À la découverte du kat’art et de son musée sous-terrain avec Misti, artiste cataphile
L’art est polymorphe et s’exprime dans de nombreux lieux, parfois les plus inattendus ; il n’a de frontière ou de limite que celle que l’artiste lui confère et revêt parfois un parfum d’interdit… Plongée dans les catacombes de Paris à la découverte du kat’art en compagnie de l’artiste cataphile Misti.
Note du rédacteur : descendre dans les catacombes est interdit par la Loi et vous expose à une amende. Il est déconseillé de s’y rendre non accompagné d’une personne initiée et sans connaissance des dangers inhérents à la descente.
Déjà 27 ans de descente dans les catacombes pour Misti, une des rares femmes artistes cataphiles. Tout a commencé à 16 ans pour elle : une première descente adolescente qui a été une révélation. Depuis, elle n’a jamais cessé d’y retourner, une à deux fois par mois. Un lieu où cette louve solitaire, qui a du mal à se positionner dans un groupe, puise son énergie et se déconnecte de ce qui se passe à la surface, un lieu hors du temps, hors des sentiers battus qui colle à son besoin de se ressourcer, mais aussi de se réconcilier avec elle-même : “Je suis une louve solitaire qui puise son énergie dans les catacombes”. Diagnostiquée Asperger il y a deux ans, Misti a compris pourquoi les catacombes étaient pour elle un terrain d’expression idéal. Elle qui a parfois du mal à communiquer en surface trouve une véritable raison d’être dans un lieu dont elle maîtrise les moindres méandres, un labyrinthe de 300 km fait de galeries, chatières et salles aménagées à même la pierre, où l’on croise parfois d’autres initiés qui partagent une passion commune pour ces anciennes carrières de pierre.
Grâce à Misti, j’apprends l’histoire des catacombes, je décode les inscriptions sur les murs – ces dates ou ces noms de rue qui jalonnent le parcours des galeries souterraines -, je découvre un univers à part, avec ses codes et son organisation. Et oui, même sous la terre, il y a une hiérarchie des groupes : vous pouvez être creuseur – comme le fut le street artiste Jérôme Mesnager à ses débuts, lui qui peignait ses bonhommes blancs sur les parois des catacombes pour retrouver son chemin – aménageur, photographe, fêtard ou simple promeneur. Aux graffeurs et autres artistes cataphiles qui peignent sur les murs s’opposent les frotteurs, ces puristes de la pierre qui passent leur temps à vouloir effacer les œuvres des premiers. Même si la communauté des cataphiles est solidaire, cela n’empêche pas les conflits : on peut se retrouver enfumé dans une salle si on a dérangé un pair. Il n’est guère étonnant du coup qu’il existe des “crews” sous terre comme il y en à la surface : dans les catacombes, on tombe souvent sur les grafs des FC (Frotte Connard) ou des OVE (On Vous Enfume).
Lors de cette descente d’initiation de 6 heures, je découvre un univers artistique incroyable : un défilement infini de tags, grafs et fresques murales qui évoque un gigantesque musée souterrain. Certaines œuvres sont individuelles, comme le phénix de Jil, une des autres rares femmes artistes du lieu, ou collectives comme cette fresque majestueuse qui célèbre la vague d’Hokusai. L’expression artistique dans les catacombes a un nom : le kat’art, et un festival dédié : les “Kat’artistes” dont Misti est d’ailleurs l’une des organisatrices. La première édition a eu lieu en 2013 dans le 15ème arrondissement et la seconde en 2016 à Alésia. Une troisième est en cours de réflexion, mais sans date précise.
Mais qui est Misti exactement ? Son nom d’artiste, elle le doit à son habitude de boire du thé, c’est la contraction de Miss Tea. Un nom qu’on ne lui a pas attribué comme pour d’autres artistes des catacombes, mais qu’elle a trouvé elle-même, et sa signature est digne d’un blaze de graffeur. Elle l’avait déjà bien avant qu’elle ne touche à ses premières bombes aérosol. Car Misti est une artiste polymorphe qui utilise autant le pastel et la peinture acrylique que le spray. Ses œuvres sont aussi bien des mandalas ou des dragons que des paysages ou des portraits. Un flashback s’impose : Misti dessine depuis toute petite. Son professeur de dessin lui trouve des prédispositions pour la discipline. Son premier émoi artistique, elle le doit à son grand-père paternel, un ancien médecin et forgeron d’art, dont les dessins préparatoires à la pierre noire qui vont permettre de produire les œuvres en fer forgé la fascinent. Elle se rend compte à quel point le dessin peut donner vie à des idées. Sa seconde révélation, c’est son professeur agrégé de français de 6ème, M. Savoy, un passionné d’art, qui la lui apporte à l’occasion d’une visite au Louvre. Elle y découvre les toiles de Delacroix et Géricault qui l’émerveillent. M. Savoy la pousse à croire en ses capacités, elle qui doutait beaucoup, et elle réalise que le dessin n’est pas une compétence innée mais qu’il s’apprend et qu’il est ouvert à tous. Misti s’est formée plusieurs fois par an avec la Société des Pastellistes de France.
Lors de la lecture d’un article sur le motif à l’huile dans Beaux Arts Magazine, elle a le déclic : pourquoi ne pas faire cela dans les catacombes ? Elle descend alors avec son chevalet et ses planches à dessin. Pourtant, l’exercice n’est pas aisé : entre difficultés d’accès, interdictions légales et difficultés techniques liées à l’humidité ambiante qui soulève la problématique de la conservation des œuvres, le défi est loin d’être simple à relever. Notamment quand on est une femme car le kat’art est un milieu majoritairement masculin. Il faut creuser son trou. “Mais il est important de se faire plaisir et de ne pas perdre sa féminité”. Heureusement, Misti est une passionnée, une “bricoleuse qui essaye des trucs“. Le spray par exemple : “Je n’avais jamais fait de portraits au spray. Alors quand Psyckoze (ndr : un graffeur qui a fait ses armes dans les catacombes) m’a demandé de dessiner un portrait de Pascalou aka Buldo à la bombe aérosol alors que je ne faisais que des portraits au pastel, j’ai un peu perdu mes moyens”. Mais Psyckoze l’a convaincue, lui a fourni le matériel et l’a accompagnée dans la réalisation de cette belle fresque hommage à un cataphile décédé qui veille encore aujourd’hui sur l’une des entrées des catacombes. Et quand je vous dis que Misti a de la passion et de la conviction, il en faut pour décider en juin 2014 de quitter l’Éducation nationale pour répondre pleinement à l’appel de l’art.
Retour vers le futur : nous voilà de nouveau dans les catacombes, il y a quelques jours. Nous marchons des heures avec Misti, nous courbant parfois, rampant un peu, nous mouillant beaucoup. Nous explorons des salles : la Plage, le Cellier, Byzance. Mais c’est dans le Cellier que Misti décide de s’arrêter pour travailler, identifiant après de longues recherches un spot parfait en termes de support et de hauteur. Elle sort deux bombes aérosol de son sac à dos et s’affaire à dessiner sous mes yeux un dragon en noir et blanc qui émerge en une vingtaine de minutes. Une signature et l’affaire est dans le sac. Nous prenons le chemin du retour, sans oublier de dissimuler des tracts en cours de route dans les failles et niches de la paroi, pour le bonheur de ceux qui passent par là et les collectionnent. “J’ai commencé depuis le début à travailler avec les tracts. C’est une façon de remettre en dessous mon travail de surface en le plastifiant. Il y a un côté universel, accessible qui est important à mes yeux. J’ai réalisé que ces tracts étaient une forme d’art avec les années. Au début c’était juste une forme d’expression.” Des tracts, Misti en disperse jusqu’à une cinquantaine lors de ses descentes.
Il est temps de remonter à la surface, de se réhabituer à la lumière du jour, après avoir perdu la notion du temps sous terre. Nous sommes fatiguées, la balade fut sportive, les courbatures guettent demain mais la visite fut intense et riche en découvertes. Le kat’art n’a rien à envier au street art, loin de là, et avoir une guide comme Misti pour y être initiée, que demander de plus ?
Retrouvez Misti sur son site et son compte Instagram.
Reportage et propos recueillis par Barbara Legras
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