Art Capital, éclectique et accessible
Vitrine prestigieuse pour des artistes vivants, manifestation plébiscitée par le public, Art Capital s’est s’achevée après avoir accueilli près de 33.000 visiteurs sous la verrière du Grand Palais. Avec 2.500 artistes, au total, qui ont exposé du 14 au 18 février 2018, Art Capital s’impose comme un événement majeur de la scène artistique française. Reportage.
Cet événement artistique regroupe aujourd’hui des « salons historiques » qui ont traversé l’histoire, au-delà des modes, dont la vénérable, la Société des Artistes Français, les Comparaisons, le Salon du Dessin et de la Peinture à l’eau et la Société des Artistes Indépendants. Talents en devenir et artistes confirmés peuvent y exposer à moindre coût, la moitié, environ, après avoir été sélectionnés par un jury de professionnels élu et régulièrement renouvelé, qui sélectionne de une à trois œuvres représentatives de son travail.
Vénérable car, héritière directe du Salon créé par Colbert pour Louis XIV, la Société des Artistes Français a su traverser toutes les époques (royauté, empires, révolutions, guerres), entraînant dans son sillage les plus grands noms d’artistes qui ont marqué ces derniers siècles, parmi lesquels Camille Claudel, Eugène Delacroix, Gustave Doré, Ingres, Manet, Renoir, Rodin… À partir de 1901, tous les ans, hormis quelques interruptions, le Salon a lieu à Paris, au Grand Palais. C’est aussi là qu’est née la critique d’art. Le Salon inspira les plumes d’écrivains aussi célèbres que Diderot, Stendhal, Baudelaire, Zola, Maupassant, Apollinaire…
La Société des Artistes Français
Elle expose chaque année des artistes du monde entier répartis dans cinq sections. « Notre Salon est le lieu de la ” création contemporaine “, dans sa définition première, à savoir la création artistique actuelle. Nous exposons des artistes d’aujourd’hui, des artistes vivants », souligne Martine Delaleuf, présidente du Salon des Artistes Français, architecte DPLG et peintre.
« Nous souhaitons privilégier la création à travers le contact direct et l’échange humain, en accueillant des artistes de tous horizons, un programme d’expositions de qualité et des activités didactiques pour rappeler que Paris reste la capitale incontournable de la culture. Lieu d’innovation, d’émulation, il permet les confrontations les plus enrichissantes », poursuit Martine Delaleuf.
Art Capital doit sa pérennité à l’énergie, le talent et l’indépendance de ses artistes. Unique salon à être géré par des artistes bénévoles, pour des artistes, il y est possible d’acheter des œuvres directement sans intermédiaires, hors des circuits commerciaux. Et cela est aussi beaucoup apprécié.
Enfin, label de qualité et de savoir-faire à la française, le rayonnement à l’international continue de croître, car l’une des préoccupations du Salon est de favoriser les liens entre différents pays. Cette année, l’invitée d’honneur était l’École des Beaux-Arts Hongrois.
Pendant l’exposition, le jury a remis les célèbres récompenses qui font la renommée du Salon des Artistes Français depuis des siècles. Pour les médaillés d’honneur 2018 : Jacques Courtois (peinture), Manuel Jumeau (gravure), François Chery (photographie), Philippe Arnault (sculpture). Depuis l’année dernière, un système de « Mention » a été mis en place dans le but de valoriser l’audace, la maîtrise et la qualité technique de certains artistes dans chacune des cinq sections. Plusieurs prix privés ont également été remis.
Voici notre sélection, subjective forcément ! Commençons d’abord par un artiste récompensé en 2017 : Guy Braun (site ici) en gravure. Les médaillés d’honneur, dont il s’agit de couronner la carrière dans sa globalité et son investissement auprès de la Société des Artistes Français, se voient offrir la possibilité d’exposer, l’année suivante, plusieurs œuvres dans une scénographie dédiée. Cela permet déjà de mieux appréhender la démarche d’un artiste, en effet. Seul espace à représenter l’estampe, l’ambiance était aussi plus intimiste et pédagogique, puisque l’on a pu y découvrir les différentes techniques de cette discipline si passionnante.
Pourquoi ce coup de cœur ? Avec sa série Cinématogravure, ce graveur redonne au cinéma sa dimension graphique. Il propose, notamment, un très intéressant arrêt sur image, à partir de Metropolis de Fritz Lang, dont chaque plan est conçu comme une œuvre. Dans le cinéma expressionniste, il trouve matière à révéler la densité des contrastes et la beauté hallucinante des cadres. En soulignant de menus détails et en focalisant l’attention sur certaines images furtives, il lui rend un magnifique hommage et c’est juste sublime !
Concernant la peinture, les grands mouvements sont représentés. Dans ce foisonnement, quelques-uns jouent de leurs différences : Tini Ferhi, Tanya Angelova, Tomoko Fait… Dans une volonté d’ouverture, le salon accueille la Spray Collection (site ici) pour donner à voir du street art. Petit échantillon, mais les différents courants de l’art urbain sont bien présents : spray, collage, pochoir, installation, photo. Cette année, ce groupe de collectionneurs passionnés a choisi de mettre en avant quelques œuvres d’artistes soigneusement choisies, dont Okuda, Space Invader, YZ, Blek le Rat, Philippe Echaroux.
Ce dernier (site ici) a créé le « Painting with Lights » pour immortaliser ses projections numériques sur les murs des villes et ses portraits éphémères. « C’est une forme de street art 2.0 », s’enthousiasme Philippe Danjean, l’un des fondateurs de la Spray Collection, qui tient à préciser que toutes ces œuvres sont « légitimes, c’est-à-dire en provenance directe d’ateliers ou de musées, et non arrachées à la rue ».
Présente depuis 1800, la section architecture est sans doute la plus innovante, avec un regard sur le futur de la discipline fort intéressant, à travers la présentation de projets de modélisation 3D de l’espace construit. Si ce fût le lieu où des commandes d’État se traitaient directement, place est désormais donnée aux jeunes diplômés, parmi les meilleurs.
Pour la section photo, qui a n’a vu le jour qu’en 1992, la sélection présente 36 artistes utilisant des procédés et des supports variés : argentique, numérique, figuration, abstraction, photographie plastique. Justement, coup de cœur pour Réflexion géométrique, le résultat d’une investigation de la ville peu commune de Didier Masset (site ici).
Concernant la sculpture, mentionnons les œuvres de Frédérique de Meester (site ici), dont les deux pièces présentées ne donnent qu’un mince aperçu de l’étendue de son talent. Marbres, gypse, granit, ou encore albâtre, aucune matière ne lui résiste. Comme surgi d’un bloc brut, ce nez sensuel se laisse volontiers caresser. Sous la douceur polie, le veinage apparent laisse imaginer une sculptrice qui lit dans la pierre. Bien que guidée par l’instinct, les formes qui se révèlent sous sa main traduisent une parfaite maîtrise technique. Entre courbes et lignes droites, elle trouve le juste équilibre pour donner vie à des créations originales et épurées. C’est des contrastes que surgit l’émotion.
De la sculpture à l’art textile… Avec un choix d’étoffes et de matières, dentelles perlées, soies peintes et broderies les compositions d’Élodie Falgon (site ici) sont d’un raffinement extrême et d’une créativité débridée. Quel art délicat ! Hymnes à la femme, la maternité, l’amour, ses œuvres célèbrent la beauté de la vie.
Les Comparaisons
Les expositions thématiques de Comparaisons ont aussi remporté un franc succès car l’organisation repose sur la connivence picturale, la complicité créatrice et même amicale, au sein de chaque groupe. Né en 1956, alors qu’une opposition, parfois virulente, entre la figuration et l’abstraction, produisait des crispations stériles, le salon fût organisé, dès sa première édition, en fonction de tendances, chacune d’entre elles étant présentée au sein d’un groupe où varient démarches, techniques, voire styles. Et la confrontation devint sereine, fraternelle même.
Parmi les artistes ayant contribué à la notoriété de ce Salon : Yves Klein a exposé son premier monochrome, Tinguely sa première sculpture sonore, Christo un de ses premiers emballages ; Jacques Villeglé a été chef de groupe pendant plusieurs années ; on trouve aussi Tapies, Arman, Alechinsky, Magritte, Man Ray, Picasso, Dali, Bernard Buffet, César, Niki de Saint-Phalle…
Aujourd’hui, fidèle à ces principes, Comparaisons compte 28 groupes correspondant à autant de sensibilités ou de tendances de l’art actuel : « Abstraction lyrique », « Mémoires croisées », « Geste et synthèse », « Retour d’émotion », « Signes et traces »…
Au sein du groupe « Matière et lumière », Isabelle Malmezat (site ici) classée dans l’univers de l’abstraction lyrique, mêlent pigments, sable, collages (fibres, papier) à la peinture acrylique, dans des effets saisissants. Inspirée par la nature, elle livre ses perceptions, toutes personnelles, dans des œuvres souvent minérales où effleure l’humain. Dans Là d’où je viens, une silhouette surgit de nulle part et nous voilà embarqués dans un voyage par-delà les époque. Ses ombres inquiétantes nous poursuivent. Mais des tréfonds de l’âme, elle extrait aussi des beautés fulgurantes, car lorsqu’elle n’est pas sensible à un paysage, elle explore l’inconscient. Dans un cas, comme dans l’autre, ses toiles laissent l’empreinte, indélébile, de sensations intimes.
Place à l’exubérance, la vitalité, la fantaisie, avec Joël Crespin (site ici), apparenté à l’art singulier (groupe « Expression hors les normes »). Ses techniques variées offrent au regard une diversité de textures. Les plis des tissus qu’il colle sur la toile lui inspirent des formes, toutes en mouvement. Il joue avec les creux et les reliefs pour représenter des personnages tout droit sortis de son théâtre imaginaire. Et c’est fou ce qui se trame dans ses compositions ! Tout en courbes et en contrastes, ses créatures nous happent par un déhanché trop lascif pour être honnête, un strabisme évocateur. Ses provocations érotico-burlesques font plus qu’amuser la galerie. Elles marquent les esprits durablement.
Le Salon du Dessin et de la Peinture à l’eau
Art Capital promeut aussi les techniques traditionnelles dans les mouvements contemporains. Chaque artiste présent à ce Salon (et aussi la Société des Artistes Indépendants) a la possibilité d’exposer en petit format dans un espace dédié. Chaque année, ces « grandes œuvres à petit prix » rencontrent d’ailleurs un vif succès auprès des visiteurs.
C’est Zdzislaw Beksinski (1929-2005), peintre surréaliste polonais considéré comme l’un des plus grands peintres de sa génération, qui est l’invité d’honneur du 50e Salon du Dessin de la Peinture à l’eau. Au travers de peintures apocalyptiques et de dessins extraordinaires, on découvre les obsessions pour la souffrance et le symbolisme religieux d’un artiste actuellement sur le devant de la scène. Sa vie est un roman (qui a fait l’objet d’un best-seller en Pologne). Enfin, le film multiprimé The Last Family retrace le destin tragique de cet artiste tourmenté et de sa famille. Cette exposition remarquable est issue de la collection très privée de Piotr Dmochowski qui cultive une relation fusionnelle avec cette œuvre (accès à son musée virtuel ici).
Et pour enchaîner par un autre geste inspiré qui insuffle la vie, quant à lui, Claire Finotti (page facebook ici) travaille à partir de modèles en mouvement, nus essentiellement. Dans ses dessins (encre et fusain), le corps est roi. Nourrie par la nécessité de l’urgence, l’artiste développe une rapidité dans son exécution. Mélangeant les encres, acryliques, craies, pastels ou crayon, elle offre une bien belle palette de sensations. D’un trait vif, rehaussé de couleurs, elle capte une fulgurance, saisit une émotion qu’elle nous transmet d’emblée, d’un geste assuré. D’une main de maître.
La Société des Artistes Indépendants
Cette année, le Brésil, l’Australie, l’Inde, la Colombie, le Cameroun ont rejoint le Salon des Indépendants, où l’on remarque, déjà, une forte présence chinoise. Son rayonnement international se confirme donc, avec plus de 550 artistes de nationalités différentes.
On peut aussi trouver des pépites (comme Martine Durand, Olivier Cardin, Ingrid Raash, Étienne Boiteux) dans ce salon plus éclectique, toutefois, puisque le principe est : « pas de sélection, pas de prix, pas de jury », un peu dans l’esprit du Salon des Refusés, qui permit notamment à Manet de présenter son Déjeuner sur l’herbe. Le seul juge pour ce salon est donc le public. Voilà l’occasion pour des artistes de se faire connaître hors des circuits dits traditionnels.
Si le Salon des Artistes Français confirme avant tout son rôle de « curseur de l’Histoire de l’Art », la manifestation explore donc aussi le patrimoine culturel français, en accueillant des artistes vivants de qualité. Attachés à la transmission entre anciens et modernes, ainsi qu’au partage d’expertises, les organisateurs portent un regard éclairé vers l’avenir. De plus, en misant sur un nouveau programme culturel apprécié (visites guidées, conférence, performance live…), Art Capital confirme la volonté d’éduquer le regard et la sensibilité du public. Et cela est important pour partager les belles découvertes.
Sarah Meneghello
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