Antoine Watteau – La Leçon de Musique – Bozar (2/3)
Les débuts d’Antoine Watteau
Fils d’un modeste artisan couvreur, Watteau passe, ses premières années, à Valenciennes (l’ « Athènes du Nord »), la capitale du Comté du Hainault, prise par les Français, six ans avant sa naissance. Autodidacte, il monte très jeune à Paris et travaille chez un marchand de peinture sur le Pont Notre-Dame où il copie des images religieuses et des tableaux de genre. Il suit des cours chez Claude Gillot qui lui fait découvrir la comédie italienne puis chez Claude Audran, ornemaniste et conservateur du musée du Luxembourg.
Travaillant en marge des fastueux milieux de cour et non enclin à la grande peinture d’histoire, Watteau exécute, en solitaire, de petites scènes de genre. Selon le comte de Caylus, l’un de ses biographes, il « composait sans objet ».
La peinture des anciens Pays-Bas est incontestablement l’une des deux sources d’inspiration majeures pour Watteau. Cela s’observe, par exemple, dans L’Indiscret (vers 1716) où il reprend un joueur de flageolet peint par Rembrandt dans L’Espiègle (1642).
La peinture vénitienne du XVIème siècle dont il « aimait beaucoup le coloris et la composition » (Edme-François Gersaint, proche du peintre) constitue l’autre grande source d’inspiration pour Watteau. Souhaitant la découvrir in situ, l’artiste participe au Grand Prix de Rome, en 1709, mais ne finit que second et ne peut, par conséquent, pas effectuer la studieuse retraite en Italie.
Watteau ne se penche attentivement sur la peinture italienne qu’à partir de 1715, suite au voyage de son ami, l’opulent financier Pierre Crozat, qui rapporte de nombreux dessins de maîtres. Il se met dès lors à copier les paysages italiens et le thème de la pastorale — très appréciée par les Vénitiens — trouve un écho tout particulier chez lui comme en témoigne, par exemple, sa scène d’Arcadie intitulée Deux jeunes gens, dont un violoniste, assis dans un paysage, d’après Giulio et Domenico Campagnola (entre 1713 et 1717).
Non cloisonné dans un registre, l’œuvre de Watteau témoigne d’un singulier brassage des cultures : de différents pays, de différentes couches sociales… Généralement, l’artiste s’empare de la réalité grâce à son sens aigu de l’observation et la retraduit à sa manière pour forger des scènes de son invention. Dans une œuvre de jeunesse fort originale, la Suite de Figures chinoises et tatares du château de la Muette, il représente un musicien vêtu à la mode asiatique (robe, chapeau de paille…) jouant d’un instrument européen, une vielle à roue, et un peu plus loin, un pâtre souffle dans un suona, un instrument à l’origine militaire…
Les clés du succès de Watteau : Intimité, sensualité et fête galante
Lors de la Régence (1715-1718), Philippe II, duc d’Orléans quitte Versailles pour le Palais-Royal à Paris. Le faste de la cour cède alors le pas à l’intime, et Watteau est de plus en plus estimé par les mécènes. En 1717, l’artiste est nommé à l’Académie en tant que peintre de fêtes galantes. Les deux termes les plus utilisés à l’époque pour désigner sa peinture sont « nouveau » et « charme ».
La fête galante est caractérisée par la réunion de personnage (souvent en nombre pair) participant à des jeux sentimentaux / amoureux, dans une nature printanière.
Watteau se plonge dans deux univers, le rêve et le théâtre. L’artiste pose son sujet — une promenade, une scène de danse frivole… — et laisse l’imagination du regardeur divaguer à sa guise. « Dans ce monde de rêve, on ne connaît ni le regret, ni le remords, ni les tumultes de la passion, ni les déchirements des sentiments contraires… De la vie, il ne reste que l’amour, et de l’amour que le rêve d’un poète soudain épris un soir de bal. » (Georges Seailles, Watteau, 1927, p.95)
Dans L’Accord parfait (1717-18, Los Angeles County Museum), la scène n’est guère explicite. Dans le fond, un couple d’amoureux s’éloigne. Au premier plan, une jeune femme tient un cahier et un flûtiste joue. Peut-être suit-il la partition qu’elle lui tend ? Ou peut-être accompagne-elle le musicien au chant ? A leurs pieds, un jeune guitariste attend. Peut-être pour déclarer à son tour sa flamme en musique ? Nul ne le sait…
Très souvent, Watteau se plaît à représenter des musiciens à l’arrêt. Dans La Gamme d’amour (1717-18, National Gallery de Londres), une jeune femme tenant une partition et un guitariste sont plongés dans un temps d’attente. Ils se regardent, semblant se mettre tout aussi d’accord sur la bonne interprétation du morceau à venir que sur leurs intentions sentimentales.
Connu et apprécié des plus grands esprits du XVIIIème en seulement quelques années, Watteau fut une étoile filante. Il disparaît à Nogent-sur-Marne, le 18 juillet 1721 à l’âge de 37 ans, sans doute des suite de la tuberculose. Plusieurs artistes — parmi lesquels Nicolas Lancret — tenteront de reprendre le thème de la fête galante mais ne parviendront jamais à égaler le maître.
Jean-David Boussemaer
[Visuels (de haut en bas) : Campagnola d’après Watteau. Antoine Watteau (1684-1721). Deux jeunes gens dans un paysage, d’après Domenico Campagnola (?). Vers 1715-1716. Sanguine. 22,3 x 30,4 cm. San Francisco, The Fine Arts Museum, Achenbach Foundation for Graphic Arts. © The Fine Arts Museums of San Francisco, Achenbach Foundation for Graphic Arts // Antoine Watteau (1684-1721). Portrait d’Antoine de La Roque. Vers 1715. Huile sur toile. 46 x 54,5 cm. Tokyo, Tokyo Fuji Art Museum. © Tokyo Fuji Art Museum Image Archives / DNPartcom]
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