Cap sur ARTEXPLORER, le futur bateau-musée
Sillonner la mer Méditerranée tout en proposant diverses expériences artistiques, c’est ce que fera bientôt le premier bateau-musée “ARTEXPLORER” en 2023. Interview avec Laurène Blottière, chargée de ce projet mené par la fondation Art Explora.
Bonjour Laurène, pouvez-vous vous présenter en quelques mots et décrire votre fonction au sein du projet ARTEXPLORER ? Pourquoi liez-vous spécifiquement l’océan et l’art dans votre profession ?
Je suis Laurène Blottière, responsable de projet pour le bateau-musée ARTEXPLORER qui sera mis à l’eau à l’automne 2023. Mon rôle est d’avoir une supervision générale de l’itinérance du bateau, d’organiser et de conduire les différentes phases du projet en coordination avec les équipes internes et externes dédiées.
J’ai passé un bac scientifique option SVT, avec le rêve de devenir océanographe ou archéologue. Finalement, j’ai suivi des études d’histoire de l’art et d’archéologie et j’ai travaillé dans le secteur culturel pendant plus de douze ans. À la Fondation Cartier notamment, où je me suis passionnée pour les expositions qui traitaient d’écologie et d’environnement, et je me suis de plus en plus documentée sur ces sujets. Puis j’ai pu rejoindre une aventure maritime et environnementale au sein d’Energy Observer, un navire-laboratoire, premier ambassadeur français des 17 objectifs de développement durable fixés par l’ONU, sillonnant les mers du monde afin de sensibiliser tous les publics à la transition écologique et énergétique.
Le projet de bateau-musée porté par Art Explora est à la croisée de ces domaines et des compétences que j’ai pu développer. J’ai eu la chance de rejoindre les équipes et de pouvoir ainsi allier deux de mes passions, l’art et l’océan.
Quels sont les enjeux de la fondation Art Explora ?
La fondation Art Explora a été créée en 2019 par Frédéric Jousset, acteur engagé de la culture et grand mécène. Elle explore et expérimente de nombreuses initiatives pour partager les arts et la culture avec le plus grand nombre. Elle souhaite créer de nouvelles conditions de rencontre et de partage avec tous les publics. Sa singularité tient d’ailleurs aux programmes qu’elle développe aussi bien dans le numérique, que dans le soutien à la création à travers des prix, des résidences d’artistes, qu’autour d’actions de médiation au sein des territoires grâce à de nombreux bénévoles, de projets de mobilité où finalement l’art va directement à la rencontre des publics. Le futur bateau-musée ARTEXPLORER en est un bel exemple !
Ce projet de bateau-musée relie l’art à l’océan. Que fait naître cette alliance ? Comment l’océan peut-il être une manière d’aborder l’art différemment ?
60% de la population mondiale vit à moins de 60 km des côtes. Avec ce projet, nous pouvons atteindre de nouveaux publics. Le bateau est un symbole fort d’exploration, de voyage et de découverte. C’est une formidable plateforme pour faire découvrir de nouvelles expériences artistiques à des publics curieux de monter à bord d’un catamaran, avec tout l’imaginaire que cela peut aussi générer. On relie physiquement deux mondes : l’océan et les arts, avec des expositions aux format inédits. Naturellement, la programmation intègre cette composante, notamment à travers une exposition imaginée par TBA21–Academy qui rendra hommage à la vie marine et à l’ensemble des écosystèmes de La Mar Menor, la lagune salée la plus grande d’Europe, située à l’ouest de la Méditerranée. Il y aura également des résidences d’artistes à bord, ainsi qu’un programme de sensibilisation aux questions environnementales que nous souhaitons développer durant les escales. L’océan est une source d’inspiration pour les artistes et un espace que nous devons tous apprendre à préserver.
Quels nouveaux dialogues fera naître le bateau-musée ARTEXPLORER ? Aura-t-il un rôle d’incubateur pour de nouvelles idées/projets/créations artistiques ?
Ce premier voyage en Méditerranée va permettre de connecter des mondes, des individus, des cultures différentes, de créer de nouvelles opportunités de cocréation, de participation et d’échanges. Ce projet est un grand laboratoire d’idées avec une approche collaborative et dans une dynamique de coopération culturelle. Par exemple, l’exposition numérique à bord du bateau sera le fruit d’un commissariat polyphonique d’artistes, conservateurs, chercheurs, cinéastes, critiques, sous la direction scientifique du Musée du Louvre. Par ailleurs, chaque grande étape dans le bassin méditerranéen sera l’occasion de déployer une exposition à quai et un festival pluridisciplinaire qui aura aussi lieu dans la ville. Une quinzaine de commissaires, de quinze pays différents, ont été réunis pour développer une programmation unique dans chaque port.
Les publics seront mis au centre du projet, qui sera construit en collaboration avec les associations et les institutions locales. En amont de l’arrivée du bateau, des projets associant des publics de tout horizon seront ainsi imaginés dans les différents ports.
Comment ont été pensés les enjeux environnementaux du bateau-musée et quel sera son impact écologique ? Comment ce projet vise-t-il à éduquer les consciences sur les enjeux écologiques et sociétaux actuels ?
Les enjeux environnementaux auront une place majeure dans ce projet, irriguant ces deux années d’itinérance en Méditerranée. Nous travaillons avec des experts tel que EcoAct et des partenaires pour mesurer, réduire nos émissions et tendre vers la neutralité carbone. Catamaran à voile, le bateau-musée ARTEXPLORER sera également équipé de panneaux solaires permettant d’assurer une partie de sa consommation énergétique. L’exposition éphémère et modulable, créée par Wilmotte & Associés, sera composée de conteneurs recyclés, permettant à la fois d’accueillir le public mais servant aussi de stockage à l’exposition pendant les transports par voies ferrées ou maritimes. L’impact carbone sera ainsi significativement réduit et sera par ailleurs compensée de manière volontaire, en soutenant des projets en Méditerranée notamment. Chaque étape fera l’objet d’une étude attentive pour mettre en place les meilleures pratiques et maîtriser l’impact social, économique et environnemental. Par ailleurs, nous souhaitons également intégrer des programmes éducatifs sur l’importance de la biodiversité et de la protection de nos mers et océans en lien avec des partenaires internationaux et locaux.
Qu’est-ce qu’apportera le caractère nomade et toujours en mouvement du projet Art Explora ?
La force du projet est de tisser des liens dans la durée, avec toutes sortes d’acteurs différents. C’est pour cela que nous travaillons avec le tissu local, la ville, le port, les institutions culturelles, les artistes, les associations, les ONG… et avec une quinzaine de commissaires qui travaillent et s’interrogent ensemble sur le projet, sur des programmes de résidences d’artistes croisées entre les pays par exemple. Nous souhaitons qu’il y ait des actions avant, pendant mais aussi après. Cette coopération culturelle c’est également une manière de penser de nouvelles méthodologies de collaboration mais aussi d’implication des publics.
Les visiteurs pourront avoir un accès libre et gratuit aux événements à bord du bateau. Qu’est-ce qui motive cette volonté de rendre l’art accessible et inclusif ? Quels types de publics particuliers cherchez-vous à atteindre ?
Nous sommes convaincus que l’art nous fait du bien ! Et donc du bien à nos sociétés. Nous souhaitons lutter contre les barrières géographiques, financières et sociales. Nous espérons que ce nouveau dispositif fera venir de nombreux curieux et des publics extrêmement variés, issus de tous les milieux. Notamment celles et ceux qui ne vont pas au musée et voudront simplement visiter un bateau et seront surpris, heureux, touchés ou amusés de découvrir une programmation à laquelle ils ne s’attendaient pas forcément !
Pourquoi la Méditerranée en premier ? Les ports d’escales ont-ils été choisis en raison de certaines spécificités (culturelles, logistiques, artistiques…) ?
La Méditerranée est un territoire d’histoires et d’échanges millénaires qui nourrit l’inspiration des artistes et invite à des dialogues interculturels. Ce fil conducteur permet de créer une cohérence dans la programmation.
De l’automne 2023 à 2025, ce sont plus de 15 pays qui participeront à cette aventure collective. Le bateau-musée sillonnera l’ensemble du bassin méditerranéen, du Maghreb jusqu’au Moyen-Orient. Le choix des ports d’escales répond en effet à plusieurs critères, logistiques bien sûr, nous devons pouvoir amarrer le bateau dans de bonnes conditions sur un lieu accessible au public et permettant d’accueillir les pavillons à quai. Le soutien de la ville et du port sont donc primordiaux mais nous essayons également de proposer un équilibre entre des dynamiques culturelles assez variées selon les villes.
Quelles seront les thématiques abordées dans votre projet culturel à bord du bateau-musée ? En quoi sont-elles importantes pour la fondation ?
À bord du bateau spécifiquement, le public sera invité à participer à un parcours sensoriel et immersif : une exposition numérique et un voyage sonore en Méditerranée. L’exposition numérique (technologies audiovisuelles immersives), dans la galerie intérieure du bateau, portera sur une réflexion autour du rôle des figures féminines à travers la Méditerranée, basée sur une sélection d’œuvres des collections du Louvre. Le voyage en Méditerranée proposé sur le pont supérieur avec l’Ircam, sera une spatialisation sonore, à la découverte de la Méditerranée à travers de nouveaux paysages sonores imaginaires ou réels.
Enfin – et même s’il n’a pas encore officiellement commencé – quel est le futur envisagé pour ce projet ?
Un long et beau futur ! Les prochaines itinérances ne sont pas encore fixées mais l’objectif est bien de faire un tour du monde pour partager les arts et la culture avec le plus grand nombre.
Propos recueillis par Anaïs Delort
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