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Zoom sur le processus créatif avec Alec Soth

13 juin 2014
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Alec_Soth

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Zoom sur le processus créatif avec Alec Soth

Le 12 juin 2014

Le 12 juin 2014

Alec Soth est un photographe américain, d’abord reconnu pour ses séries dépeignant les paysages et habitants des États-Unis. Basé à Minneapolis (Minnesota), ses photographies sont présentées dans de grands musées américains comme le San Francisco Museum of Modern Art (SFMoMA), le Museum of Fine Arts de Houston ou le Walker Art Center. Il est devenu membre de l’agence Magnum Photos en 2008.

Parallèlement à son implication dans le monde de la photographie, il est engagé dans le journalisme, l’édition et l’enseignement. Dans une interview avec AMA, il a livré sa vision de la pratique photographique et ses évolutions.

Pouvez-vous nous parler de votre pratique artistique ? Comment êtes-vous devenu photographe ?

Je suis né et j’ai été élevé dans le Minnesota. À l’origine, je souhaitais devenir peintre, et je n’ai jamais rêvé de devenir membre de Magnum Photos ! Je ne voulais pas gagner ma vie en tant qu’artiste, ça me semblait irréaliste. J’ai donc commencé à travailler dans un musée, tout en poursuivant mon travail créatif en parallèle, en réalisant quelques projets çà et là. J’en ai mené à cette époque, intitulé « Sleeping by the Mississippi » qui a reçu un très bon accueil, de manière assez magique. J’ai participé à la Whitney Biennial et je suis soudain devenu un artiste professionnel. Afin de gagner de l’argent, j’ai commencé à réaliser de la photographie éditoriale et j’ai rejoint Magnum. C’est par ce biais que j’ai réellement développé ma carrière : journalisme, édition, enseignement, etc.

D’où vient cette passion pour la photographie ?

Et bien, je ne suis pas tombé originellement amoureux de la photographie. J’ai d’abord préféré réaliser des sculptures d’extérieur que je photographiais par la suite. C’est cet acte qui m’a mené vers ma pratique actuelle. Et puis, je suis assez introverti et j’aime travailler seul. Je me suis dit que la photographie était adaptée à cette personnalité.

Vous êtes connu principalement pour votre série « on-the-road » réalisée à travers les États-Unis, mais vous avez réalisé également des projets ailleurs comme à Paris ou Bogotá par exemple. Les paysages américains vous inspirent-ils particulièrement, ou envisagez-vous d’approfondir ces voyages par la suite ?

À l’origine, je ne rêvais pas de faire le tour de monde pour le photographier. Je viens du Minnesota, donc je me sens proche de cette région. J’ai d’ailleurs emprunté la voie du « local ». Quand je suis devenu photographe professionnel, plusieurs opportunités de voyages sont apparues. J’aime voyager, mais je me suis rendu compte que je ne pouvais me défaire d’un côté touristique quand je visitais des pays étrangers — puisque je n’ai pas de connaissance profonde du lieu. Je me plie à l’exercice et il me plaît, mais je dois réaliser un travail qui est personnel à 100 % quand je suis en dehors des limites des États-Unis. Après, le revers de la médaille c’est que je n’excelle pas à photographier les espaces dans lesquels je vis — il est très difficile d’avoir une réelle conscience d’un lieu dans lequel on vit tous les jours. Le voyage alimente la nouveauté et la création, ce qui me plaît.

Après, je pense qu’il est important d’allier cette nouveauté à sa compréhension. Les États-Unis ont eu un impact positif pour moi à ce propos. C’est une terre immense et complexe, que je pourrais explorer sans limites. Un jour je serais heureux de faire un projet réellement approfondi ailleurs, mais je ne suis pas pressé.

Qu’en est-il de vos portraits ? Comment choisissez-vous les personnes que vous prenez en photographie ? Sont-elles liées aux paysages que vous choisissez ?

Je choisis les personnes que je photographie de manière intuitive. Je ne me considère pas comme un photographe documentaire. Par exemple, quand je photographie une ville, je ne cherche pas à en capter l’essence. J’essaie plutôt d’apporter ma propre réponse au lieu que je photographie, en apportant beaucoup de moi-même à ce que je capture en image. C’est la même chose quand je fais des portraits — je me sens généralement attiré par mes modèles, d’une manière ou d’une autre. Je fais souvent l’analogie avec l’attraction sexuelle : il est souvent difficile de dire pourquoi on est attiré sexuellement pas une personne. Le fait de photographier des individus a ce même mystère. Je suis attiré par ces personnes, peut-être pour des raisons inexplicables. C’est pourquoi j’aime explorer : c’est moi en relation avec le monde.

Quel but poursuivez-vous à l’égard de votre public quand vous photographiez ?

C’est une question difficile. Il n’y a pas de cahier des charges que j’essaie de respecter. L’image d’une personne ne reflète en rien son essence — s’il y en a une. En regardant un portrait, on ne connaît rien de l’histoire des personnes photographiées, on ne connaît rien du tout. Pour moi, la rencontre avec la personne — en tant que photographe et spectateur — est vraiment ce qui anime mon travail. Celui qui observe une photographie sur les murs d’une galerie va ressentir l’œuvre d’une manière ou d’une autre. L’art est cette interaction physique et intellectuelle entre le spectateur et la « surface » d’un autre être humain. C’est pour ça que je ne me considère pas vraiment comme un photographe documentaire, je ne raconte pas l’histoire de personnes ou de lieux. Je mets des surfaces sur des murs, afin de nourrir le rêve et la réflexion — je suis plus lyrique que scientifique.

Vous dites ne pas être photographe documentaire, car vous ne faites que capturer une « surface ». Pensez-vous que la photographie documentaire puisse réellement exister dans ce cas ?

Je considère que mes photographies ont un aspect documentaire — à un certain degré seulement. Ce n’est tout simplement pas ma motivation première — je mentirais si je le disais. Après, je pense que la photographie documentaire existe et qu’elle est parfaitement légitime.

De tous les projets que vous avez réalisés, il y en a-t-il un qui vous a plus plu que les autres ?

Ils comptent tous, de manière différente. « Sleepping by the Mississippi » a encore un côté spécial pour moi. J’étais très naïf à l’époque où je travaillais cette série et je pensais que c’était la première bonne chose que je réalisais. Aujourd’hui, je procéderais autrement sur de nombreux points, mais j’aimais le processus qui m’animait alors. Il y avait un sentiment de nouveauté pour moi.

Cela dit, je l’aime pour ce qu’elle est, mais j’en suis un peu las. Je pense que c’est pareil pour tous les artistes, ce qui m’anime est la nouveauté : mes projets actuels et à venir.

Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

J’achève un projet sur lequel j’ai travaillé durant les deux dernières années, en collaboration avec un écrivain. Le projet s’intitule The Little Brown Mushroom Dispatch (The LBM Dispatch). L’écrivain et moi-même avons publié un journal, en plusieurs éditions, afin d’évoquer ce qu’est l’Amérique du Nord. Nous allons bientôt réaliser notre septième et dernier voyage. Ce travail sera exposé plusieurs fois cette année et un livre en sera tiré. Pour moi, c’est assez fou de collaborer directement avec un écrivain, d’être engagé dans l’auto-édition et le processus d’écriture. Il y a une immédiateté que j’adore.

Vous avez fait plusieurs livres de photographies maintenant. Qu’est-ce qui vous a incité à mélanger livre et photographie ? Pensez-vous que le livre offre une dimension supplémentaire, par rapport à l’exposition en galerie par exemple ?

C’était naturel pour moi, car ça a été ma manière de découvrir la photographie. Je n’étais pas habitué à voir des expositions photographiques — dans ma jeunesse en tout cas. C’est ma manière instinctive de considérer le médium : les livres et les magazines. L’une des choses qui m’intéressent le plus à cet égard est de combiner les images. Ce ne sont pas les photographies prises une après l’autre qui m’intéressent, mais l’accumulation d’instantanéités mises ensembles afin de créer quelque chose de neuf. Le livre est un moyen que je contrôle afin de construire une idée. J’ai donc toujours considéré le livre comme part essentielle du processus.

Qu’en est-il de votre maison d’édition « Little Brown Mushroom » ? D’où vient-elle et qu’est-ce qui vous a inspiré son nom ?

Ce terme appartient au vocabulaire des cueilleurs de champignons. Il se réfère à un petit champignon rare que l’on voit très fréquemment, mais très sophistiqué, ce qui fait que seuls les experts ne le reconnaissent pas forcément. C’est une analogie avec les livres que je souhaite réaliser : de petits livres communs, peu chers — j’essaie d’amoindrir les coûts de production pour qu’ils soient le moins cher possible —, mais difficiles à comprendre dans leur globalité. Voilà l’idée derrière LBM, qui est apparue suite à un désir de créer un projet dans lequel expérimenter et collaborer. J’ai beaucoup de succès dans le monde de l’art, ce qui est formidable, mais mes travaux sont inaccessibles, car trop cher pour bien des personnes. LBM est un projet en dehors de ces circuits : je publie quelque une de mes séries, mais je m’attache également beaucoup aux travaux des autres. Je travaille avec des designers, des photographes, des écrivains : c’est une expérience en cours qui allie le texte à l’image.

Vous avez lancé LBM après avoir rencontré le succès dans le marché de l’art. Vous voyez-vous favoriser ce type de travail, plus abordable, par la suite ?

Et bien, pour dire vrai, je commence une sorte de démantèlement de LBM actuellement, car l’entreprise est devenue trop grosse. J’ai décidé de la dissoudre. Je souhaite la réinventer, la transformer en quelque chose de différent. Il est essentiel que ce travail demeure pour moi un espace d’expérimentation. Je n’ai jamais voulu gagner de l’argent avec ce projet, et LBM devenait graduellement une autre manière d’en gagner, avec son lot de problématiques administratives, etc.

Voyez-vous le marché de l’art comme un espace suffocant ?

Je pense qu’il est très rapide de se perdre dans n’importe quel monde, et le monde de l’art n’en est pas exempt. Mais je pourrais dire la même chose du monde académique : j’adore être professeur, on peut changer la vie de certaines personnes et réaliser de beaux projets, mais on peut aussi perdre une certaine énergie créatrice écrasée par sa structure. Ma philosophie est que tout est porteur de bonnes choses, à condition de rester modéré. Je suis engagé dans le monde de l’art, mais j’ai ménagé des portes de sortie — physiques, notamment du fait du lieu où j’habite — et je m’en suis éloigné durant de longues périodes. Je considère le monde de l’art comme je considère le monde de l’éducation ou de la photographie commerciale. Se perdre dans n’importe lequel de ces mondes serait dangereux.

Pour finir, voyez-vous la pratique de la photographie comme un état d’esprit ?

En un sens, oui. Je fais souvent l’analogie avec la poésie, dans le sens où je me sens plus proche de la poésie que du journalisme. Mais, une nouvelle fois, il s’agit d’un équilibre à trouver. Les poètes écrivent à propos du monde, mais aussi à propos de leur réponse par rapport au monde. Une photographie évoque parfaitement ce mélange entre sensation, sentiment et intellect. C’est ce que je souhaite de chaque photographie ou de chaque projet : être un plongeoir dans une piscine de réponses variées.

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