Aksel : “Je dépeins le monde que nous allons laisser derrière nous”
Rencontre avec Aksel, un peintre aux multiples techniques et à l’univers pictural fort en symboles. Il nous fait découvrir une terre en perdition.
Comment avez-vous commencé à peindre, à créer ? Racontez-nous votre histoire.
Je suis né en 1974 d’un père franco-autrichien, chef d’entreprise et d’une mère suédoise, galeriste dans les années 80. J’ai grandi avec un goût pour les arts et en particulier pour le dessin et la peinture. Petit, je dessine, je sculpte, je modélise et je peins ma première toile à 14 ans. À 25 ans, je suis diplômé de Penninghen (ESAG – école de direction artistique et d’architecture intérieure) et je débute une carrière de directeur artistique indépendant. En parallèle, je poursuis la construction de mon univers pictural et j’ajoute une corde à mon arc en participant aux ventes aux enchères au profit de l’association La Source qui propose à une cinquantaine d’artistes (Gérard Garouste, Philippe Starck, Christian Louboutin, Jean-Charles de Castelbajac, Jean-Michel Wilmotte et bien d’autres) de customiser chaque année un objet d’un designer prestigieux : Charles & Ray Eames, Jean Prouvé, Jasper Morrison… Mais dans l’intimité de mon atelier, mon imaginaire et mes différentes techniques – peinture acrylique, peinture à l’huile, encre de Chine et aquarelle – me permettent d’exprimer mon art et ma vision de la société au travers de toiles singulières, empreintes de croyances et de décroyances.
Vous travaillez avec beaucoup de techniques différentes, comme la peinture acrylique, la peinture à l’huile, la photographie, l’encre de Chine, l’aquarelle, le crayon à papier ou encore le Posca. Pourquoi tant de diversité ?
J’utilise beaucoup de techniques différentes pour apporter un autre rendu, une autre dynamique, d’autres sensations, du relief, des transparences… Chaque médium a des qualités et des inconvénients différents, que j’aime mélanger. Pour mon travail photographique par exemple, j’imprime chacune de mes photos en noir et blanc sur du papier d’art texturé, ce qui me permet d’y ajouter de la peinture, de l’aquarelle et du Posca. Lorsque je travaille à l’acrylique, j’y ajoute de l’encre de Chine et différentes encres mais dernièrement, j’ai eu l’honneur d’apprendre aux côtés de Gérard Garouste, la technique de la peinture à l’huile et là j’applique les conseils d’un puriste de l’huile, je n’y ajoute donc aucun autre médium.
Dans la série Back to the Wild, on remarque beaucoup d’animaux démesurés en pleine ville. Avez-vous envie de faire passer un message environnemental ?
L’architecture, illustration première du pouvoir de l’Homme, n’est plus qu’un paysage supplémentaire pour ces êtres affranchis, les animaux. Ils sont imposants, disproportionnés par rapport au reste du monde, ils peuvent circuler librement, se cherchent et parfois se trouvent ou se retrouvent. Ils font face à la beauté créée par la main de l’Homme mais aussi au chaos, débordant de contradiction, légué par ce bipède. Leur majestueuse fierté nous laisse deviner une grandeur d’âme, leur force vitale nous subjugue. Je représente souvent des éléments du monde animal ou végétal au milieu d’une architecture urbaine assez complexe. L’idée associée à cette démarche est que le monde humain tel que nous le connaissons aujourd’hui est en perdition et se dirige vers sa propre fin. Je dépeins le monde que nous allons laisser derrière nous, celui que nous allons inévitablement léguer à la nature qui, elle, reprendra ses droits. C’est pour cette raison que les animaux sont souvent seuls et surdimensionnés, comme pris au piège de la ville. Si l’on aperçoit des êtres humains, il s’agit soit de sculptures, soit de panneaux publicitaires. La vie au sens organique du terme est ainsi symbolisée uniquement par les animaux, représentant à eux seuls, la force incommensurable de la nature. Je ne dépeins pas là une apocalypse mortelle pour l’ensemble de l’écosystème, mais bel et bien un avenir comblé d’espoir. Je rends hommage au somptueux et au pouvoir architectural des Hommes et à cette fascinante nature qui malheureusement s’éteint.
Quelle est la place de la couleur dans votre travail ?
Les paysages désertiques et les lieux abandonnés, constamment dépeints de manière brute, sans vie, monochrome, gardent toute leur somptuosité, laissent entrapercevoir l’essence de la vie qui gratte petit à petit la toile, parsemés de taches de couleur. Le contraste du noir et blanc et des couleurs pop affiche clairement la blessure, la suture entre ces deux règnes. Une cicatrice qui restera gravée à jamais dans la roche mais à laquelle seul l’Homme pourrait être attentif, comme en témoigne le stoïcisme des animaux devant le mont Rushmore dans le tableau Set In Stone.
Dans la série Invasion, pourquoi avoir mis en scène des produits de la société de consommation, comme des chaussures Adidas et un pot de Nutella ?
C’est une critique de la surproduction qui engendre la surconsommation et du même coup, la pollution de notre planète. Nous voilà avec des objets fabriqués à l’autre bout du monde, qui se retrouvent rapidement obsolètes ou démodés et dont nous ne savons plus quoi faire. Tout cela finit dans nos rues, dans nos forêts, dans nos océans…
Quelle est votre vision de l’art ?
C’est une manière d’exprimer une approche différente sur le monde, par une originalité aussi bien sur la forme que sur le fond, afin de provoquer des réflexions et des émotions subtiles, fortes, dérangeantes… L’art est là pour nous émerveiller, nous questionner, nous déranger, pour nous faire sortir de notre zone de confort.
Quelle est votre source d’inspiration aujourd’hui ?
Aujourd’hui, je suis totalement tourné vers la nature. J’ai décidé de travailler uniquement sur la thématique des paysages, des végétaux. Je dessine des paysages imaginaires et poétiques qui nous font percevoir la résilience de la nature. Des arbres renaissent des profondeurs de notre terre, où des couleurs surgissent, illustrant la vie qui se réinvente.
Retrouvez le travail d’Aksel sur son site et sur son Instagram.
Propos recueillis par Pauline Chabert
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