Anne-Laure Flacelière : « Comment interroger la notion d’hospitalité à travers la création contemporaine ? »
À l’occasion de l’exposition « Persona Grata », nous nous sommes entretenus avec Anne-Laure Flacelière, chargée d’études et du développement de la collection du MAC VAL.
« Persona Grata » est une exposition d’art contemporain imaginée et présentée conjointement sur deux sites, le Musée National de l’Histoire de l’Immigration(MNHI) et le MAC VAL (Musée d’art contemporain du Val-de-Marne), jusqu’au 20 janvier.
Ces deux institutions – un musée de société qui valorise la création contemporaine et un musée d’art contemporain qui questionne les phénomènes de société – interrogent la notion d’hospitalité à travers le prisme de la création contemporaine.
Aurore Garcia : Vous avez collaboré avec le MNHI pour monter cette exposition. Comment est née l’idée de ce projet collaboratif ?
Anne-Laure Flacelière : Ce partenariat est né d’une invitation du MNHI vers le MAC VAL. On nous a invité à réfléchir ensemble au sens de l’hospitalité aujourd’hui dans notre société, à travers une exposition d’art contemporain imaginée à partir de nos deux collections respectives. C’est une toute nouvelle expérience pour nous.
L’hospitalité est une valeur qui parle au MAC VAL. Elle est dans notre ADN, dans l’histoire même de l’institution puisque c’est un musée récent qui a ouvert ses portes dans un territoire où on n’attend pas l’art contemporain. Le musée est construit au milieu de grands ensembles plus anciens et l’idée est d’y apporter la culture et de faire découvrir la création contemporaine aux Val de Marnais, aux Vitryottes et à un public beaucoup plus large.
Nous ne drainons pas un public averti, qui connaitrait l’art contemporain. Nous avons avant tout une mission de découverte et d’accompagnement, avec un service des publics spécifique mis en place, des dispositifs et des offres adaptées pour tous. Nous pratiquons donc cette hospitalité au quotidien envers le public et aussi envers les artistes.
Au MAC VAL, les thématiques que l’on aborde sont très souvent liées à l’humain, que ce soit être au monde ou à travers la question de l’immigration. L’immigration n’est pas notre cœur de sujet, mais nous sommes dans un territoire où il y a une diversité et un maillage de cultures depuis le début du 20e siècle. Ces questions humaines nous intéressent. Il se trouve que cette question de l’actualité, de la migration, traverse aussi les regards des artistes et leurs œuvres et ce, via tous les médiums.
AG : Chacun a puisé dans ses collections respectives. Comment vous êtes-vous organisés pour cette répartition ?
A-L F : L’exposition du MNHI relève d’un double commissariat : Isabelle Renard, cheffe de service des collections du MNHI, qui a développé le fond d’art contemporain du musée, et moi-même, chargée de la collection du MAC VAL et de son développement.
À travers nos missions nous connaissions bien nos fonds respectifs et il se trouve que nous avons des familles d’artistes communs. Il y avait déjà eu des temps d’exposition d’art contemporain au MNHI avec, par exemple, l’exposition J’ai deux amours, qui abordait la question de l’exil. Nous voulions donner à voir d’autres œuvres.
Nous avons fait le choix de montrer des œuvres récemment acquises par le MNHI, en cours d’acquisition ou jamais montrées au public. Pour le MAC VAL, le choix était différent car, en tant que musée d’art contemporain, le fond était plus important. Donc, nous avons pu puiser dans des œuvres plus anciennes (par exemple, les pièces de Sarkis ou de Judit Reigl). Nous nous sommes présenté des corpus d’œuvres qui pouvaient se répondre et nous avons réfléchi à des correspondances, au sens baudelairien (résonnances, échos).
AG : Qu’évoquent ces œuvres ?
A-L F : Nous avons choisi de mêler beaucoup de pièces poétiques, métaphoriques, toutes un peu polysémiques, même si il y a toujours un discours engagé ou politique. Les pièces ne sont pas toutes militantes, elles n’ont pas toutes non plus un ancrage fort dans la réalité, mais elles ont plusieurs niveaux d’interprétations. Toutes les œuvres portent quand même une part un peu sombre de la difficulté de quitter son pays, la difficulté de trouver l’accueil : l’écart entre le rêve, l’effet escompté et la réalité, celle des murs qui se dressent, au sens physique mais aussi psychologique, ou politique.
Tout cela est très présent dans l’exposition mais avec l’idée qu’au-delà de l’hostilité il y a toujours une envie plus forte que tout de se reconstruire, un instinct de survie, le besoin de rejoindre un jour des rives meilleures. À travers le déplacement il y a toujours l’espoir du futur et du lendemain.
AG : Vous tenez à la représentation de la diversité ?
A-L F : Lorsque nous avons sélectionné nos corpus d’œuvres nous avons été soucieux de donner à voir différents médiums : il y a des installations, des photos, des vidéos, de la peinture, de la sculpture…
Et nous tenions aussi à présenter différents types d’artistes : de la jeune création émergeante au côté d’artistes plus reconnus, ou d’autres dont la renommée n’est plus à faire, des artistes qui ont vécu une expérience personnelle de l’exil mais pas seulement, car certains artistes ne se font que témoins d’une actualité. Nous avons sélectionné autant d’artistes hommes que de femmes. Nous tenions à cette parité.
AG : Outre votre écriture originale du projet à deux, vous avez fait intervenir d’autres profils singuliers dans la préparation de l’exposition.
A-L F : En effet, nous avons travaillé avec deux philosophes, Fabienne Brugère et Guillaume Le Blanc, qui ont été invités en 2017 pour les dix ans du MNHI, au moment de la sortie de leur dernier ouvrage La fin de l’hospitalité. Nous avons eu envie de croiser nos collections, des visions artistiques, un choix et une sélection, au regard de cette question de l’hospitalité. Très vite les thématiques qui se dégageaient de notre sélection rejoignaient beaucoup la problématique des écrits de ces deux philosophes et nous avons décidé de préparer cette exposition comme une sorte de partition à quatre mains.
Ce croisement avec une approche philosophique était particulièrement intéressant. Ce sujet qu’ils connaissent parfaitement bien grâce au travail sur le terrain qu’ils mènent depuis plusieurs années, nous permettait de combler des écueils, des faits dont nous avions envie de parler, mais dont nous n’avions pas forcément les œuvres pour les illustrer. Nous avons pu ainsi apporter une pensée philosophique, une autre approche du sujet, que nous, historiens de l’art, n’aurions pas eue.
Propos recueillis par Aurore Garcia
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