Art Comptant Pour Rien : “Rompre avec cet élitisme qui enferme l’art contemporain”
Démystifier l’art contemporain et expliquer l’Histoire de l’Art au travers de thèmes alternatifs ; telles sont les intentions de Laure, jeune vidéaste à l’origine de la chaîne YouTube “Art Comptant Pour Rien”.
Tu es actuellement productrice de contenus sur YouTube ; quel a été ton cheminement ?
Il y a plus de trois ans, j’ai réalisé une licence, ainsi qu’un master en Arts Plastiques à l’Université de la Sorbonne à Paris et, un an après l’obtention de mon dernier diplôme, j’ai décidé de créer ma chaîne YouTube. C’est à cette époque-là que déferlait la première vague de vulgarisateurs sur la plateforme, dont Manon Bril et Dirty Biology qui étaient déjà fermement implantées. Je trouvais la démarche très intéressante et, parallèlement, j’étais dérangée par cette opinion commune qui considérait que seules les œuvres anciennes appartenaient à “l’art”, en dépit de toutes créations contemporaines.
Cherches-tu à déconstruire la définition que l’on peut avoir de l’art ?
Tout à fait, avec mes différentes vidéos, j’essaye de briser cet élitisme qui conditionne notre rapport à l’art ou qui nous empêche simplement d’y avoir accès. Nous avons à la fois, les grands acteurs culturels qui enferment l’art, mais également nos aprioris qui le restreigne. Je sais que la finalité de ma chaîne, qui est de rendre les arts et la culture plus abordables, peut parfois heurter les anciennes institutions.
D’ailleurs, quelle est la fonction de ta chaîne ? Tes objectifs ont-ils évolué ?
Oui, au départ, mes vidéos avaient pour intérêt d’informer sur des thèmes spécifiques liés à l’art contemporain, tout en désacralisant cette discipline. Désormais, je cherche à utiliser l’art, dans sa globalité, comme un outil me permettant de documenter les époques et de répondre à des questions sociétales.
Penses-tu alors qu’en retraçant l’Histoire de l’Art, on peut ainsi rendre compte de l’évolution des pensées ?
Exactement ; et c’est avec des sujets tel que l’homosexualité, que ce rapprochement, entre l’Histoire de l’Art et celle des sociétés, est le plus visible. Au bout d’un moment, je trouvais peu pertinent de reproduire, en vidéos, de bêtes thématiques que l’on peut retrouver dans n’importe quel manuel pour découvrir l’Histoire de l’Art. Je voulais creuser des questions nouvelles que mes études ne m’avaient pas spécialement posées. C’est en m’interrogeant sur la place des féministes ou des personnes rousses, dans l’Art, que je me suis vraiment amusée !
Tes sujets concernent souvent des catégories marginalisées (LGBTQ, etc.) ; ce sont des causes qui te sensibilisent ?
Oui, particulièrement. Je construis très souvent mes réflexions autour des minorités, qu’il s’agisse de personnalités racisées, handicapées ou discriminées. Au Louvre, par exemple, les sujets noirs ne sont représentés que sous l’angle de l’esclavage ou seulement en tant qu’individus de couleur noire. Je pense que l’art contemporain est plus à même de revaloriser ces minorités.
Qu’est-ce qui te plaît tant dans l’art contemporain ?
Je suis fascinée par la fracture qu’a créé l’art contemporain, autant qu’intriguée par toutes les problématiques que génère ce mouvement : la façon dont il est diffusé par les médias, rejeté par le grand public et rendu inaccessible par les musées. J’aime le fait que cet art n’ait aucune limite. Le dépassement de l’éthique, cependant, m’interpelle ; la loi prévoit une “bulle artistique” dans laquelle tout serait permis. À ce sujet, je prépare une vidéo portant sur l’éthique animale dans l’art.
Quel avenir pour ta chaîne ? As-tu envie d’enseigner ?
Je suis actuellement en voie de professionnalisation ; avec une boîte de production, nous finançons un grand projet de vidéos qui accompagnera mon contenu classique. Étrangement, parmi les débouchés que me proposent mes études, YouTube reste l’option la plus sûre. Je ne me suis rendue compte que tardivement de la dimension pédagogique de ma chaîne ; à choisir, je préférerai enseigner à des adolescents, qui n’ont pas encore un avis tranché sur l’art, plutôt qu’à de jeunes adultes. Ce sont des ouvertures que j’envisage, à l’exemple de partenariats avec des grands musées dans le cadre d’ateliers ou de visites d’expositions filmées.
Quelle est ta communauté et quel public vises-tu ?
Mon but ultime est d’agripper les personnes qui détestent l’art contemporain ; une cible difficilement atteignable… Des débats très intéressants se font, en commentaires, entre les personnes qui critiquent certaines œuvres et celles qui les défendent. Un jour, j’ai reçu un message d’une personne très âgée qui m’avouait avoir enfin compris cette forme d’art ; je me suis donc dit « c’est bon, je peux tout arrêter » (rire).
Comment apprécier une œuvre conceptuelle ?
Je pense qu’à partir du moment où le processus artistique questionne, provoque des émotions, de l’énervement au rire, l’œuvre fonctionne !
Pour découvrir le travail de Laure : YouTube et Instagram.
Propos recueillis par Jade Vigreux
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