Art Records Covers : l’art au service du son
Dès la naissance du modernisme, production musicale et création visuelle ont entretenu une relation étroite. Dirigée par Francesco Spampinato, cette anthologie des pochettes de disque créées par des artistes rend compte de cette passionnante histoire.
Le livre présente 500 pochettes, des années 1950 à aujourd’hui, signées par des artistes de l’image, classés par ordre alphabétique. Plus de 350 groupes et musiciens, dont les Rolling Stones, Sonic Youth, Björk et Kanye West. Plus de 250 artistes, de Franz Ackermann à Christopher Wool, en passant par Jean-Michel Basquiat ou Daniel Richter. Ainsi, au fil des pages, on retrouve le graffiti que Banksy a réalisé au pochoir pour Blur ou le crâne symbolique de Damien Hirst, créé pour The Hours. Ces pochettes sont accompagnées d’analyses éclairées et de fiches techniques. Enfin, des entretiens très intéressants apportent un témoignage personnel sur les coulisses de ces collaborations : Tauba Auerbach, Shepard Fairey, Kim Gordon, Christian Marclay, Albert Oehlen et Raymond Petitbon.
L’histoire de l’art à un rythme trépidant
Dès le début du 20e siècle, des artistes vont expérimenter ce nouveau support comme terrain d’expression. Les Futuristes italiens furent parmi les premiers. Après le dadaïste Kurt Schwitters, c’est au tour de Marcel Duchamp de publier des disques silencieux dotés de motifs optiques, conçus pour produire des effets hypnotiques sur un tourne-disque. Andy Wahrol a conçu sa première pochette chez Colombia Records en 1949. Peu après, c’est Salvador Dali qui fut sollicité. Des labels vont alors commencer à acquérir des licences auprès d’artistes tels que René Magritte, Henri Matisse et Pablo Picasso. Joan Miró est une autre grande figure du modernisme dont les œuvres apparaissent sur les pochettes.
Dans les années 1950, le concept de packaging se développant, les maisons de disque engagent des équipes de graphistes et d’illustrateurs talentueux. En quête de nouvelles formes de production et de distribution, certains artistes se rapprochent alors des industries musicales et illustrent même les disques en vinyle. Bien plus tard, des vedettes commandent des portraits à des artistes. C’est le cas de Lady Gaga auprès de Jeff Koons, par exemple.
À l’ère de la pop, l’art et la musique s’entrecroisent parfaitement. Ses deux pochettes les plus illustres (Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beattles, par Peter Blake et Jane Haworth ; le premier album du Velvet Underground & Nico, par Andy Warhol) appartiennent à l’iconographie.
Rencontres sonores
L’inspiration mutuelle débouche souvent sur des collaborations fructueuses : les expressionnistes abstraits se rapprochent naturellement des compositeurs expérimentaux ; un groupe de punk allemand aborde la musique avec autant d’irrévérence que leur art ; des artistes de rue new-yorkais transfèrent leur imagerie sociale radicale des murs aux pochettes. Keith Haring, Rammellzee et Kenny Scharf affichent leur identité visuelle. Les générations suivantes d’artistes urbains, dont Banksy et Shepard Fairey, trouvent dans la musique une résonnance à leur démarche de guérilla sémiotique.
L’imagerie enfantine, les mangas et dessins animés remportent beaucoup de succès. Takashi Murakami touche ainsi un nouveau public. On compte également de nombreux photographes : Robert Mapplethorpe (réalise les portraits de Patti Smith), Nobuyoshi Araki, Martin Parr, Jeff Wall…
Cette profusion révèle l’influence de ces différents mouvements. En soutenant l’industrie musicale, les artistes échappent au marché de l’art et trouvent de nouveaux débouchés, parfois un moyen de diffuser leurs productions ou de court-circuiter le contrôle des médias, de l’intérieur.
Des enjeux majeurs
En s’aventurant dans la culture populaire, au même titre que la télévision, la publicité ou le design, les artistes contemporains prouvent que l’expérience ne se limite pas aux musées et aux galeries : « une démarche qui pourrait être interprétée comme la volonté de faire acte de résistance face aux contraintes imposées par le monde de l’art », explique Francesco Spampinato.
C’est un excellent outil de démocratisation des publics. Et l’œuvre d’art, devenue produit reproductible, donc plus accessible, fait le bonheur des collectionneurs. Pour ceux qui adoptent une posture critique vis-à-vis des mass-média, le divertissement grand public ou la mondialisation, la pochette peut constituer un formidable terrain de jeu, fournir l’occasion de transmettre un message à un public différent.
Alors qui sont les plus grands gagnants ? Le visuel est un outil marketing efficace pour les labels. Un nom suffit parfois à attirer l’attention sur un album qui aurait du mal à sortir du lot. Ces collaborations, quelles soient ponctuelles ou en série, ont un réel impact sur les ventes et la médiatisation.
Historien de l’art contemporain et de la culture visuelle, amateur et collectionneur de musique, Francesco Spampinato a coordonné un livre vraiment exceptionnel. Son travail est non seulement une contribution majeure à la recherche. Il est un livre d’images sublimes, remarquablement reproduites et mises en page, comme toujours chez Taschen. Un trésor inépuisable à lire en musique, bien sûr.
Sarah Meneghello
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