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Artisanat et transition écologique, rencontre avec Margherita Balzerani

Mona Dortindeguey 14 décembre 2020
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Margherita Balzerani © Angela Di Paolo

Aux côtés des artisans, cette passionnée d’art contemporain et de valorisation de la création accompagne depuis 15 ans les talents pour promouvoir leur activité. Retour sur les différentes facettes de sa carrière et son implication concernant la transition écologique et les nouvelles préoccupations qui entrent en compte dans les processus de création.

Pouvez-vous me raconter vos débuts ?

J’ai débuté mon parcours en historienne de l’art, en intégrant le département de l’action culturelle du Palais de Tokyo, où je suis restée sept ans. Ensuite comme curateur, j’ai réalisé plusieurs commissariats d’expositions sur des thèmes variés : l’art numérique, les rapports entre les jeux vidéos et l’art contemporain ce qui m’a conduite en 2010 à créer un évènement majeur, l’Atopic Festival qui a eu trois éditions, à la Géode, à la Cité des sciences et à la Gaité Lyrique dédié aux nouvelles écritures numériques : le machinima et les mondes virtuels.

Je ne me suis ensuite pas limitée à cet univers mais je me suis tournée aussi vers l’exploration des liens entre art et science, en particulier entre les nano-technologies et l’art contemporain, avec un projet anticipateur et innovant qui proposait à des artistes de travailler avec des scientifiques du CNRS et du Collège de France. Ce projet a duré un an, a généré plein d’expériences inattendues et produit de nouvelles œuvres qui ont été exposées en 2011 au Centre des Arts d’Enghien dans le cadre d’une exposition qui s’appelait Invisible et InsaisissableParmi les artistes figuraient : Eduardo Kac, Hicham Berrada, Michel Paysant, Stéfane Perraud, Raphaël Siboni, Fabien Giraud, Gerda Steiner, Jorg Lenzlinger.

Les différentes facettes de ma carrière m’ont souvent permis d’être au cœur des innovations et de faire le lien entre les processus de création et les matériaux.

En 2010, une grande opportunité s’est ouverte à moi, j’ai été nommée directrice de Lille Design, une plateforme de développement économique par le design pour les entreprises, les collectivités, et toute autre structure publique ou privée, individuelle ou collective souhaitant se développer avec les outils du design.

La mission de cette association est depuis 2010, de mettre au service de toute entreprise (TPE et PME), et même des politiques publiques, la nécessité du design, sa valeur ajoutée, son processus, et en quoi le design peut valoriser une démarche de production. Détachée de l’idée de simple décoration, la notion de design vient exister pour un véritable usage au service des personnes, les utilisateurs.

Salon International des Métiers d’Art, Lens © Angela Di Paolo

Vous avez par la suite approché le secteur de l’artisanat ? Quelle a été votre mission ?

Étant rentrée en région parisienne, j’ai aussi exercé une mission très politique, pendant quatre ans, en dirigeant l’Institut des métiers d’art et du Patrimoine en Haut de France, offrant un panel ouvert sur ces métiers d’excellence, en partant du plus classique (ébéniste /céramique…) et ceux plus rares (plumassier…). Ces derniers ont besoin d’être repensés, avec une remise en perspective des matériaux, on parle alors de transformation gagnante pour tous.

L’enjeux était de valoriser ces artisans, qui ne sont pas forcément rattachés à des circuits économiques classiques (dans le domaine du luxe, galeries avec les artistes, designers en agence…), mais leurs entreprise individuelle. Celles-ci comportent des enjeux majeurs, de pouvoir être dans une dynamique de création en se développant (démarchage et financièrement) et de transmettre leur savoir faire, mais aussi de permettre de vivre tout simplement en tant qu’artisan.

Atelier du livre d’art et de l’estampe. Salon International des Métiers d’Art, Lens © Angela Di Paolo

En 2015, en lien avec le Musée du Louvre-Lens, j’ai créé et dirigé le Salon International des Métiers d’Art, avec plus de 350 exposants venant du monde entier, et avec l’idée de valoriser et mettre en lumière les professionnels exerçant leur métier sur place, en live. Ce salon a eu un grand succès, devenant une vitrine de référence et un rendez-vous incontournable pour les professionnels et le grand public et nous avons atteint rapidement 22 000 visiteurs.

Salon International des Métiers d’Art, Lens © Angela Di Paolo

C’est un secteur passionnant, et également porteur n’est-ce pas ?

Par rapport au reste de l’Europe, la France est positionnée politiquement sur des évènements et des politiques publiques en faveur de la reconnaissance du secteur économique des métiers d’art. Cela passe par la reconnaissance de ce secteur économique, en valorisant les formations et l’apprentissage, et en s’appliquant à la dénomination précises des métiers, de la transformation de la matière ainsi que du savoir-faire et du “Made in France”.

Les métiers d’art sont un secteur économique porteur par l’excellence des savoir-faire, le choix des matériaux, et ces questions sont fondamentales pour la dynamique qu’ils engendrent, notamment de produire plus localement, mais également en revalorisant l’échelle sociale du territoire. Un grand travail de reconnaissance du secteur à été réalisé suite au rapport du député Philippe Huppé. 

Salon International des Métiers d’Art, Lens, Lycée Charlotte Perriand © Angela Di Paolo

Comment peut-on prendre ces réflexes à titre personnels ?

  • Les initiatives publiques œuvrent pour une valorisation de ces métiers comme la JEMA (Journée Européenne des Métiers d’Art) qui touche le grand public. Ses initiatives s’accordent avec la tendance et les ambitions croissantes du luxe et de certaines marques qui tendent à valoriser le travail minutieux “des petites mains” trop souvent dans l’ombre.
  • On peut noter Les Journées Particulières LVMH qui essaient d’aller dans le sens de cette accessibilité et de partage, ou bien Hermès avec les Rencontres “Hors les Murs”.
  • En 2016, le projet Manufacto est à mon sens une remarquable initiative de la Fondation d’entreprise Hermès avec le rectorat de Paris, en collaboration avec les Compagnons du Devoir et du Tour de France et en partenariat avec l’école Camondo à Paris.
  • Une autre initiative remarquable est sans doute celle portée par la Fondazione Cologni, en Italie notamment avec le projet Doppia Firma, qui propose à des designers et des artisans d’art de co-produire des produits.

Je suis convaincue que c’est auprès de l’artisan, dans son atelier, au sein d’une véritable alchimie de parfums et de sons, en l’écoutant raconter son histoire, et en le regardant travailler, que la magie opère. Parfois, on a envie d’apprendre le geste, ou de posséder un objet issu de sa création. En tant que citoyen, on comprend que notre acte d’achat va être dans un certain sens un acte politique.

Vous comprenez alors en poussant la porte d’un atelier, que lors de la fabrication d’un meuble par exemple, tout un processus de recherche et de création est nécessaire. Différentes phases sont à prendre en compte, la recherche de matériaux, le temps de réalisation avec un savoir-faire, qui permettent la production d’un pièce unique, ou en série limitée. L’objet a une histoire, est issu d’un savoir-faire d’exception, qui en fait sa valeur ajoutée et c’est ce qui le rend si unique et désirable.

Salon International des Métiers d’Art, Lens © Angela Di Paolo

Quelles sont vos missions aujourd’hui en tant que consultante ?

J’accompagne depuis deux ans, en tant qu’indépendante, les professionnels des métiers de la création, à la fois des artisans, des designers ou des artistes. Je les conseille autour de l’histoire de leur travail, comment la raconter et la mettre en valeur. Cela passe alors au travers de la communication, du marketing. L’aspect important est la valorisation de leur activité sur Internet, ce que l’on a vu avec le confinement, c’est le besoin de digitaliser ces structures, de passer au e-commerce et mettre en œuvre une démarche de “click and collect”. Un bon photographe et une rencontre avec l’artisan est alors nécessaire pour concevoir un environnement esthétique cohérent et attirant, en bref une véritable image de marque.

Salon International des Métiers d’Art, Lens, Le Tour et Jouet © Angela Di Paolo

Et vous abordez avec eux la notion de transition écologique ?

Oui tout à fait, quand cela est en cohérence avec leur savoir-faire, c’est une étape indispensable. Les préoccupations actuelles vont mener à repenser le processus de création en circuit court pour l’ensemble de leurs produits, pour avoir une cohérence globale notamment en terme de processus de création, de choix de matériaux, de packaging recyclable et de transport. Nous abordons toutes ces questions et il faut encourager ces pratiques de consommation locales, comme cela est le cas de plus en plus avec les produits de première nécessité. Nous sommes alors responsables vis-à-vis de nous-même mais pour les autres également.

Pouvez-vous me parler d’initiatives qui vont dans ce sens et qui vous ont marquée ces dernières années ?

Le secteur de la mode, est un des plus polluant, par exemple, pour réaliser un jean, il faut environ 11 000 litres d’eau, et aujourd’hui de très nombreuses marques s’engagent dans le recyclage de tissus, des matières premières… Le déchet n’en est plus un mais est une matière première à réutiliser.

Voici quelques exemples d’évènements et d’initiatives majeures concernant ces questions : 

  • Il y a la Biennale Emergences, à Pantin, qui met en valeur le lien entre le design, le savoir-faire d’excellence artisanal, mode, dans une proposition curatorial excellente.
  • Il y a également la Biennale 16.18 dans le domaine de la mode.
  • Je suis aussi de près La fabrique Nomade, qui est sur une dynamique de partages de savoir-faire et de favorisation de l’insertion professionnelle d’artisans migrants et réfugiés en France. 
  • Wecandoo ont également compris que l’on a besoin d’expériences et de partage des savoir-faire avec les artisans. Ce site permet d’offrir des initiations de courte durée à l’artisanat en groupe très réduits, pour des adultes et enfants et dans de nombreux domaines (cuir, gourmand, végétal, textile…).
  • Talents d’Alphonse est aussi une initiative intéressante, cette plateforme met en lien des retraités qui souhaitent partager leurs savoir-faire gratuitement et vivre cette expérience de partage.

Salon International des Métiers d’Art, Lens © Angela Di Paolo

Aujourd’hui, avec la crise économique et sociale que nous traversons, nous avons besoin, de moins acheter, mais de plus d’émotions et de désirer autrement des choses et les objets qui extournent notre quotidien. Nous avons passé ce cap avec la nourriture, contre le gaspillage alimentaire et la labellisation des produits nous le passerons avec les objets, les vêtements et le reste sans que cela soit “douloureux” car cela se fait naturellement. Il s’agit d’un véritable acte d’engagement politique, du choix de ce que nous souhaitons acheter, au monde où nous souhaitons vivre et partager avec les autres.

Pour en savoir plus sur Margherita Balzerani :

http://www.margheritabalzerani.com/

https://www.linkedin.com/in/margheritabalzerani/

Contact: mbalzerani@gmail.com

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