Bertille Rouillon : “Ce qui m’intéresse c’est de discuter le lien qui existe entre le corps et l’espace”
Créative et novatrice, Bertille Rouillon a développé son approche du design, de l’art et du textile, à Nantes, Lyon, Paris et Londres. Elle partage avec nous son attrait pour le développement durable et nous présente son projet textile.
Tu as étudié pendant un an en résidence. Comment ta pratique de designer a-t-elle évolué dans ce contexte ?
J’ai en effet été en résidence au Mobilier national Les Gobelins à Paris. Ce master était très intéressant parce que je voulais m’ouvrir légèrement à d’autres domaines du design, tout en étant forte de mes savoir-faire textiles. J’ai pu travailler en collaboration, en apportant mon regard de designer textile, et en travaillant en lien avec d’autres regards. Ce qui est fascinant c’est que peu importe le domaine de design dans lequel tu te trouves, il y a toujours des liens qui peuvent se faire entre les différents champs du design.
Ce côté transdisciplinaire enrichit chacun, ce qui enrichit le projet. Ça permet d’aller encore plus loin dans un projet, d’avoir différentes perceptions et différentes actions. Les compétences sont démultipliées. Tu développes aussi des compétences humaines : travailler en groupe, écouter les autres et savoir prendre la parole quand il le faut.
Peux-tu nous décrire ton projet en quelques mots ?
J’ai toujours été très sensible au rapport au corps et au textile, sans pour autant être proche du stylisme. Je reste proche de la matière en elle-même. Donc cette année, ce qui m’intéresse c’est de discuter le lien qui existe entre le corps et l’espace. Je veux interroger ce dialogue par le biais du mouvement. Pour ça, je cherche à faire vivre des surfaces en 3D. Comme des parois évolutives, je veux qu’elles puissent être flexibles, avoir la capacité d’être modulaire dans l’espace. Il y a différents aspects : le côté open source c’est le côté développement durable alors que le côté structure flexible, c’est le côté textile.
Comment s’articule ton projet ?
Je me focalise sur 3 aspects. Concernant le textile en lui-même, j’utilise une technique de tissage spécifique : le Shibori tissé. Ça permet d’avoir un textile qui est souple et modulaire. On peut le stretcher, il peut se rétracter et s’ouvrir. Je voulais avoir un élément qui puisse avoir la capacité d’être volumineux, d’être un élément actif et non pas un élément de revêtement. Je travaille avec des fibres de chambre. C’est un matériau qui est intéressant pour ses qualités durables. La plante consomme peu d’eau, possède des capacités importantes d’isolation, de filtration, et peut entièrement être compostée. C’est biodégradable. Il n’y a pas que cet aspect de textile durable qui m’intéressait.
Le textile en lui-même est entouré d’un cadre modulaire, comme un puzzle, avec des unités qui s’emboîtent et se déboîtent. Je voulais animer ce cadre textile pour que ça transforme une pièce. On peut créer différentes structures à chaque fois. Je trouve que d’un point de vue durable, c’est intéressant parce que c’est une conception qui peut être collaborative. Chaque consommateur peut s’approprier la structure. Il y a un aspect social, collectif, qui permet de développer de nouveaux espaces sociaux. Ça encourage aussi la réutilisation des objets, faire durer l’objet dans le temps.
Le dernier aspect, c’est de faire valoir la relation entre le corps et l’espace, à travers ces structures. Selon moi, elles incitent chacun à être plus conscient de ses sens, notamment du toucher. Elles invitent les gens à aller vers le matériau. C’est un aspect qui me semble essentiel aujourd’hui. On ressent le besoin humain d’être au contact et de toucher les choses. Le textile est pour moi un faire-valoir du côté multi sensoriel, à la fois l’odeur assez particulière du chanvre qui attire et surprend, et aussi le toucher. Il y a un aspect corporel : pouvoir transformer un objet, ce qui permet d’avoir un investissement du corps qui est très présent.
Comment as-tu développé ton projet dans le contexte de la crise sanitaire ?
Pendant cette période de quarantaine, j’ai développé un aspect sonore avec un designer son. On a interprété et transformé le rythme, les motifs, les contraintes de mes textiles en ondes sonores, avec les mêmes caractéristiques. Ça permet d’apporter un autre aspect sensoriel, de développer encore plus la relation du corps avec l’espace.
Qu’est-ce que ce projet représente pour toi ?
Je le perçois comme une compétence textile dans l’espace, une compétence open-source. Mes unités modulaires sont en lien avec une société open-source : open-structure. Ils ont une grille de construction d’objets qui est similaire pour tous les gens qui créent et ça permet de créer un Wikipédia de fichiers, accessibles à tous en ligne.
Donc nos unités modulaires en 3D on pourrait les mettre en ligne, pour que chacun puisse les télécharger et recréer la même chose. Donc ça c’est une compétence de mon projet qui m’intéresse. Il y a aussi le studio Samira Boon qui m’intéresse, à Amsterdam, qui travaille avec des structures textiles intelligentes. Ce sont des inspirations pour moi. Ça aurait du sens de travailler avec eux. C’est plus des compétences que je développe, et qui m’intéresseraient de recouper avec des savoir-faire actuels dans des studios ou entreprises.
Quels sont tes objectifs actuels ?
J’ai beaucoup d’intérêt pour le savoir-faire à Paris, notamment des grandes entreprises comme Hermès, qui me plaisent à travers le savoir-faire ancré d’une technique, et de la couleur. Surtout qu’ils expriment une volonté de s’ouvrir à une réflexion plus durable. J’ai vu qu’ils commençaientt à lancer une ligne de bijoux en ayant une réflexion sur les matériaux qui puissent être plus écologiques et ça me parle. Je trouve que c’est intéressant de commencer dans une boîte qui puisse avoir de fortes compétences et qui ait la volonté d’innover. Ce qui me parle aussi ce sont des studios qui vont être un peu moins connus mais qui vont avoir la volonté de s’ouvrir vers une réflexion à plus long terme sur l’environnement.
Par exemple, Daan Roosegaarde, designer d’objet Danois, m’intéresse beaucoup pour ses projets et son développement de nouvelles technologies en faveur de l’environnement. Ça me parle au-delà du design textile. Je pense aussi à Bart Haas qui fait des expérimentations textiles avec le corps et qui va avoir une réflexion sur le monde d’aujourd’hui. Je suis particulièrement intéressé par les savoir-faire techniques mêlés à une volonté de mieux être. Le studio open-structure me parle beaucoup dans ce savoir-faire open-source qui est récent, novateur en design. Le studio cherche à inviter les gens à créer, pour une conception partagée. Je trouve que c’est très riche et pertinent. En effet, à l’avenir, on va surement être amené à créer nos propres objets, donc il faut réfléchir à comment percevoir et concevoir des designs protégés et à la fois ouverts.
Est-ce que pour toi c’est essentiel de porter des valeurs en tant que designer textile ?
Aujourd’hui, on voit que la faune et la flore reprennent un peu de liberté quand on est confiné. On est alors amené à réfléchir à ça. Je considère que l’on est conscient de ce qui se passe d’où l’importance d’agir. Si à mon échelle, en étant notamment dans une entreprise textile qui est extrêmement polluante, on peut avoir quand même une réflexion pour un mieux-être, pour adapter notre conception des choses, je veux travailler en lien avec cette évolution. Je veux trouver des moyens d’améliorer des choses, de les penser autrement.
Découvrez son travail sur Instagram.
Propos recueillis par Célia Taunay
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