Anri Sala – Centre Pompidou
Le visiteur entre dans un espace obscur où sont temporairement érigés des grands pans de murs, ouverts sur l’extérieur de chaque côté, et placés de sorte à constituer un antre au sein duquel se créé un chemin à la circulation presque labyrinthique qu’induisent le déclenchement d’une musique et le déroulé des images.
L’installation d’Anri Sala nous appelle à écouter nos sens et démontre l’importance de ceux-ci dans la détermination de nos actes et comportements. Elle révèle aussi combien l’être humain s’assujettit au milieu dans lequel il vit, l’impact de son environnement sur son évolution. Il n’existe pas de lien apparent entre les différents protagonistes des films, mais tous sont reliés soit par la chanson des Clash, Should I Stay or should I Go, jouée par un orgue de barbarie, soit par l’une des symphonies de Tchaïkovski.
La musique n’accompagne pas à proprement parler l’image ; l’une et l’autre sont indépendantes. Cette dichotomie volontaire dans la scénographie de l’installation permet de créer des perturbations sonores et visuelles. Elles engendrent alors une modification perceptive poussant le visiteur à trouver une nouvelle place in situ.
Le « puzzle vidéastique » opère par des effets de surprises. Le visiteur, devenu spectateur, fait preuve de vigilance passive. Attentif, il ne reste pas moins attentiste, sa capacité d’anticipation étant réduite au « pseudo-contexte cinématographique ». Seul un événement extérieur déplace le spectateur de ses point d’ancrage et intérêt central. En suivant les personnages des films, Il devient malgré lui leur reflet inconscient et répond par une forme de mimétisme situationnel. Toujours en mouvement, les acteurs traversent des lieux souvent désertiques auxquels s’ajoute néanmoins une tension perceptible résultant ou présageant un changement, un bouleversement. Une rue traversée en courant par une foule est une action reproduite par le déplacement des spectateurs d’un écran vers l’autre.
Le corps est alors sollicité dans son mouvement engendrant ainsi une action à laquelle se substitue une réalité nouvelle. Physiquement éprouvé, le visiteur est soumis à un véritable va-et-vient entre l’intérieur et l’extérieur. Alors que nous regardons l’une des séquences montrant un jeune homme en train de jouer de la batterie, le spectateur est surpris par le roulement des tambours d’un orchestre sans musiciens déployé dans toute la salle. La réalité et la fiction s’interpénètrent recouvrant de multiples facettes dont nous sommes dès lors seuls les narrateurs.
L’installation se referme sur la façade en verre du Centre Pompidou, dans laquelle se fond la boîte à musique No Windows, No Cry des architectes Renzo Piano et Richard Rogers. Nous sommes tour à tour regardants et regardés. Les badauds peuvent à loisirs observer de l’extérieur le mouvement intérieur des visiteurs de l’exposition. Ces derniers, quant à eux, profitent à leur guise de cet espace, certes délimité mais néanmoins ouvert sur le monde.
Cette orchestration scénique d’Anri Sala conduit le visiteur à vivre une expérience artistique personnelle à la dimension d’un John Cage avec sa composition 4’33“. Précurseur entre autres de l’actionnisme, Cage sollicite la participation active du public grâce à son implication directe mais non moins inconsciente. Les auditeurs, venus écouter un concert, sont confrontés au silence pianistique de son interprète, David Tudor, provoquant la montée de commentaires surpris et indignés. L’oeuvre musicale de Cage repose sur son intention de mettre en situation son public, de le faire intervenir dans le déroulement du processus créatif. Le silence annulé puis remplacé par la musicalité sonore des voix remet notamment en question notre rapport à l’art, notre relation au monde, notre manière de s’y projeter et d’y exister.
L’installation d’Anri Sala, quant à elle, donne à prendre conscience des différents degrés de lecture du monde, des possibles fenêtres que nous pouvons ouvrir mais aussi des murs invisibles que nous construisons intellectuellement. La nature cinétique et musicale de l’être humain fait de lui le médium originel à partir duquel naît l’inspiration créatrice et dont il devient seul l’expression artistique indispensable à la réalisation de toute œuvre d’art.
Géraldine Tachat
Exposition d’Anri Sala
Tous les jours sauf le mardi, de 11h – 21h
Nocturnes tous les jeudis jusqu’à 23h
Plein tarif : 13€ // Tarifs réduits : 10€, 11€ et 9€ (selon la période)
Forfait donnant accès à toutes les expositions temporaires et aux collections permanentes du musée
Centre Pompidou
Galerie Sud
75004 Paris
M° Hôtel de Ville ou Rambuteau
www.centrepompidou.fr
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