Cécile Schall : “J’ai fait tout ce chemin pour revenir à mon grand-père”
Pour ses 10 ans, fotofever investit le Bastille Design Center et dédie un étage à Roger Schall, photoreporter français incontournable des années 1930-1940 et grand-père de Cécile Schall, la fondatrice et directrice de fotofever. À quelques jours de ce rendez-vous phare de la photographie, Cécile Schall nous parle de son parcours et de la raison pour laquelle elle conçoit cette édition anniversaire comme un retour aux sources.
Fotofever, 10 ans. Nouveau lieu, nouveau format, et surtout un hommage que vous rendez à l’œuvre de votre grand-père, Roger Schall. Pourquoi ce choix ?
La genèse de fotofever, et plus largement ma passion pour la photographie, vont puiser dans l’histoire familiale, laquelle se prolonge au travers de ma propre expérience et de la manière dont je me suis construite. À ma naissance, mes parents étaient séparés. Mon père, également photographe, conservait les archives de mon grand-père, Roger Schall, dans son studio à Montmartre. Lorsque enfant je lui rendais visite, il y avait ce grand meuble à l’entrée du studio, rempli de planches contact, ainsi que des placards entiers de classeurs, qui contenaient eux-mêmes des parutions d’époque. Un véritable trésor, mais un trésor jalousement gardé ! Inaccessible à l’enfant que j’étais alors, il n’en devint que plus fascinant.
Ma frustration s’est lentement mue en obsession. Adolescente, je me suis mise en quête de tout ce que je pouvais trouver se rapportant à l’œuvre de Roger Schall, qu’il s’agisse de revues anciennes ou de livres que je chinais aux puces et chez les bouquinistes. Constamment à la recherche d’une trace de mon grand-père, je suis devenue l’une des premières collectionneuses de son œuvre. C’est ainsi que j’ai découvert le travail de Roger Schall, alors même que j’avais à portée de main – ou presque ! – le fonds le plus important qui soit.
Vous avez finalement obtenu cet accès au travail de Roger Schall…
Il m’a fallu pour cela attendre l’année de mes 40 ans et un changement d’orientation professionnelle. Lorsque j’ai annoncé à mon père vouloir me plonger dans les archives photographiques de mon grand-père, il m’a donné carte blanche. Durant deux ans, je me suis donc rendue chaque jour au studio de Montmartre. En dressant l’inventaire de son œuvre, j’ai pu mieux connaître l’homme qu’était mon grand-père et trouver ma place dans la continuité d’une saga familiale. Mon arrière-grand-père était déjà photographe au XIXe siècle, et mon père a repris le flambeau comme photographe publicitaire. En m’ouvrant son studio, il m’a aussi donné la clef d’une histoire familiale, celle des Schall, photographes de père en fils depuis trois générations.
L’accès inespéré au fonds de négatifs a permis la rétrospective Roger Schall au centre commercial Italie Deux en 2005. Pour l’occasion, j’avais sélectionné 64 photos sur le thème de Paris et cet événement rencontra un vif succès auprès du public. Il me valut cependant la réprobation de ma grand-mère, qui à la mort de son mari, s’était érigée en gardienne du temple, plus encline à la conservation qu’à la diffusion de son œuvre. Blessée par son incompréhension, je me suis détournée un temps de l’œuvre de mon grand-père pour concentrer mes forces, une décennie durant, sur l’aventure fotofever.
Comment définiriez-vous l’œuvre de Roger Schall ?
Roger Schall a débuté sa carrière comme photoreporter à la fin des années 1920. Troquant une passion pour une autre, il se résigne à vendre sa batterie de jazz pour financer l’achat de son premier Leica. Rapidement repéré pour la qualité de ses images, il travaillera pour les magazines VU et Vogue (Paris, Londres et New York), ainsi que pour tous les grands magazines illustrés de l’époque (Match, Picture Post, Life…). Roger Schall photographie pour eux la mode en mouvement et en extérieur, ce qui était à l’époque très novateur. Chanel, Hermès, Rochas, Schiaparelli, Lanvin : les grandes maisons de luxe font appel à lui pour présenter leurs collections et Roger Schall deviendra vite le photographe de l’élégance à la française. Son métier lui ouvre également les portes des grands événements mondains de l’époque : grands bals, premières… Il photographie notamment Marlene Dietrich, Colette, Michèle Morgan, Jean Cocteau, ou encore Marcel Cerdan. Derrière l’aura de la célébrité, Roger Schall nous donne à voir des figures humaines et complexes.
Il ne délaisse pas non plus les milieux populaires qui font l’âme d’une ville. Très attaché à Paris, Roger Schall lui rend hommage à la fois par ses photographies d’architecture et de parisiens de tous milieux sociaux. Des pêcheurs sur la Seine aux bitumeurs de Belleville, il rend compte des réalités qui traversent la ville. C’est tout un pan de l’Histoire et de la sociologie d’une ville qui se dessinent à travers son objectif.
Certaines de ses photos furent retenues pour figurer dans l’ouvrage collectif À Paris sous la botte des nazis, préfacé par le Général de Gaulle. Apolitique, Roger Schall se décrivait lui-même comme un illustrateur-photographe. Ses images du Paris sous l’Occupation, dont il fut l’un des rares photographes à témoigner, ont cependant conduit à des raccourcis fallacieux.
Le travail de Roger Schall apparaît encore trop peu connu du grand public. Comment expliquez-vous ce manque de visibilité ?
Tant reste à faire pour diffuser son œuvre, et contribuer à sa compréhension ! Le fonds photographique de mon grand-père est d’une richesse inouïe, tant sur le plan artistique qu’historique. Un premier travail a été fait, qui a permis de mettre à jour plusieurs centaines de photographies. C’est encore peu toutefois, au regard des quelques 80 000 négatifs que mon grand-père nous a laissés et dont une grande partie reste à découvrir.
J’entame à cette fin une vaste opération de numérisation de l’ensemble de ses archives, avec pour ambition de sélectionner chaque année 365 photographies de Roger Schall pour les présenter au public. Un travail de promotion et de diffusion de son œuvre qui permettra, je l’espère, de réintégrer Roger Schall au panthéon des grands photographes français. Après avoir promu de très nombreux artistes grâce à fotofever, j’en reviens à cette figure de mon grand-père, obsession originelle qui ne m’a jamais quittée…
Fotofever x Roger Schall, c’est donc un retour aux sources ?
Oui, et une manière de rendre hommage à l’œuvre d’un homme sans qui fotofever n’aurait jamais existé. C’est cette fascination pour mon grand-père et son œuvre qui m’a menée là où je suis. Cette histoire personnelle est au cœur de l’exposition fotofever x Roger Schall. J’ai fait tout ce chemin pour revenir à mon grand-père.
Depuis sa création en 2011, fotofever a permis de mettre en avant le travail de plus de 1 600 artistes grâce à la participation de près de 500 galeries venues du monde entier. La 10ème édition sera l’occasion de découvrir de nouveaux talents, toujours dans l’esprit Start to Collect, qui vise à amener de nouveaux publics vers la photographie. On peut démarrer une collection par la photographie contemporaine ou en (re)découvrant les grands maîtres !
La sélection proposée, issue du fonds Roger Schall, est constituée d’œuvres qui continuent de m’émouvoir. Je ne doute pas qu’elles sauront également trouver le cœur du public.
Propos recueillis par Aurélie Kahn
Informations pratiques :
fotofever Paris 2022
Du 11 au 13 février 2022
Preview et vernissage le 10 février 2022
Bastille Design Center – 74 Bd Richard Lenoir, 75003 Paris
Tarif plein : 12€ (14€ sur place)
Tarif Réduit : 8€ (10€ sur place)
Gratuité : – 12 ans et PMR
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