Agne Jonynaite “Plus personne ne sait comment les vêtements sont fabriqués”
Designer textile lituanienne, elle se lance dans une entreprise créative qui allie mode et durabilité. On vous emmène à la rencontre d’un projet authentique et actuel.
Quel est ton parcours dans le monde de la mode et du textile ?
J’ai obtenu un diplôme en Textile, Arts et Design à Vilnius. Je suis partie à Londres, où j’ai commencé à travailler en imprimerie textile, je me suis ensuite lancée en freelance à la conception d’imprimés sur demande. J’ai ressenti que j’avais besoin de changer d’activité, de faire quelque chose qui a plus de valeur, plus de sens, que de produire en masse et faire partie d’une logique de surproduction. Je suis aujourd’hui en master de design textile au Chelsea College of Arts, au cours duquel je développe mon projet “upcycled service”.
Peux-tu nous expliquer la signification du terme upcycling ?
Le upcylcing consiste à réutiliser un objet ou un matériau afin d’en créer un produit d’une qualité supérieure, avec une plus grande valeur que l’original. J’utilise ce procédé afin d’allonger au maximum le cycle de vie d’utilisation d’un vêtement, en combinant imprimés, teintures et couture. Je prends un vêtement d’une valeur moindre et j’augmente sa valeur.
En quoi consiste donc ton projet “upcycled service” ?
Je veux que ceux qui ne savent pas raccommoder leurs vêtements puissent le faire, par le biais de personnes compétentes. Ça devrait être une source accessible à tous, que tout le monde pourrait utiliser. Pour cela, j’ai créé le site internet upcycledservice.com, sur lequel il est possible de télécharger des tutoriels sur le raccommodage, comment prendre soin de ses vêtements, comment créer des imprimés. Mais si quelqu’un ne se sent pas de le faire lui-même, je le fais pour lui. Il suffit d’envoyer un vêtement avec un formulaire remplis, expliquant le problème du vêtement, la transformation souhaitée ou alors tout simplement qu’il n’est plus d’aucune utilité, et je ferais en sorte de lui donner une seconde vie. Je rajoute une étape dans le cycle de vie d’un vêtement qui aurait été donné ou jeté.
Comment t’es venue cette idée ?
J’ai grandi avec une mère qui raccommodait tous mes vêtements, ma grand-mère tissait et mon grand-père était cordonnier. Réparer et réutiliser ses vêtements étaient une chose commune dans ma famille.
Je suis moi-même vendeuse dans une boutique de vêtement. Une femme est un jour venue rendre une robe qu’elle adorait mais qu’elle ne pouvait plus porter puisqu’elle était trouée. J’étais choquée, le trou était si petit. C’était vraiment possible de le raccommoder. Mais elle m’assurait qu’elle ne savait pas comment faire, insistait pour échanger ou rendre la robe.
J’ai commencé à faire attention aux gens qui retournaient des vêtements et j’ai réalisé qu’ils n’en prenaient pas soin et ne savaient pas les raccommoder. C’est là que j’ai eu un déclic. Il fallait que je sorte de cette industrie qui produit et qui vend, pour revenir à quelque chose de plus naturel. J’ai aussi compris que la société avait changé. Il y a de grandes lacunes concernant la conception des vêtements. Plus personne ne sait comment les vêtements sont fabriqués.
Penses-tu que le “upcycled service” s’inscrit dans le développement durable ?
Mon objectif principal est d’accroître la durée de vie et le nombre d’utilisation d’un vêtement. Donc, réduire la production de cette industrie et en augmenter les utilisations de ses produits. Il y a un côté éducatif et de transparence, pour tous. Quand un client m’envoie un vêtement, j’energistre tout le processus d‘upcycling, pour que tout le monde puisse voir comment je fais, qu’ils puissent réaliser qu’ils peuvent le faire eux-mêmes.
D’un autre côté, je cherche à créer une connexion entre le vêtement et son propriétaire. Aujourd’hui il y a un fossé entre le vêtement et son processus de fabrication. On ne connait pas les étapes de production, on ne les voit pas, donc on ne comprend pas. La campagne Who Made My Clothes se base sur ce concept : savoir qui a fait ses vêtements pour une attitude plus responsable et étique. Ce projet rentrerait dans une sorte d’alternative comme Who Made My Clothes And How It Is Made. C’est une véritable expérience. Faire comprendre aux gens, leur donner l’opportunité de comprendre. Le concept c’est que tout soit réalisable, par tous. Mon concept, c’est que tout soit réalisable, par n’importe qui.
Comment tu envisages le futur de ce service ?
J’aimerais que ça devienne mon travail à plein temps. Je trouve que ça fait sens en ce moment, que la société a besoin de ce projet. Il faut aller vers la durabilité de manière générale. Et ce projet s’inscrit dans cet objectif. En tant que designer, j’aimerais travailler sur quelque chose qui a du sens, qui est significatif. Si quelqu’un veut faire la même chose, reprendre l’idée, j’en serais très heureuse. Ce n’est pas que pour moi, c’est une source ouverte, accessible à tous. Je serais heureuse d’aider n’importe qui, designers ou non, voulant faire de l’upcycling, et aimant sous quelles formes je le fais, à mettre en place son activité.
Est-ce que tu penses que l’industrie textile tend de plus en plus vers la durabilité ?
Bien sûr. Mais je pense qu’il y a une différence significative entre les gens qui travaillent au sein de l’industrie et ceux qui consomment. Donc je pense que mon projet se place entre les deux. Je sens qu’il y a une avancée importante vers la durabilité. Mais je pense qu’il faut prendre en compte l’individualité, comment chaque personne se place vis-à-vis de la durabilité, comment elles se considèrent et comment elles agissent en fonction de ça.
Pour découvrir son travail sur son site internet
Propos recueillis par Célia Taunay
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