Agnès Rainjonneau : “Le vivant : en constante évolution et transformation”
Rencontre avec Agnès Rainjonneau, plasticienne, sur le lieu de son exposition « Fragments », à Sées, dans l’Orne, qu’elle partage avec Mathieu Chevallier. Elle nous détaille son travail, ses inspirations et ses projets dans ce lieu magnifique.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis plasticienne. J’utilise plusieurs façons de créer : peinture, dessin, travail sur papier et sur toile, installations, illustration de poésies…
Où êtes-vous basée ?
Je travaille et vis au Mans. J’ai installé mon atelier chez moi ; je fais des expositions principalement autour du Mans (Sarthe), d’Alençon (Orne), et plus largement en Normandie.
Quel est votre parcours professionnel ?
À la sortie des Beaux-Arts, j’intervenais beaucoup en milieu associatif, à la maison d’arrêt du Mans ou en milieu scolaire. Par la suite, j’ai réalisé des ateliers au Musée de Tessé, le musée des Beaux-Arts du Mans. Depuis, j’encadre des stages et ateliers d’arts plastiques en milieu scolaire et associatif, au centre d’Art d’Alençon et auprès d’enfants et d’adultes hospitalisés.
Nous sommes, aujourd’hui, à la médiathèque Émile Zola de Sées où votre exposition « Fragments » est présentée. Cette exposition est un travail autour de la nature, des arbres. Pourquoi ce choix ?
Je présente juste une petite partie de ce travail autour de l’arbre. L’arbre, c’est du vivant. Au tout départ de ce travail, en regardant les arbres, je voyais toujours une transformation. Quand je regardais les écorces et la façon dont les branches se déployaient, c’était de l’ordre du mouvement et de la transformation. Ce dernier mot est important dans mon travail. Que ce soit au sujet de l’arbre, de l’humain, du vivant, sur les tâches d’encre comme sur les peintures abstraites, ce mot « transformation » revient toujours dans mes œuvres.
Qu’est-ce qui fait qu’à un moment donné, on regarde l’écorce d’un arbre et celle-ci devient autre chose ? Dans mon travail précédent, déjà sur le thème de l’arbre, l’écorce ou l’enveloppe était faite d’une multitude de petits monstres. J’avais travaillé au pastel et à l’acrylique.
Dans cette exposition, j’ai une démarche assez différente. J’utilise l’encre et la plume comme médium, et réalise le dessin par une multitude de points. L’arbre est toujours présent mais fragmenté. J’ai travaillé sur de tous petits formats carrés (15×15 cm) ; ces détails assemblés reconstituent un arbre entier puis un deuxième, un troisième et ainsi de suite pour arriver à obtenir une petite forêt. Dans tous ces petits fragments, les branches peuvent aller chercher la vie dans un autre arbre. Certains arbres, dessinés à l’encre, sont assez intenses. On sent qu’ils grandissent et évoluent, se déplacent, dans le sens où ils vont chercher les autres branches pour échanger et dialoguer. D’autres montrent l’intervention de l’homme (le tressage, le tissage), et sa présence « anthropomorphique » (tatouages, muscles). Enfin, pour d’autres encore, c’est presque la fin de la vie, la disparition ou la mort. L’écorce disparaît, l’arbre devient fossile.
Pourquoi l’un des carrés est-il dessiné en rouge ?
Le panneau fait 5 mètres de long sur 2,5 mètres de haut ; 270 petits carrés de fragments d’arbres sont présentés. Sur l’un, j’ai dessiné à l’encre rouge pour mettre en évidence le point central, le cœur de cet ensemble d’arbres et de branches qui se connectent les uns aux autres. Quand j’ai commencé ce travail de points, j’étais dans mon atelier et travaillais sur de tous petits formats, desquels naissait un détail d’arbre devenant un arbre entier. Une dimension méditative est présente : dans le processus de travail, je pose ma plume sur une feuille pour dessiner des fragments d’arbre point par point, ce qui demande énormément de temps. Finalement, dans la nature, dans l’évolution, c’est ainsi que cela se passe. Je travaille sur l’humain, le vivant : une constante évolution et transformation apparaissent. Il m’a fallu dix mois pour que cette image globale existe et elle peut encore évoluer. Cela fait déjà plusieurs années que je travaille sur le thème de l’arbre. Dans cette exposition, d’autres dessins sont aussi présentés : l’idée de transformation, de détail, de fragment s’y retrouve mais à une échelle différente, sur de plus grands formats, en format raisin.
Qu’est-ce que le format raisin ?
C’est un format classique pour le dessin, de 65×50 cm. Pour certains d’entre eux j’utilise la mine de graphite. Je me donne des contraintes de travail. Ainsi, je pose mon outil sur une feuille et je le garde jusqu’à la fin, sans le lever. Une fois que je le lève, le dessin est terminé et je ne reviens pas dessus.
Dans mes peintures, le sujet disparaît sous la superposition de couches de couleurs, comme autant de strates de vie. Pour certains dessins, le travail de pointillisme, en plaçant les points les uns à côté des autres, crée cette fois la vie par accumulation. C’est la même démarche avec un travail différent : en superposition ou en juxtaposition.
Quels matériaux et quelles techniques utilisez-vous pour réaliser vos œuvres ?
J’utilise de l’encre de Chine avec des plumes, de la peinture acrylique. J’aime beaucoup travailler avec une peinture plutôt diluée, en lavis. Je trouve important que l’on voit les couches, les étapes, y compris les gouttes qui glissent sur le support. Par-dessus ces couches, j’utilise une peinture plus sèche (peinture frottée) à travers laquelle les fonds apparaissent. Je ne cache finalement rien.
La mine de graphite (crayon à papier) m’intéresse énormément : son côté brillant se dévoile en fonction du grain du papier. La manière dont le graphite se pose sur le papier m’émeut : j’obtiens douceur et sensualité mais aussi des traits plus frontaux, plus rudes, plus forts. Cela peut se décliner à l’infini.
Les supports utilisés sont des feuilles Canson ou aquarelle. Les petits formats carrés 15×15 cm sont fixés sur de grands panneaux de médium fraisés au format, créant ainsi des cadres.
Quelles sont vos inspirations ?
Le vivant ! Il est en perpétuel mouvement.
Je me suis inspirée de mots d’enfants, de vies de femmes. Les arbres, les sphères, l’infiniment grand, l’infiniment petit me passionnent.
J’admire plusieurs peintres, notamment Joan Mitchell. Toute la peinture abstraite américaine m’inspire. J’aime la démarche de Roman Opalka, la palette de couleurs de Paul Gauguin et bien d’autres peintres.
Quels sont vos projets ?
J’ai toujours envie de travailler sur le fragment mais cette fois sur de plus grands formats. Le petit fragment va devenir un immense fragment avec une échelle plus grande que l’échelle humaine. Le détail va devenir autre chose… Je vais me plonger dans un travail à la mine de graphite. Comme ce sera encore du noir et blanc, je mènerai en parallèle un travail sur toile en couleur sur le même sujet. L’idée du fragment pourrait peut-être évoluer et se transformer. On reconnaîtra l’enveloppe, l’écorce, l’arbre, la branche…
Jusqu’à quand peut-on voir votre travail à la médiathèque de Sées ?
Jusqu’au 3 décembre. C’est la première fois que j’expose dans un lieu circulaire, c’est aussi surprenant qu’intéressant.
Partager cet espace avec les volumes et assemblages de Mathieu Chevallier crée une résonance thématique entre deux univers fragmentés qui dialoguent et se répondent.
Retrouvez ici le travail de l’artiste
Zoé Lavanant
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