ARDPG : “J’aime confronter et faire dialoguer les périodes artistiques”
Historien de l’art issu du graffiti, ARDPG, 40 ans, est avant tout un artiste qui nous invite à gratter la surface de ce qui nous entoure. Tel un archéologue, il s’intéresse tout autant aux liens entre les différents cycles de l’Histoire de l’art que ce que recèlent les jeux de mots.
Pouvez-vous nous dévoiler votre parcours ?
J’ai grandi à proximité du plus grand terrain vague de la région bordelaise. Afin de me rendre au collège, je le longeais quotidiennement et y voyais l’œuvre de graffeurs. Je me suis entraîné sur papier durant un an avant de me lancer, lors de mes seize ans, sur ce terrain vague pour y réaliser un graff que j’estimais digne de ce nom. Après le baccalauréat, j’ai obtenu un Master 2 en Histoire de l’art. Parallèlement, je pratiquais toujours le graffiti. Dès 2007, j’ai commencé à peindre sur toile, non pas des graffitis, mais j’y intégrais un style urbain. Le graff devait rester dans la rue : il n’était pas question de graffer sur toile. Puis, je suis parti vivre sur Paris. Cette ville offrait tant d’espaces que j’avais parfois l’impression d’y voir tout et n’importe quoi. Pour réussir à se démarquer artistiquement, j’ai continué à créer dans la rue mais il me fallait un autre terrain de jeu moins saturé. Je décidai alors d’investir le métro. J’y collais proprement des fausses affiches en reprenant la typographie de la RATP et en y intégrant des messages et histoires décalés. Ce fut très remarqué et beaucoup de particuliers m’ont demandé d’en placer dans les stations à proximité de chez eux par exemple. Je n’étais pas le décorateur de la RATP (Rires) : j’ai donc décidé de tout arrêter du jour au lendemain.
Votre œuvre actuelle revêt deux types de créations : les “versus” et les écrits. Comment vous est venue l’idée de ce que vous appelez les “versus” ?
J’ai toujours porté beaucoup d’intérêt pour les cycles de l’Histoire de l’art et les histoires de manière générale. J’aime confronter et faire dialoguer les périodes artistiques, les opposer tout en les liant. C’est ainsi qu’en 2013, j’ai commencé à faire des “versus”, c’est-à-dire que j’alternais des graffs peints à la bombe et des collages représentant des peintures de siècles précédents. Via les “versus”, je souhaitais rappeler aux artistes d’aujourd’hui comme à moi-même qu’avant nous, des artistes talentueux avaient existé. Moi le premier ne serais pas capable de réaliser ce qu’ont créé des peintres des siècles auparavant. Et puis, je souhaitais montrer qu’il ne fallait pas s’arrêter à la surface de l’art contemporain ou urbain, mais au contraire creuser et comprendre la genèse de ces arts, ce qui avait existé auparavant. J’aime cette idée que, peut-être, dans plusieurs années, on ne parlera plus de graff ni de street art mais qu’on reviendra à une période plus classique. Mes “versus” peuvent être perçus comme des affiches déchirées où l’on défricherait un art plus ancien. Lequel se cache derrière la première affiche : le classique ou le graffiti ?
Vous aimez également jouer avec les mots.
Il s’agit en effet d’un autre aspect de mon travail qui, selon moi, est lié au premier, en ce que dans les deux cas, je raconte des histoires. J’aime particulièrement les écrits et l’adage “les paroles s’envolent, les écrits restent”. J’apprécie ainsi cette idée, que l’on retrouve dans les “versus”, de creuser la surface pour découvrir ces écrits à l’instar d’un archéologue. Je réalise ces derniers soit au pochoir soit en bois découpé au laser. Ils présentent une police neutre, très serrée, sans aucune ponctuation et donnent ainsi l’illusion de moucharabiés lettrés. J’aime la rigueur de la lettre : un “s” ne doit pas être différent d’un autre “s”, sinon, cela créerait une distraction et le message serait moins fort. Ces écrits relèvent de l’ordre de la poésie, de l’humour, de clins d’œil aussi spontanés que peut l’être l’art urbain. Et puis, encore une fois, par leur forme de moucharabié, ils obligent le passant à s’arrêter et déchiffrer le message. Enfin, j’aime tout particulièrement apposer ces écrits sur des murs vierges abandonnés ; je m’amuse à y peindre une ombre afin de donner l’impression que ces écrits font partie intégrante depuis toujours du bâtiment et de son histoire.
Vous définissez-vous comme un street artiste ?
J’enseigne depuis six ans l’Histoire de l’art ; je peux, par ailleurs, parfois passer une année en atelier sans intervenir dans la rue. Dans ce cas, peut-on dire que j’ai perdu mon statut d’artiste urbain ? Je trouve ce terme réducteur mais le comprends : l’Histoire de l’art a toujours été faite de mouvances et il est humain de mettre des étiquettes. Lors d’une exposition, on m’a défini de “ultra-contemporain”, ce qui était un compliment mais m’a fait beaucoup rire. Je me considère tout simplement comme un artiste. Mais, il est vrai que j’ai très envie de revenir à mes premières amours de la rue et de la RATP. Si, si…
Pourquoi avoir choisi ce nom d’artiste ?
J’ai pris un pseudonyme qui reprenait les lettres de mes prénom et nom : ces derniers sont donc faussement cachés. Je ne souhaitais pas revenir à mes blazes lorsque je taguais car j’étais passé à une étape supérieure et, en même temps, je recherchais une certaine reconnaissance à demi-masquée. Et puis, comme toujours, je jouais sur les lettres.
Retrouvez le travail de ARDPG sur son compte Instagram @ardpg et son site Internet www.ardpg.com.
Propos recueillis par Annabelle Reichenbach
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