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Alexia Venot : “Le corps de ma pratique c’est de répondre à des questions environnementales et sociales par le biais de la matière”

Zélie Caillol 19 janvier 2021
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Projet Hay & Husk - © Alexia Venot

Alexia Venot est designer et chercheuse. À travers ses projets elle s’intéresse à l’impact environnemental et social de la matière et du design. Au croisement entre procédés techniques, savoir-faire artistiques, entre innovation et tradition Alexia Venot nous parle de ses projets…

Peux-tu te présenter pour les personnes qui ne te connaissent pas ?

Je m’appelle Alexia Venot, je suis designer. J’ai été formée au design textile aux Arts Décoratifs de Paris, par la suite, j’ai suivi un cursus de recherche-création. Aujourd’hui, ma pratique va plus loin que le textile, je travaille à l’intersection de plusieurs disciplines, de plusieurs projets. À la fois sur des problématiques qui vont s’intéresser à l’artisanat, aux matériaux ou des problématiques industrielles, de pédagogie et de curation. Mais le corps de ma pratique c’est répondre à des questions environnementales et sociales par le biais de la matière.

Comment définis-tu le design ?

Le design est un domaine large, il prend en compte plusieurs champs de création, c’est très vaste. Je m’intéresse à une branche du design qui serait celle du design social. C’est donc un design qui s’inscrit dans le courant des innovations sociales, le designer n’est pas uniquement celui qui conçoit des objets mais celui qui s’inscrit au sein d’un ensemble de relations. Ma définition du design prend en considération le contexte, il devient un objet central de ma pratique, qui se veut située.

Comment penses-tu la matière et comment la définis-tu ?

C’est d’abord une question de terrain. Dès lors qu’il n’y a pas de terrain, il n’y a pas de matière.
À mon sens, pour aller au-delà d’une dimension extractiviste d’une ressource, il faut prendre en considération les relations humaines, non-humaines, l’Histoire et les histoires du terrain. Donc plus que la matière en elle-même c’est le contexte qui m’intéresse : quel est son influence sur la matière ? Quels sont les artisanats structurés autour ? C’est donc d’abord un questionnement et des recherches sur l’essence, le terreau de la matière.

Comment arrives-tu à un projet de matière ?

J’ai un rapport à la fois pratique et théorique à la matière. C’est-à-dire, un rapport très instinctif, très intuitif quand je suis en train de faire ou encore plus protocolaire en m’imposant des méthodes ou en respectant un cahier des charges. Au cours de cette exploration, je construis une réflexion sur la matière et comment va se structurer cette matière, comment elle s’articule avec un contexte, une situation.

Ton projet Hay & Husk s’inscrit complètement dans cette définition. Peux-tu nous en dire plus ?

Hay & Husk part du constat qu’il y a une quantité considérable de paille de riz qui est brulée à l’échelle mondiale. Je me suis intéressée localement au problème, en regardant le cas de la Camargue. Le projet est né en 2017 et continue aujourd’hui – sous différentes formes.

La question initiale c’était : comment mettre en place des solutions par le design pour la transformation de ces pailles ? Au début, ma recherche était vraiment une réflexion sur la mise en place de procédés. Réfléchir à des moyens de transformer ce matériau pour permettre la création de nouveau, pour l’ameublement et surtout la transformation et l’application pour trouver des usages en procédés. Pour cela, j’ai travaillé avec des artisans, un laboratoire, des industriels…

Aujourd’hui, ça va un peu plus loin, c’est à la fois un objet de dialogue qui pose des questions liées au cloisonnement disciplinaire et à la valorisation des co-produits. En tant que designer on n’a pas toutes les clés pour mettre en place des politiques de valorisation de ces co-produits, il faut des industries derrière, il faut des acteurs publics. Il faut tout un consortium sur ces questions-là. Aussi avec pour objectif de prendre en considération ces questions, inciter l’industriel à réfléchir au cycle de la matière, des ressources utilisées, à la manière dont ils produisent…

Il y a plusieurs portes d’entrée dans mon projet : quelles sont les modalités d’interactions à partir d’un matériau et comment est-ce qu’on fait dialoguer des savoir-faire ? Comment revenir à des choses qui sont plus low-tech, qui ne soient pas “performatives”, avec une facture plus “simple”, en respectant les qualités de la ressource ? Comment faire évoluer les mentalités vers une esthétique qui serait plus “ancestrale”, avec des matériaux qui sont amenés à se dégrader avec le temps ?

Comment les enjeux environnementaux actuels poussent les arts, le design au dialogue avec les sciences ?

Les nouveaux enjeux, qui touchent aussi bien l’art que le design, amènent des questions éthiques. Dans mon cas par exemple : est-ce que cela me suffit d’utiliser des déchets, des ressources ou des co-produits pour créer, est-ce que ce n’est pas un changement systémique qu’il faut mettre en place ? La question du déchet n’est que l’une des conséquences de dérèglements plus importants, qui sont de l’ordre du système. Dans les “green mouvements”, on retrouve beaucoup cette idée “d’up-cycling” mais cela ne nourrit souvent qu’un mouvement qui est celui du “greenwashing”. Utiliser du déchet pour faire tout et n’importe quoi ou utiliser des déchets d’ici pour aller produire ailleurs par exemple. C’est pour cela que je m’intéresse plus au contexte et aux systèmes, parce que toute problématique est contextuelle.

Projet Hay & Husk

“Designer des contextes”

Le designer a une responsabilité quand il propose un objet. La question environnementale est d’autant plus présente chez les designers que leurs pratiques peuvent avoir beaucoup plus d’impact que celles d’un artiste qui est bien souvent en pièce unique. La réplicabilité qu’on trouve dans le design pousse à questionner d’où proviennent les ressources, comment elles sont transformées, leur fin de vie, leur cycle de vie en somme.
On a tout intérêt à travailler avec d’autres disciplines, pas nécessairement artistiques, que ce soit des disciplines scientifiques, des sciences du vivant, du “care” . On parle beaucoup du “care”, c’est-à-dire du soin, c’est très important. D’autant plus avec la situation que nous vivons. La crise sanitaire a un impact psychologique non négligeable et le designer peut aussi être celui qui prend soin, qui crée du lien.

Comment vois-tu le design du futur ?

Il y a de gros enjeux pour le design aujourd’hui… La crise sanitaire n’est pas une surprise, on va avoir d’autres crises à affronter. Et dans tous ces défis, je pense que le design a vraiment un rôle à jouer. Pour la crise sanitaire actuelle, il faut trouver des moyens, à la fois pour prévenir cette contamination, des infrastructures, des objets par exemple. Mais surtout permettre que la société ne soit pas totalement malade des conséquences de cette crise, c’est à dire comment soigner les relations ? Réintroduire de la convivialité dans la société malgré le fait qu’un virus s’installe, qui transforme nos habitudes, nos manières d’échanger, qui va nous transformer.
Dire à un enfant de ne pas avoir de contact… c’est problématique pour moi, le toucher est important. Le contact avec la matière est essentiel. On a besoin de se toucher, on a besoin de toucher des choses. Avec le digital on a déjà perdu beaucoup de ce rapport tactile au monde, et cela s’amplifie et va s’amplifier davantage. On digitalise de plus en plus. Il y a des avantages à ce qu’on soit tous connectés dans un rapport très horizontal, parler avec des gens du monde entier en ligne, c’est super et en même temps il manque quelque chose : la présence des corps.
Un des défis c’est celui-là, réapprendre à avoir un rapport matériel et tactile avec le monde. Et d’autre part, la crise environnementale qui est là, le rôle du designer et de trouver des moyens de rendre la terre habitable.

Tu as un autre projet, Vivant.es, qui n’est pas que sur le design. Qu’est-ce que c’est Vivant.es ?

Vivant.es c’est un espace de rencontres en ligne que j’ai proposé dans le cadre du studio que je coordonne à l’ENSAD. Ce studio devait prendre place dans les laboratoires d’Aubervilliers, il soulève les questions du “care” et de la relation du vivant dans la ville. C’est-à-dire comment peut-on se réapproprier le vivant dans la ville et comment se réapproprier la ville par le vivant.
À l’amorce du studio, on nous annonce le confinement, qui n’était pas vraiment une surprise. Malheureusement, le studio et ses problématiques c’est un projet de terrain, il nous fallait vraiment être sur place, rencontrer les gens, comprendre le contexte de ces relations vivant / ville… et là on n’avait pas de terrain. On est habitué à être de plus en plus résilient donc, très vite, j’ai proposé à des artistes, chercheuses, designers, curatrices, – essentiellement des femmes – à venir s’exprimer sur leurs projets qui étaient en lien avec les problématiques soulevées par le studio, en leur proposant de répondre à une série de questions.
Chaque semaine, des femmes viennent s’exprimer sur leur engagement, sur leur rapport au vivant, la transmission, le partage, c’est aussi très important aujourd’hui, surtout pendant une période où les étudiant.es ont peu accès à la culture, face à la fermeture des musées, théâtres, galeries… Rencontrer des artistes, dans ce contexte est aussi un moment privilégié, permettant de garder un contact, une proximité avec le monde du design et de l’art : on ne peut plus éprouver physiquement les œuvres, les objets, le dialogue est alors essentiel à mon avis.
Toute cette première partie du studio que je coordonne s’inscrit dans un projet plus large qui est la préparation d’une expo-action à la Villette à l’initiative d’Anna Bernagozzi, professeure de design et curatrice à l’ENSAD. L’expo devrait avoir lieu en avril dans le cadre du festival “100% à la Villette” sur la thématique “Infinite Creativity for a finite world”.

Rendez-vous sur son compte Instagram pour découvrir plus en détail ses projets. Cliquez ici.


Propos recueillis par Zélie Caillol

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