Cette approche tout à fait originale touche en premier lieu la sensibilité du visiteur, éveillée par l’écriture manuscrite elle-même, mais aussi par la gamme d’émotions exprimées dans ces lignes, de l’amour à l’amitié, de l’humour à la colère, comme autant de relais des projets, des frustrations, des recherches ou des espoirs de ces artistes.
Mais si l’amateur en nous d’histoires et d’anecdotes trouvera plaisir à parcourir ces missives, le féru de la grande Histoire sera lui aussi comblé : à travers ces lettres où se raconte la vie des peintres, c’est la société de leur temps, la guerre parfois, la politique, les avancées techniques et sociales qui se dévoilent à travers ces correspondances.
Enfin, l’histoire de l’art bien sûr s’enrichit grâce à ces lettres de précieux documents : à travers les écrits de Pissarro à Gauguin, de Monet à Signac, de van Gogh à son marchand Durand-Ruel, de
Monet à Mallarmé ou de Courbet à Victor Hugo, ce sont la passion de ces artistes, leurs convictions, quêtes et découvertes qui s’offrent à nous, enrichies souvent de dessins originaux.
Quelques pièces majeures de l’exposition
Jean-Auguste-Dominique INGRES (1780-1867)
Outre deux lettres du peintre à Horace Vernet (à qui il succède en 1834 à l’Académie de France à Rome, qu’il dirigera très activement jusqu’en 1841), l’exposition présente une lettre manuscrite de Delphine Ingres (1808–1887), seconde femme du peintre, datée du 27 juillet 1885, soit dix-huit ans après la mort de son époux.
Veillant au respect de sa mémoire, elle s’adresse au Figaro et désire « rectifier une assertion qui se propage dans les journaux et dans les mémoires artistiques à propos de prétentions que Mr Ingres montrait pour son violon, beaucoup plus, dit-on, que pour son pinceau ». Elle prie le journaliste de rétablir la vérité. Car jamais le violoniste amateur « n’a eu la prétention de se poser en virtuose ». On comprend par cette pièce l’origine de l’expression « Violon d’Ingres », dont la pérennité témoigne également de l’échec de Madame Ingres.
Eugène DELACROIX (1798-1863)
Les choix artistiques du grand peintre romantique et sa virtuosité de dessinateur nous sont donnés à voir notamment à travers un exceptionnel carnet de dessins, une très belle lettre sur Rubens et une autre adressée à son grand ami Baudelaire.
Les dessins, dont Arlette Sérullaz considérait que « par leur nombre, leur variété et l’importance qu’il leur accordait, [ils] constituent une part essentielle, sinon fondamentale, de l’oeuvre de Delacroix », sont au nombre de trente-sept dans ce carnet datant de 1857-1858, soit la période de pleine maturité du peintre romantique. Commencé à l’occasion de son départ pour les eaux de Plombières dans les Vosges, le 9 août 1857, il regroupe d’autres dessins réalisés à Augerville (près de Fontainebleau) ou dans sa maison de campagne de Champrosay : paysages, études de personnages, de chevaux et de charrettes à foin, accompagnés de notes manuscrites préparatoires à son Journal. On retrouve cette force émotionnelle dans la lettre adressée le 3 août 1850 par Delacroix à son ami Charles Soulier, où son admiration pour Rubens se traduit notamment par ces mots : « Ne me trouves-tu pas redevenu jeune ? Ce ne sont pas les eaux : c’est Rubens qui a fait ce miracle. Toutes les fois que je me suis ennuyé, je n’ai eu qu’à y penser pour être heureux ».
Gustave COURBET (1824-1898)
Deux importantes lettres de Courbet, l’une adressée à son mécène Alfred Bruyas et l’autre à Victor Hugo, témoignent de l’âpre et fougueuse lutte menée par le peintre pour conquérir ou conserver indépendance et liberté. A Victor Hugo, alors en exil et qu’il appelle « Cher et grand poète », il écrit le 28 novembre 1864 : « Vous l’avez dit, j’ai l’indépendance féroce du montagnard ; on pourra je crois mettre hardiment sur ma tombe […] Courbet sans courbettes ».
Fougueux, colérique et fier, il déclare « Malgré l’oppression qui pèse sur notre génération malgré mes amis exilés traqués même avec des chiens dans les forêts du Morvan, nous restons encore 4 ou 5 nous hommes assez forts malgré les renégats, malgré la France d’aujourd’hui et les troupeaux en démence nous sauverons l’art l’esprit et l’honnêteté dans notre pays ». Cette lettre se clôt par l’annonce par Courbet d’une visite prochaine à l’écrivain (qui n’aura pas lieu).
Edouard MANET (1832-1883)
Manet est présent dans l’exposition à travers plusieurs lettres, dont une envoyée par ballon monté, et un poème illustré (s’y ajoute également la souscription lancée à l’initiative de Monet pour, après la mort de Manet, empêcher que l’Olympia – invendue du vivant de l’artiste – ne parte aux Etats-Unis). Le 19 novembre 1870, c’est un Manet artilleur (canonnier volontaire comme Degas, ainsi qu’il en témoigne dans cette lettre) qui envoie à son élève Eva Gonzalès une lettre par ballon monté, dans laquelle il témoigne notamment de l’extrême dureté de la vie dans Paris assiégé : « beaucoup de poltrons sont partis, hélas, parmi nos amis, Zola, Fantin, etc. […]. Nous commençons à souffrir ici, on fait ses délices du cheval, l’âne est hors de prix il y a des boucheries de chiens de chats et rats – Paris est mortellement triste quand cela finira-t-il ».
Un petit poème illustré d’un dessin de son chat Zizi et adressé sans doute à son grand ami l’industriel, peintre et collectionneur Henri Rouart réunit les trois maîtres qui ont le plus inspiré le peintre, Titien, Le Greco et Vélasquez. Manet fut l’un des premiers à illustrer ses lettres en les ornant de fleurs et d’animaux.
Paul CEZANNE (1839-1906)
Trois lettres de Cézanne sont exposées, l’une adressée à Claude Monet, une autre à Camille Pissarro, et une troisième illustrée de deux dessins de jeunesse de l’artiste, en 1862. Dans une lettre adressée à Monet en 1895, Cézanne est encore incompris et ignoré, contrairement à son ami, qui jouit d’une certaine notoriété et incite le critique d’art Gustave Geffroy à écrire un article sur Cézanne. Pour le remercier, le peintre propose à Geffroy de faire son portrait. Pendant trois mois, le peintre se rend quotidiennement au domicile du critique d’art, à Belleville : « Je viens de descendre de Belleville, où j’ai laissé Gustave Geffroy, assez fatigué de son indisposition, contractée aux fêtes de Calais ». Mécontent de son travail, Cézanne n’achèvera jamais le portrait, aujourd’hui conservé au Musée d’Orsay. Le 2 juillet 1876, Cézanne est à l’Estaque et se plaint dans une lettre à Pissarro du mauvais temps : « il y pleut toutes les semaines deux jours sur sept. C’est ahurissant dans le Midi », mais évoque surtout ce que l’endroit, qui lui est pourtant familier, pourra apporter à sa peinture s’il parvient à en transcrire la lumière violente, les contrastes abrupts et les couleurs saturées car « il y a des motifs qui demanderaient trois et quatre mois de travail ».
Actuellement, au musée des lettres et des manuscrits :
– Napoléon et Louis XVI
Des lettres et des peintres (Manet, Gauguin, Matisse…)
Tarifs et horaires d’ouverture :
Du mardi au dimanche de 10h à 19h, nocturne le jeudi jusqu’à 21h30
Entrée : 7 €, tarif réduit : 5 €
Gratuit pour les moins de 12 ans
Musée des Lettres et et manuscrits
222, boulevard Saint-Germain – 75007 Paris
M° Rue du Bac, Sèvres-Babylone, Saint-Germain des Prés