Art asiatique : retour sur la Biennale des Antiquaires 2012
Une fois dépassée la médiocrité de l’appareil critique (quand il n’est pas inexistant) et qu’on ose « déranger » les personnes présentes sur les stands (qui montrent assez peu d’empressement, il faut bien l’admettre, à accueillir les visiteurs… dommage, ces érudits ont beaucoup à raconter !), on découvre de véritables trésors. Au fil de ce parcours, nos morceaux choisis (et préférés).
Sur le stand de Christian Deydier tout d’abord (le sinologue est président du syndicat national des Antiquaires, organisateur de la Biennale), on peut admirer des pièces de harnachement en or incrusté de turquoises d’Asie centrale du VIème siècle, d’une finesse remarquable, qui semblent répondre au cheval sellé, exposé un peu plus loin, ou au chameau blatérant de la dynastie Tang (618-907). Une pièce de la maisonnette est consacrée aux textiles, tout à fait exceptionnels par leurs dimensions et par la beauté de la soie dont ils sont constitués, richement pavoisée de motifs animaliers. Cette jolie collection permet d’appréhender un art peu connu, et constitue une porte entr’ouverte opportune et plaisante vers ces cultures d’Asie centrale. Et, un peu plus loin, une sensation d’enchantement nous saisit… une dame de cour assise, en terre cuite, au visage rond, aux joues roses, à la peau laiteuse et au regard impénétrable tout asiatique, datant elle aussi de l’époque Tang, trône au centre de l’espace. On apprend que la couleur bleue de sa robe parsemée de fleurs était réalisée à partir de pigments en provenance d’Iran, très rares à l’époque, et donc extrêmement précieux. Elle constitue certainement la pièce la plus raffinée de l’ensemble asiatique exposé dans cette biennale.
Chez la Bruxelloise Gisèle Croës, les pièces les plus précieuses appartiennent à une collection de bronzes rituels très anciens, de la dynastie Shang (de 1600 environ jusqu’à 1111 av. J.-C.). La variété de formes et de motifs répondait, on peut le déduire, à des besoins variés : si ces objets servaient à l’origine à des rituels dont on pense qu’ils étaient quasi-religieux, ils étaient également utilisés pour des usages plus triviaux et utilitaires, constituant ainsi un témoignage direct et passionnant de ces civilisations archaïques. L’objet qui a plus particulièrement retenu notre attention est une sorte de coupe reposant sur trois pieds et équipée de deux becs verseurs, à la belle patine brune. Les marchands d’art sont peu nombreux à proposer ce type de bronzes ; pour en voir de beaux et prolonger ce plaisir, on peut également faire un tour au musée Guimet.
La galerie Jacques Barrère explore l’art bouddhiste au travers de pièces de très belle qualité produites essentiellement sous la dynastie Song (XIIème s.). Des bouddhas et des boddhisattvas en bois dont les visages expriment la compassion et la spiritualité, ce qui contraste assez fortement avec le bronze doré de certaines pièces, les deux disciples de Bouddha, Ananda et Kasyapa, dans un divin bronze chocolat, un moine Luohan en marbre, matière très rarement utilisée à l’époque, nous rappellent que le bouddhisme a constitué une source d’inspiration essentielle et inestimable pour les arts chinois et indiens.
Il aurait été dommage de ne pas pousser jusqu’au 1er étage, dans le « salon d’honneur » pour faire un tour chez Christophe Hioco. Outre de somptueuses œuvres de l’Inde du XIème s. dont un Shiva en basalte, on y découvre une sélection de très belles pièces du Vietnam : un lingam (représentation de Shiva), un bodhisattva Avalokiteshvara (le boddhisatva le plus « populaire » et vénéré de tous) en or et argent, une épée de bronze ornée de deux personnages féminins, une aiguière bec verseur à tête de makara, cette étrange créature hybride de différents animaux marins.
Les œuvres les plus impressionnantes ? Certainement les armures de samouraï vues chez Jean-Christophe Charbonnier, qui célèbrent l’art guerrier du Japon ancien. Bien plus que de simples objets destinés à la défense, ces casques ont une vocation plus proche de l’ornement ou de la parure que de la carapace. Le profond contraste entre leur destination première et le raffinement, la beauté des détails et la complexité de ces assemblages de charnières et de pitons est saisissant. Les matières elles-mêmes se confrontent et s’allient dans ces créations : le fer et le cuivre côtoient le cuir et la soie. Il faut absolument voir le casque spectaculaire du XIVème siècle à la forme totalement déstabilisante et miraculeuse, tant elle est moderne, qui donne le sentiment d’un plongeon, non pas dans le passé, mais plutôt dans un monde parallèle déraisonnable ou dans une sorte d’uchronie !
L’exploration recèle une myriade d’autres petits trésors : on a remarqué, chez le marchand spécialiste des céramiques Jorge Welsh, parmi les jolies porcelaines Ming, une plaque d’ivoire chrétienne du XVIIème originaire de Macao, sublime de détail ; chez Pouillot, un couple insolite constitué d’un eunuque et d’une dame de cour en terre cuite sous les Tang et une verseuse zoomorphe des Han du VIIIème.
C’est vrai qu’on aurait bien aimé y voir un peu d’art coréen, par exemple… mais la surreprésentation de l’art chinois au sein de cette petite dizaine d’exposants d’art asiatique correspond sans doute à la recrudescence de visiteurs et investisseurs chinois et à leur engouement pour l’art ancien.
Cette traversée dans le temps et l’espace permettait d’appréhender un art extrêmement varié, subtil et raffiné, aux références mythologiques et religieuses pullulantes, à la maîtrise technique remarquable, susceptible de nourrir la passion de collectionneurs toujours plus nombreux… Pour qui souhaitait apprécier un luxe contemporain, plus clinquant et tapageur, il était recommandé de pousser jusque chez Wallace Chan et de ses extravagantes créations animalières, excessives, à la limite du fantastique, qui offraient une toute autre vision de ce que l’Asie peut produire, bien loin de la sérénité et de l’indolence des visages de boddhisattvas !
Angelina Poli
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– Bilan de la Biennale des Antiquaires 2012
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