Bleg : “Quand je créé, je perçois réellement notre absence de libre arbitre”
Bleg un artiste Lyonnais nous fait découvrir son univers. Sa sensibilité, son processus créatif, ses envies, tout y passe. Bleg nous livre sa vision de son art.
Pouvez-vous définir en quelques mots votre travail ?
Mon travail est très graphique, souvent noir et blanc, il repose sur l’utilisation de lignes homogènes plutôt épaisses, avec lesquelles je trace des créatures rêvées, entre l’humain et le monstre. Je suis souvent tiraillé entre la recherche du minimalisme abstrait et de l’univers grouillant de lignes proposant de multiples scènes.
Racontez-nous votre histoire, comment avez-vous commencé à dessiner ?
Je suis passionné de dessin depuis tout petit, j’ai toujours eu la “fibre artistique”. Mais je n’ai jamais suivi de formation, au-delà des cours d’arts plastiques au collège et lycée. Après le lycée j’ai poursuivi vers de longues études d’ingénieur et d’architecte, j’ai donc laissé l’art de côté pendant quelques années. Mais c’est revenu d’un coup, en 2019 et j’ai enfin décidé de créer de façon régulière, de développer un univers personnel et surtout, de montrer mon travail sur les réseaux sociaux. Cela va donc faire 3 ans que je me suis lancé dans cette aventure créative et c’est comme si l’enfant qui dessinait était de retour.
Quelles sont vos inspirations ?
J’ai été bercé par Picasso et Dali et je pense qu’ils ont clairement forgés mon univers aujourd’hui. Plus jeune j’ai eu la chance de beaucoup voyager et de visiter de nombreux musées européens et d’observer le travail des grands peintres du XXe. Plus tard j’ai découvert le street art, le mouvement dada, ou encore le Bauhaus et je pense que tout cela s’est mélangé dans ma tête pour me créer l’imaginaire artistique que j’ai aujourd’hui.
Je consomme énormément d’art au quotidien, musique, films, peintures, illustrations. Et je pense que cela me permet d’avoir une énergie créative presque sans fin. Il m’arrive de peindre des dizaines de pièces à la suite, pendant que les heures filent sans que je ne m’en rende compte. Et je peux ensuite recommencer le lendemain ! La musique a vraiment une place spéciale, elle est toujours présente quand je crée et oriente fortement le résultat final de mes créations. J’associe de façon automatique les sons à des formes, des textures, des couleurs et c’est pourquoi bizarrement j’ai l’impression que je pourrais décrire mes créations avec des morceaux de musique.
Quel est votre processus créatif ?
J’ai découvert la méditation à-peu-près en même temps que le début de mon projet artistique et je dois dire que pour moi ces deux pratiques sont vraiment complémentaires. Lorsque je crée, je ne sais presque jamais à l’avance ce que je vais faire. Je laisse ma main choisir une première ligne, puis compléter le dessin en fonction de ces premières marques. Ma formation scientifique et technique, me guide je le pense, vers une recherche d’homogénéité et d’équilibre. Il faut que les lignes soient de la même épaisseur, qu’elles soient à la même distance, qu’elles suivent un rythme fixe… J’ai pleins de petites obsessions qui ressortent quand je crée, qui sont à l’origine des productions. C’est comme si j’avais des règles de grammaires “graphiques” que je dois respecter, avec lesquelles je compose des phrases en utilisant les mots de mon “vocabulaire”, qui sont ces formes de mains, de profil, de pieds, de seins.
Mais plus largement je travaille directement sur les supports, sans esquisses, ni idées préconçues de ce que je vais produire à l’avance. C’est la surprise à chaque fois ! Et c’est à double tranchant, ça peut être extrêmement frustrant quand la création n’est pas à mon goût, ou complètement addictif quand je suis touché et ému par la pièce que je viens de produire. C’est réellement un sentiment étrange, car j’ai aujourd’hui encore l’impression que je ne suis pas l’auteur de mes dessins, c’est comme si j’observais mon cerveau le faire sans savoir si je serais capable de refaire la même chose le jour suivant. Quand je crée, je perçois réellement notre absence de libre arbitre.
Vos lignes ont-elles une histoire à raconter sur le papier ?
Je suis bien embarrassé quand on me demande ce que telle ou telle création cherche à dire. Car je l’ignore la plupart du temps. Je me laisse porter par le moment et finalement ce que je produis sont des instantanés de ma vie, dans un langage symbolique que je ne suis même pas sûr de totalement maitriser. Je pense qu’il y a une grande part d’inconscient dans mon travail, ce qui fait que le public peut y voir un petit peu ce qu’il veut. Je sais ce qu’un tracé représente quand je le trace : un bras, une jambe, une chevelure… Mais mon langage graphique très simplifié, presque abstrait, brouille cette lecture pour une personne n’ayant pas suivi la totalité de mon cheminement de pensée. Cela crée un décalage entre ce que j’exprime et ce que le public peut ressentir et bizarrement je trouve ça très intéressant. Cela nous ramène à notre individualité brute et à l’incapacité que l’on peut avoir à lire complètement ce qu’un autre peut ressentir, comprendre, penser.
Je travaille souvent sur la mélancolie, la tristesse, la peur, des sentiments assez négatifs mais aussi très humains. Je pense que je purge ces émotions en les laissant aller sur le papier.
Pouvez-vous nous parler du collectif Omart ?
Omart c’est avant tout une opportunité géniale ! Chaque année, 12 artistes émergents lyonnais sont sélectionnés pour rentrer dans le collectif. Nous proposons chacun trois créations qui sont ensuite reproduites par Omart et louées à des entreprises pour ajouter un peu d’art dans leurs locaux. Donc pendant une année, nous sommes mis en avant et chaque artiste bénéficie d’un mois d’exposition pour présenter à la vente son univers, ses travaux, ses œuvres. L’idée est de créer un petit groupe d’artistes soudés, pour s’entraider, apprendre et se faire connaitre sur la scène lyonnaise, voir au-delà.
Comment avez-vous vécu la dernière année, artistiquement parlant ? La situation sanitaire vous a-t-elle inspirée ?
Personnellement c’était une année extraordinaire créativement parlant. Je n’ai jamais été aussi productif, pendant le confinement j’ai utilisé les réseaux sociaux comme un tremplin. Tout le monde était chez soi, sur son téléphone et j’ai utilisé ça pour partager mon travail quotidiennement. J’ai lancé de nombreux projets, j’ai par exemple envoyé gratuitement des dessins dans des dizaines de pays, c’était génial de voir mes petites cartes à Taïpei ou encore à Téhéran ! Elles voyageaient pour moi, alors que nous étions tous enfermés chez nous. J’ai eu le temps de lancer mon site internet, ma newsletter, j’ai déménagé dans un grand appartement avec un atelier dédié à l’intérieur. Je pense que cette accélération dans mon projet est vraiment liée à cette pandémie et au fait que nous étions tous obligés de nous recentrer pour ne pas sombrer dans la folie de l’isolement.
J’ai remarqué que vous vous êtes essayés à la linogravure, est-ce une technique qui vous a plu ?
J’ai vraiment adoré cette technique et je vais clairement continuer à expérimenter dans cette direction ! Mon travail étant finalement assez “lisse” je cherchais à ramener du grain, de la texture tout en conservant un travail de la ligne épuré et homogène. La linogravure était la technique parfaite. Quand je travaille une linogravure je commence exactement de la même façon que pour une création papier ou toile. Je me lance à l’aveugle avec mon marqueur sur la plaque de lino et j’y trace mes lignes. Je grave ensuite la plaque, et j’imprime “à la main”, sans presse, pour conserver ce côté aléatoire, pleins de petites imperfections. J’avais du mal à accepter ce côté granuleux au début, je cherchais une impression parfaite et lisse. Mais je me suis vite rendu compte que le charme des impressions venait de ces petits nuages blancs sur le résultat final. Encore une fois cela m’a mis face à mes obsessions, pour ensuite lâcher prise et accepter l’aléatoire et l’imprévu.
Avez-vous des envies particulières pour vos projets futurs ?
J’ai récemment travaillé sur un grand mural dans les bureaux d’une grande agence d’architecture à Lyon, pour lequel j’ai développé une nouvelle technique que j’ai envie d’explorer. J’utilise un dessin à la main, que je reproduis ensuite à une échelle bien supérieure en utilisant deux mines de graphites alignées sur une règle. Je trace ainsi les lignes sur le mur presque de la même façon que je trace les lignes sur ma feuille de papier, avec un mouvement libre et instinctif.
Depuis que j’ai trouvé cette manière très rapide et propre de créer à une grande échelle avec exactement le même rendu que lorsque je travaille sur papier, je n’ai qu’une obsession : travailler le grand. J’ai aussi envie de sortir plus souvent mon travail dans la rue, avec le street art. J’ai commencé à utiliser des panneaux d’affichage libres pour y coller de grands formats et j’adore le résultat ainsi que le retour du public. Sinon je me laisse bercer et je prends les projets au fur et à mesure des propositions et des opportunités, j’attends donc de voir ce que 2021 nous prépare !
Vous pouvez retrouver le travail de Bleg sur son site et son Instagram
Propos recueillis par Pauline Chabert
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