Cátia Esteves : “Je veux donner la parole à la matière”
À l’occasion des Journées Européennes des Métiers d’Art 2021, Cátia Esteves a ouvert son atelier pour nous plonger dans son univers où le rapport à la nature et à la rêverie tient une place centrale. Portrait de l’artiste-designer, participante de l’exposition nationale à la Galerie des Gobelins à Paris.
Cátia Esteves s’impose dans la scène de la création contemporaine en tant qu’artiste-designer. Rendez-vous à la mairie du XIe arrondissement de Paris pour admirer son lustre majestueux, Transition, qui trône au-dessus de l’escalier d’honneur.
Pendant la Nuit Blanche 2020, elle a impressionné avec son installation lumineuse sur la voûte (Sweet Dreams, 2016-2020) sous le pont Notre-Dame à Paris, une des installations favorites du magazine Vogue.
Pour l’exposition nationale des Journées Européennes des Métiers d’Arts (#JEMA2021) « Matière à l’œuvre, Matière à penser, Matière de Faire » à la Galerie des Gobelins à Paris, Cátia expose une suspension Poésia, spécialement conçue pour l’occasion.
D’origine portugaise, elle mène d’abord des études en architecture, avant de se tourner vers le design et l’artisanat, mais elle avait déjà réalisé des sculptures. « L’architecture », confie-t-elle, « était le domaine le plus proche à l’art et donc plus facilement accepté par mes parents ». Après une parenthèse dans un bureau d’architectes à Bruxelles de 2012 à 2014, elle vient à Paris se consacrer au design et artisanat. Vivant d’abord sur une péniche, elle a finalement posé ses bagages dans un atelier collectif proche de la Porte de Clichy en janvier 2021.
Donner une seconde vie aux déchets
Par sa démarche artistique, elle propose une réflexion sur les questions environnementales. À la recherche des matériaux « simples », tel qu’on le voit dans la vidéo L’histoire, Matter of Time, elle recycle des déchets, récupère des chutes à l’imprimerie pour les revaloriser en leur donnant une nouvelle vie. « L’objectif réside dans la transformation et de la ré-interprétation des matériaux de la vie quotidienne. Ce n’est pas parce qu’on les jette qu’ils n’existent plus ».
Habituée aux différents matériaux comme le carton, le fil de fer et le polystyrène (pour le luminaire Gota), Cátia se focalise depuis 2016 sur le papier comme principale ressource, même si le laiton s’est introduit récemment dans sa recherche. « Le papier est une matière qui répond, c’est-à-dire, qu’il m’offre encore beaucoup de pistes à explorer. Il garde les traces de sa raison d’être première que je peux étudier ».
Dans son processus du traitement de papier, elle trempe les bandes de papier dans l’eau, les broie avant essorage. Il en résulte une matière première avec laquelle elle peut ensuite pétrir, par exemple en étalant des bandes larges qui développent leur forme individuelle pendant le séchage. Ses recherches de longue haleine l’ont amenée à la conclusion que la matière « décide la forme finale de l’œuvre » ; en faisant ainsi, elle peut « donner la parole à la matière ». Le rôle de l’artiste, selon elle, est juste « mettre la matière jetée en valeur en lui donnant une deuxième vie et en la laissant s’exprimer ».
Une de ses premières œuvres, Gota, réalisée à partir des matériaux recyclés, pourrait se lire comme un appel à la réflexion sur notre relation avec la nature. Dans cette réalisation, Cátia fige le moment éphémère dans lequel la goutte est en train de se détacher de sa source. Un clin d’œil à l’humanité, dont les ressources naturelles se raréfient, comme cette dernière goutte qui est en train de disparaître.
Appel à l’imaginaire
L’idée de la fixation d’une forme en mouvement représente un vrai défi pour elle. À propos de sa sculpture Nuvem (portugais pour nuage, incorporé dans les Sweet Dreams), elle déclare : « C’est un vrai défi de représenter un corps qui n’a pas de limites et pas de forme fixe, car il est en constante mutation. Dans ma recherche, je me pose la question sur les moyens qui permettent au spectateur de découvrir la forme ».
L’artiste adopte une attitude contemplative. Ces créations invitent à la rêverie. En parlant du luminaire placé sur l’escalier monumental de la mairie du XIe arrondissement, elle s’intéresse à l’expérience du visiteur qui déambule dans l’espace. En montant et descendant les marches, celui-ci découvre l’installation sous différents angles : « J’invite des personnes à faire appel à leur imaginaire pour créer leur propre expérience ».
Placé dans un bâtiment rythmé des colonnes, le candélabre est composé d’une forêt des tiges en laiton ascensionnelles. Envahi par la pâte à papier, il enferme à jamais les gestes des doigts de l’artiste lors de son application sur les tiges. C’est comme si cette matière, à l’image de la nature, prenait possession du laiton, fait par l’homme, et reflétait l’ordre des colonnes de l’intérieur.
Pour y parvenir, elle porte aussi beaucoup d’attention à l’environnement de l’œuvre, « qui ne doit pas s’imposer ». Dans cette équation, la lumière est une autre variable qui dialogue avec la matière. Spécialement dans ces œuvres de Nuvem et Gota, le faisceau peut investir l’espace et diffuser la silhouette de la suspension dans l’environnement.
Projets passionnants
En ce moment, elle participe avec Sweet Dreams de 2016 à une exposition concoctée par l’Ambassade du Portugal à Paris dans le cadre de sa présidence du Conseil de l’Union européenne.
Cette exposition réunit les œuvres tridimensionnelles d’artistes portugais vivants associés à la France. Les modalités de la visite pour le grand public seront disponibles sur le site Facebook de l’Institut de Camões.
Propos recueillis par Esra Blohberger
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