Alberto Ruce : “J’aime peindre dans la rue car je veux instaurer un dialogue avec le public”
Dans une ambiance quasi caravagesque, le street artist italien nous fait déambuler dans un monde teinté de fiction et de rêve avec une fine maîtrise de la lumière où les tonalités de couleurs douces se confondent aux supports et questionnent notre perception.
Alberto, quelques mots sur toi et ton parcours ?
Je suis Italien, je viens de Sicile, natif d’un village près de Catania pour être précis. J’ai une formation en hôtellerie à la base.
J’ai commencé à faire du graffiti à l’adolescence. J’avais 13 ans quand j’ai vu les premiers graffitis réalisés dans mon école et ça m’a tout de suite donné envie d’en faire. Je dessinais déjà à l’époque, surtout des lettres. J’ai fait une rencontre avec une personne passionnée par le graff qui m’a initié et du coup j’ai décidé de prendre des sprays pour faire mon premier graff sur un mur de mon école. J’ai passé à peu près quatre ans à faire des lettrages, en vandale, jusqu’à l’arrivée des premières fanzines dans ma ville. J’étais tout de suite passionné par les lettres 3D que j’ai peintes pendant au moins cinq ans.
À 20 ans, je me suis installé à Paris où j’ai eu pas mal de stimulis. Je me suis détaché de ma culture hip-hop et des graffeurs et j’ai rencontré beaucoup d’artistes, des peintres, des dessinateurs de BD, des écrivains. J’ai intégré les ateliers des Beaux-Arts de Paris et puis j’ai commencé à peindre de plus en plus de figures humaines ou des paysages avant de peindre uniquement des personnages de “puppet”. À force de m’exercer à peindre des personnages de BD pendant des années, ceux-ci commençaient à avoir un aspect plus réaliste et pictural au vrai sens du terme. Maintenant, je peins beaucoup à partir de photos que je prends moi-même, mais je garde toujours le style “onirique” et “fantastique” dans la manière de traiter l’image.
Pourquoi t’exprimer dans la rue ?
J’aime peindre dans la rue parce que je veux instaurer un dialogue direct avec le public et cela nourrit mon travail. Les réactions des gens du quartier ainsi que celles de mes collègues me stimulent et rendent les choses vraies, ils remettent en perspective mes créations et me font sortir de ma bulle. Le message dans la rue passe complètement différemment que lorsque vous peignez sur une toile. De plus, j’ai du plaisir à laisser voir mes œuvres au public le plus large, plutôt que d’enfermer une œuvre dans un salon.
Comment décrirais-tu ton style, ta technique ?
Il m’est vraiment difficile de décrire mon style, ce n’est pas facile d’analyser quelque chose qu’on fait naturellement, qui vous est propre. Comment pouvez-vous décrire vos mains ou votre personne ?
En tout cas, comme je l’ai évoqué, je peins souvent des images réalistes, que je réinterprète à ma façon, notamment à travers les contrastes et la palette de couleurs. Je peins presque toujours à la bombe et cela m’aide dans la gestion du trait et de la nuance. Les images sont très claires et pas trop contrastées, j’essaie d’être précis. En même temps, je cache beaucoup l’image avec l’utilisation de couleurs très similaires à celles du support sur lequel je peins, et en utilisant également les textures des murs pour cacher certaines parties de l’image, je laisse l’imagination du spectateur compléter la pièce.
D’où viennent tes inspirations ?
Je m’inspire un peu de tout ; à part de nombreux peintres qui me passionnent et dont je suis le travail, j’aime le graphisme, la sculpture, la photographie, le cinéma, et je reste toujours très attaché à mon berceau, le graffiti, et à la culture hip-hop. Même la musique : par exemple, un morceau du compositeur américain John Cage, 4’33” (une pièce silencieuse) a inspiré ma propre série de peintures monochromes blanches.
D’autres inspirations viennent de réalisateurs comme Wes Anderson ou les frères Wachowski, du photographe italien Luigi Ghirri, du sculpteur Jago. Je m’intéresse aussi au travail d’autres graffeurs comme Dare, Seen ou encore l’italien Verbo. J’admire le Caravage, peintre italien du XVIe siècle pour son clair-obscur et l’ambiance ténébreuse, mais aussi Nicola Samori, autre peintre italien qui travaille la peinture ancienne.
Peux-tu nous parler un peu de tes projets?
En 2019, j’étais parti avec une amie vidéaste et graphiste faire un road-trip documentaire en Sicile. Le projet s’appelle Transhumanze et porte sur la micro-migration et l’abandon des coutumes populaires. Nous avons parcouru des petits villages quasiment désertés. Nous y sommes restés un certain temps pour parler aux habitants au sujet de l’histoire du lieu, de l’agriculture etc. J’ai ensuite peint des murs que mon amie a filmés. Mes créations étaient des traductions picturales de ces témoignages. Ce projet est en cours de finalisation.
En ce qui concerne 2020, avant le Covid, j’avais un agenda plein. Tout est suspendu maintenant. J’avais un solo show à Paris, au printemps, Empatia, organisé par Art’Murs à la galerie Wawi qui a été reporté à fin septembre. Quant à mes envies, j’aimerais passer à la peinture de façade à un certain moment.
Pourquoi Marseille ?
Après Paris, où c’était de plus en plus difficile de trouver un espace pour peindre, je suis retourné un peu en Sicile, mais je m’y sentais éloigné, isolé et en manque d’interaction. Marseille est une ville du Sud qui me ressemble. La proximité de la nature, la mer et son rythme me conviennent. J’ai un atelier au Couvent, à la Friche de la Belle de Mai, où nous sommes un peu plus de 40 artistes de tous horizons à se fréquenter. C’est agréable et il y a une belle évolution pour l’art urbain.
Découvrez le travail d’Alberto Ruce sur son site.
Propos recueillis par Eleftheria Kasoura
L’exposition Empatia, portée par l’association Art’Murs, aura lieu du 30 septembre au 21 octobre à la galerie Wawi
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