Arnaud Oliveux, commissaire-priseur d’Artcurial
Sacha Berthelemy Petremann, 14 ans et passionnée d’art urbain, s’est prêtée au jeu de l’interview et a rencontré Arnaud Oliveux, commissaire-priseur d’Artcurial, prestigieuse maison de vente aux enchères située sur les Champs Élysees à Paris.
J’ai assisté à ma première vente aux enchères à Artcurial ; c’était une vente de design. Le moment fort a été l’achat d’une table de Jean Prouvé à plus d’un million d’euros. C’était incroyable. D’ailleurs quand le million a été atteint, un lourd silence s’est installé dans la salle. À la fin de la vente, une foule de personnes est arrivée car la vente de street art allait commencer. Voir autant de monde pour un tel événement était je pense aussi incroyable que de voir une table partir à plus d’un million d’euros.
Mon œuvre préférée : La Rolls Royce qui appartenait à Eric Cantona. En novembre 2013, il l’a officiellement donnée, sur un plateau de télé à la Fondation de l’Abbé Pierre. JonOne l’a peinte en direct. En janvier 2014, Artcurial l’a vendue au profit de l’Association. Aujourd’hui, elle est visible dans le patio de l’hôtel Molitor. Ce qui m’a plu, c’est le geste bien sûr. Mais voir cette voiture de luxe, donnée à une fondation, dans la cour de cette maison de vente aux enchères, sous la neige, la rendait plus précieuse encore.
L’œuvre préférée d’Arnaud Oliveux : C’est trop difficile de choisir une œuvre, je préfère vous partager un coup de cœur. Il s’agit de « White spirit » le spectacle proposé par Shoof au Musée du quai Branly. Cet artiste, représenté par la galerie Itinerrance, réinterprète la calligraphie en mode graffiti. Ici, le musée du Quai Branly avait invité des Derviche tourneur de Damas. Pendant qu’ils dansaient et chantaient sur scène, Shoof peignait à la lumière noire. Mêler chants soufi et street art était inédit. La scène finale… extraordinaire. Le Street art était devenu théâtre.
Quel est le rôle d’un commissaire-priseur ?
C’est un métier du marché de l’Art qui consiste à organiser des ventes aux enchères et à les diriger. La vente aux enchères, c’est la partie visible de l’iceberg et le commissaire-priseur permet la réalisation de tout ce qui s’est passé avant. Il faut bien connaître les objets de la vente. Sur l’art urbain, je suis des deux côtés : je la prépare et l’anime. L’animation, c’est presque un rôle de comédien : le commissaire-priseur donne le tempo, la vie, l’envie d’acheter et de passer un bon moment.
Justement, j’ai assisté à une de vos ventes design –dans laquelle une table de Jean Prouvé est partie à plus d’un million d’euros. Elle précédait une vente d’art urbain. Et là, j’ai vu arriver beaucoup de monde…
Beaucoup de monde se déplace, et c’est spécifique à ce domaine : il y a un attachement des gens au street art et nous avons contribué à créer cette dynamique. Moi, c’est toujours ce que j’ai voulu faire : partir de quelque chose de technique sur le papier et en faire de l’événementiel. A la vente du 14 février 2016, il y avait près de 600 personnes, c’est rare, c’est presque un spectacle ! Dans le public, il y a des collectionneurs, mais aussi, des acheteurs, des amateurs, des artistes. Plutôt qu’être au téléphone, les acheteurs préfèrent participer à l’événement, être présent dans la salle, ça a beaucoup évolué en ce sens depuis dix ans.
Vous faites partie des personnes qui ont fait monter l’art urbain ?
Nous sommes des pionniers, nous avons permis de braquer les projecteurs sur l’art urbain et même de relancer des carrières. En 2005, certains d’entre eux continuaient à créer des œuvres mais conservaient un métier à côté. Aujourd’hui, ils sont submergés de projets artistiques et se consacrent complètement à leur art. Ce second marché, parallèle à celui des galeries, a permis de relancer des artistes, de faire parler de cet art dans les médias. Nous avons ouvert une voie, et sommes aujourd’hui, sans nous lancer des fleurs, une vitrine très bien identifiée.
Qu’est-ce qui vous amuse le plus dans les ventes street-art ?
Certainement de convaincre des acheteurs de se battre pour une œuvre parce que je crois en elle. Et puis, il y a la partie spécialiste : les rencontres en amont, avec les collectionneurs, les artistes, les amateurs, ici ou dans les ateliers, les vernissages, chez les particuliers. C’est un métier de communication et c’est la partie la plus passionnante. Nous évoluons dans un monde financier, mais nous le faisons avec des œuvres d’art, avec passion, parce que c’est concret. Il y a des gens qui sont prêts à faire des sacrifices pour s’offrir une œuvre d’art. Ils sont heureux quand je peux leur faire rencontrer l’artiste qui a réalisé « leur » œuvre.
C’est pour ça que vous organisez des performances ?
C’est aussi pour être dans l’événementiel. Nous ne l’avons pas fait cette année parce que nous l’avions déjà fait plusieurs fois. J’ai envie de renouveau. Nous sommes aussi un laboratoire de réflexion et je suis là pour trouver de nouvelles idées. Aujourd’hui, d’autres institutions organisent des performances ; cela n’a plus rien de vraiment nouveau pour Artcurial. Moi, ça m’amuse un peu moins aujourd’hui. Je cherche des formes différentes, de nouveaux challenges. Quand nous avions fait rencontrer JonOne et Speedy Graphito, c’était nouveau car ils ne s’étaient jamais rencontrés avant. C’était se faire confronter des univers. C’est peut-être là qu’il faut que je cherche.
Pendant les ventes, vous êtes devant, entouré de plein de personnes…
Oui, je suis comme un chef d’orchestre, sauf que je n’ai pas de baguette mais un marteau. Il y a des membres de mon équipe au téléphone avec des acheteurs. Ils doivent être au tempo du commissaire-priseur. Devant, le crieur, c’est son relais dans la salle, nous formons un duo. Derrière, il y a ceux qui vont chercher les œuvres, les présentent une à une pour chaque vente. Parfois, on obtient plus que l’estimation (le travail que j’ai réalisé en amont, l’évaluation financière de l’œuvre). Là, tu es au cœur du métier de commissaire-priseur : mettre de la vie, être un bon chef d’orchestre, gérer ses équipes.
Devons-nous vous appeler « maître » ?
(sourire) C’est le cérémonial. Le titre permet aussi de mettre de la distance. Avant tu sais, le commissaire-priseur était un notable, comme le médecin, le magistrat, le maître d’école, l’avocat. Les choses ont évolué, mais les titres sont restés. Et c’est important. Car nous sommes aussi des conseils juridiques, et quand on fait des inventaires notamment, le titre rassure, valide les compétences. C’est un peu suranné mais c’est vrai que nous aimons bien, car nous incarnons un personnage. En France, par rapport à la Grande-Bretagne par exemple, nous suivons une formation très rigide. Elle dure des années, puis nous devenons stagiaires et travaillons pendant deux ans sur le terrain, en alternant avec des cours théoriques. Et arrive l’examen final en deux parties, une volontaire et une judiciaire (loi de juillet 2000). C’est très formaliste et le titre incarne ce rite. Il correspond à quelque chose. Cela veut dire que nous avons validé notre formation, réussi notre examen et donc que nous connaissons le monde de l’art mais aussi le monde juridique. Après notre formation généraliste, nous nous spécialisons. J’ai choisi l’art urbain, mais je sais tout autant évaluer une table du XVIIIe siècle.
Question de Gabrielle, ma petite sœur : pourquoi utilisez-vous un marteau ?
Commissaire-priseur est un vieux métier, une profession juridique très réglementée. Alors nous jouons avec, cela nous donne une stature. Tu sais, c’est comme le fait que nous animions les ventes sur une tribune, cela participe à l’habillage, à la symbolique.
Sacha Berthelemy Petremann
[Crédits Photo : © DR – Artcurial]
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