À la rencontre d’Alix Caumont, un pied dans la mode, l’autre à l’atelier
Nike, Lacoste, Adidas, Reebok… plus aucune marque n’a de secret pour lui. Cela fait désormais 5 ans qu’il coud, découd, assemble et détruit des chaussures afin de leur donner une nouvelle vie. Pour que le monde comprenne mieux sa démarche d’artiste designer, il a accepté cette entrevue et se livre sur son combat quotidien.
Bonjour Alix ! Merci d’avoir accepté cette entrevue, pourrais-tu te présenter pour commencer ?
Bonjour ! Je m’appelle Alix Caumont, j’ai 27 ans. Depuis tout petit, j’ai cet attrait pour le milieu artistique. J’ai fait un Bac L options Arts plastiques/Histoire de l’art. En sortant du lycée, j’ai fait un semestre en fac de psycho puis j’ai passé le concours d’entrée pour les Beaux-Arts de Bordeaux en 2015. J’y ai fait ma Licence et mon Master et j’ai décidé de me spécialiser en design à partir de la 2e année. Le design des Beaux-Arts de Bordeaux est un design très libre où l’on a la possibilité de toucher à tout, nous permettant d’être en adéquation avec toutes les problématiques que nous sommes amenés à nous poser. Pour ma part, j’ai choisi d’orienter mon travail vers le design d’objets.
Comment t’est venue l’idée de créer des chaussures sous cette forme-là ?
Je pars du principe que si les industries textiles s’arrêtaient de fonctionner, on aurait assez pour s’auto-alimenter avec ce qu’il reste. Alors je créé des baskets en utilisant la matière comme ressource inépuisable en me fournissant dans des centres de tri. On pourrait largement utiliser la matière comme elle est puisqu’elle regorge de possibilité. J’appelle ça des chaussures sculptures.
As-tu toujours été porté sur la chaussure ?
La chaussure en elle-même n’est pas le plus important, c’est la réflexion autour du traitement de matière disponible. C’est un objet qui exprime bien plus que sa simple matérialité, puisqu’il porte tout un discours qui résume bien les problématiques autour de la surconsommation. Le fait que les gens puissent la porter est un bon moyen de faire circuler mon idée : ça apporte nouveauté et visibilité au quotidien. Comme je fais un objet très concret et spécifique, il est difficile de faire comprendre que ce n’est pas qu’une chaussure mais un objet de réflexion qui a la forme d’une chaussure.
As-tu pour projet de créer d’autres objets ?
Oui et j’ai même commencé en créant d’autres objets comme des gants de boxe et une veste en cuir. Je créé en fonction de ce qui me parait le plus pertinent par rapport à une critique du monde de la mode et des ressources qui sont utilisées dans l’ultra fast-fashion alors si je m’éloigne un peu du monde de la chaussure, c’est pour y revenir plus tard, avec des approches différentes.
Les peaux que je fais sont aussi à l’origine de ma volonté de me diversifier. Ces plaques de textile sont la suite de ma recherche parce que, lorsque je créé une paire, je génère des chutes que je regroupe et qui me servent potentiellement à créer de nouvelles choses. Ma propre matière première que j’ai généré me sert lorsque je veux repartir sur d’autres bases, comme avec les gants ou les chaussures.
Quel est ton regard sur les chaussures et les industries ?
Le fait d’avoir déconstruit des dizaines et des dizaines de paires, je me rends compte que la marque la plus solide n’est pas forcément celle qu’on imagine. Certaines chaussures peuvent paraitre moins bien ou juste de marques un peu moins connues mais sont mieux construites que des modèles hyper chers de chez Nike ou Lacoste. Ce n’est pas moche mais la construction et les matériaux sont moins bons.
Est-ce qu’il y a quelqu’un ou quelque chose qui t’inspire pour tes créations ?
Oui, j’avais une prof de design aux Beaux-Arts en 2e et 3e années qui m’a transmis son approche technique du design. C’est elle qui m’a poussé là-dedans et qui m’a encouragé dans mon projet de chaussures que je démarrais déjà en 3e année.
J’alimente aussi mon travail avec des lectures : ça redonne un élan et permet de légitimer mon propos. Je réfléchis énormément par moi-même alors j’aime alimenter cette réflexion avec des gens qui sont en accord avec mes idées, pour les faire évoluer. Cradle to Cradle, écrit par Michael Braungart et William McDonough est un livre sur la façon de penser la création et surtout la fin de vie de l’objet. Il réinterroge la question de la création en soulignant le fait qu’on pourrait envisager de faire mieux et non pas juste moins pire. Il y a aussi Victor Papanek, un designer des années 70 qui m’a beaucoup inspiré, notamment avec son livre Design pour un monde réel. Il y parle d’ingéniosité humaine détournée et pervertie par de grandes entreprises et aborde l’usage des matières pour que ça colle au mieux avec la destination de l’objet.
Que penses-tu de la consommation en général ?
Même si tout le monde est conscient de l’impact de la fast-fashion, c’est compliqué d’agir à son encontre pour une raison de budget. Si un vêtement éthique avait le même prix qu’un vêtement d’une célèbre marque qui l’est moins, ça serait plus simple. Mais, il ne faut pas oublier les urgences de la vie réelle. Par rapport à mon travail, si les gens ne voient pas la réflexion mais que l’objet en lui-même ça ne me pose pas de problème non plus, tant mieux si ça plait. Le but est de susciter des interrogations et des réflexions mais pas de générer de nouvelles habitudes. Je n’ai aucun moyen de faire ça : je ne suis pas une entreprise qui peut changer les comportements. Je pense que c’est avec des initiatives de plein de créateurs sur ce thème, qu’à force, le mouvement peut-être plus connu et devienne un effet de mode. Il faut juste que les gens restent sur des idées solides et ne soient pas des girouettes. J’ai l’impression que ce sont plus eux qui choisiront ce qu’est la mode plutôt des les maisons de couture qui s’adaptent en fonction de ce que les gens se sont appropriés.
Qu’est-ce que ça te procure de créer ?
Je vis mes projets à 100% et je me sens complètement en accord avec les principes que je donne à voir. J’aime maitriser toutes les étapes, du carnet de croquis à la réalisation d’un objet complexe. Je me sens dans mon élément parce que je choisis la manière dont je travaille, l’objet que je vais faire, et le processus parce que je l’ai développé. C’est la première fois que je maitrise tout de mon travail et ça prend tout son sens. Mais, que cela concerne la récupération de la matière, la sélection ou encore la découpe, j’ai à chaque fois une prise de conscience de l’impact environnemental. Je suis à la fois blasé mais aussi hyper content de pouvoir créer un objet qui a toute une histoire. Et en même temps, je me dis toujours que je peux aller plus loin parce que plus je fais, plus je maitrise. Je peux me dépasser en cherchant d’autres solutions un peu plus complexes à chaque fois, faisant que le projet sera de plus en plus riche d’interrogations, en façons de produire, en usage de matière que je n’avais pas envisagé avant…. Je me dis que j’ai de la chance de pouvoir matérialiser ce que j’ai dans la tête. Je pars d’un dessin vite fait et quand je les revois, certaines paires finies sont fidèles aux dessins. À chaque fois que je finis une paire, c’est ma nouvelle préférée.
Alix est présent sur les réseaux sociaux sous le nom d’@alix_metatype.
Propos recueillis par Léane Grosjean
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