déroule la mise en place des expositions ?
Ce que je demande aux artistes, c’est de s’emparer du lieu. Ils peuvent y prendre la place qu’ils veulent, en général, ils prennent toutes les pièces ! Je veux qu’ils se sentent à l’aise. D’ailleurs, pour les vernissages, je leur demande une playlist. Pour moi, c’est important qu’on entre dans leur univers. Autour des œuvres, on essaie aussi d’adapter la déco, de faire des clins d’œil qui se rapportent aux œuvres.
Et pour le choix des artistes exposés ?
Parfois, ce sont les artistes qui viennent à moi, d’autres fois c’est moi qui vais les chercher. Et puisque je vis au milieu des œuvres, ça fonctionne aussi au coup de cœur ! Il me faut non seulement un coup de cœur pour l’œuvre, mais aussi pour l’artiste… L’idée est ensuite de faire vivre l’expo, j’organise des événements autour, des concerts, des performances, des cafés style “auberge espagnole”… Cela prend du temps et de l’énergie, donc le côté humain compte beaucoup.
Dans les lieux habituels, il y a souvent le vernissage et c’est tout. Ici, je fais aussi en sorte que l’artiste en rencontre d’autres, et qu’ils prennent envie de travailler autre chose ensemble… Ensuite, ils se mettent à travailler sur d’autres projets hors de l’AppARTement. Je suis toujours très contente de voir que l’AppARTement est aussi un lieu de rencontre pour les artistes.
Donc au-delà d’être un espace d’exposition, il y a toute une partie événementielle ?
Oui, et ce sont presque tous des événements gratuits. En ce moment, on travaille sur une exposition de gravure, avec le Strasbourgeois Eric Meyer. Il a animé un atelier de gravure, et même si on aurait pu accueillir plus de monde, on a limité les places. On voulait que les participants profitent au mieux de l’expérience, qu’on puisse travailler avec chacun.
Quels sont les retours de la part des artistes ?
Ils sont généralement contents, d’autant qu’ils n’ont pas l’habitude de vivre des expériences comme celle-là. Je suis entourée de gens très bienveillants, qui aiment l’endroit, le concept, et qui veulent faire des choses. Pour un concert, j’ai fait venir un violoncelliste de l’Orchestre national de France. Il n’a pas attendu de rétribution, il est venu pour le plaisir… ici, il y a un parti pris de proximité.
Et pour ce qui est du public, qu’observez-vous ? Des gens qui ne vous connaissent pas osent-ils passer la porte ?
Il y a plein de gens qui viennent sans qu’on se connaisse, mais bien sûr mon cercle s’agrandit vite ! Je remarque qu’il n’y a pas de typologie précise dans les visiteurs, il y a aussi bien des personnes très jeunes que des plus âgés.
La seule chose que j’observe, c’est qu’il y en a beaucoup qui viennent ici, alors qu’ils n’osaient pas aller dans des galeries classiques, en se disant que c’est réservé à une élite. Ici, on est accueilli, on peut papoter, boire un café… il n’y a pas cette idée de devoir être spécialiste pour apprécier, c’est plus détendu. Bien sûr, je leur conseille ensuite d’aller aussi dans les musées et les galeries ! Ça ne peut que faire plaisir aux galeristes d’accueillir plus de monde.
Et pour l’avenir ? Si ça se développe beaucoup, envisagez-vous de déménager dans un logement plus grand ?
Non. Je pense que le style de l’appartement y est pour beaucoup. Il est atypique, il a vraiment son identité. Je n’aurais pas envie de le dupliquer. Mon idée, dans quelques années, quand je serai à la retraite, ce serait de faire encore plus de choses !
En plus, il y a une chambre d’hôtes. J’avais toujours rêvé d’avoir une chambre d’hôtes dans un lieu d’art, ça n’existe pas beaucoup ! C’est aussi utile pour accueillir des artistes ; tout le monde a son confort.
À vos agendas !
Un événement assez exceptionnel se prépare… Au moment de la Fête de la Musique, l’AppARTement sera ouvert pendant 24 heures. Du 21 juin midi au 22 juin midi, c’est aux visiteurs d’avoir champ libre sur les murs ! A vous de venir peindre, colorier, jouer de la musique…
L’AppARTement est ouvert le vendredi et le samedi de 14h à 20h. Hors de ces créneaux, il est possible de prendre rendez-vous.
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