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Voir les choses en grand : entretien avec Christian Boltanski

30 avril 2014
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Voir les choses en grand : entretien avec Christian Boltanski

Le 29 avril 2014

Le 29 avril 2014

La carrière de Christian Boltanski est faite, ses installations monumentales exposées dans les plus grandes institutions du monde, tandis que sa participation à la Biennale de Venise en 2011 et au Monumenta du Grand Palais en 2010 lui ont permis d’acquérir une notoriété dépassant les frontières de l’art contemporain.

Mais l’artiste né à Paris en 1944 d’un père juif d’origine russe et d’une mère Corse ne cesse de créer, et continue de parler de la vie, à sa manière, monumentale. Alors que jusqu’au 29 juin prochain Christian Boltanski présente une installation au SESC de São Paulo, l’artiste a reçu Art Media Agency dans son atelier à Malakoff, en banlieue parisienne.

Pouvez-vous nous présenter le projet mené au Brésil ?

Le lieu est intéressant, il est dédié à l’art et au sport, mais il y a également un coiffeur gratuit, une bibliothèque gratuite. C’est une sorte de grand centre social, démentiel, qui doit faire 20.000 m². C’est une usine qui a été reconstruite par une architecte brésilienne et qui reçoit énormément de monde, près de 5.000 personnes par jour.

L’œuvre a été réalisée spécifiquement pour ce lieu qui est très populaire, qui n’est pas un musée. Au Brésil les gens importants sont plus les producteurs que les directeurs de musées. Ils sont à la fois curateur et producteurs. Après avoir fait le tour de tous les musées de São Paulo, j’ai choisi ce lieu qui est vraiment étonnant.

Que voulez-vous exprimer à travers cette installation ?

Il n’a jamais une unique explication.  Le nom de l’œuvre 19 924 458 +/-  correspond au nombre d’habitants de São Paulo. L’œuvre est construite autour de cette population. São Paulo est une ville que j’aime bien et qui est très étrange car elle regroupe des populations originaires du monde entier — de la même manière que New York —  de nombreux italiens, des japonais, c’est un contexte qui m’intéressait. La pièce peut se comprendre comme un vague portrait des habitants de São Paulo. Il y a 750 tours qui font entre 2 et 3,5 m de haut, dans un immense hangar, avec une rivière au milieu. Sur ces tours sont collées des pages d’annuaire à São Paulo — ce qui a posé un problème car il n’y a plus d’annuaire à São Paulo. Cela se présente en même temps comme un cimetière, avec des stèles, et en même temps comme une ville contemporaine mais aussi comme des totems.

Dans une cinquantaine de tours sont installés des haut-parleurs, à travers lesquels l’on peut entendre des interviews des habitants de São Paulo que nous avons réalisées, qui racontent leurs premiers jours dans la ville après leur émigration. À chaque fois qu’un bébé naît, il y a un éclair — ce qui arrive toutes les 2’20 mn, et à chaque fois qu’une personne meurt, tout s’éteint pendant trois secondes — ce qui se produit toutes les six minutes.

Une autre partie de l’installation est composée de compteurs, détaillant chaque seconde de la vie d’une trentaine de personnes. Il y a également une légère fumée diffusée, mais à peine visible.

En employant un mot qui n’est plus employé aujourd’hui, cela se rapproche d’une sorte d’art total.

La mort et la disparition sont très présents dans votre travail.

C’est un des grands sujets de l’art, je ne crois pas vraiment au renouveau de l’art, et c’est une question que je n’ai pas inventée. C’est une question liée à l’unicité de chacun et en même temps à sa fragilité. Après votre mort, trois générations après personne ne se souviendra de votre présence sur terre. C’est extrêmement rapide.

D’une manière générale, mes grandes expositions ont toujours été liées à des questions. Plutôt que de parler avec des mots je parle avec des sensations ou des formes. Par la fragilité de certaines œuvres, les ambiances que j’ai créées. Je me suis également intéressé à la question du bien et du mal, au hasard de la naissance.

Je m’intéresse principalement aujourd’hui au rapport entre le hasard et la destinée.

Quel est votre point de vue sur la scène artistique brésilienne ?

J’adore en effet le Brésil, c’est un des grands pays d’avenir, cela sera le troisième pays mondial dans quelques années.

Le musée à ciel ouvert Inhotim est un lieu où j’aimerais avoir des œuvres. Je n’y suis pas encore allé mais c’est un lieu qui semble très intéressant.

Représenter la France à l’international, est-ce un rôle qui vous tient à cœur ?

Non, absolument pas, je suis plutôt allemand que français. Je me sens très proche de l’Allemagne, j’y vais à peu près deux fois par mois.

Comment travaillez-vous ?

Je ne fais plus,  ou presque plus, d’expositions en galerie, donc je fais des choses en général très grandes. Je travaille avec Eva Albarran, c’est beaucoup plus proche de la fabrication d’un film. Après avoir réalisé des dessins, nous faisons des maquettes en 3D avec Eva et vient ensuite la gestion des questions logistiques.

Qu’est-ce que la Biennale de Venise ou Monumenta  ont apporté à votre carrière ?

Monumenta ou Venise permettent de créer des œuvres particulières, il y a un contexte qui permet cela, notamment par le passé lorsqu’il y avait des fonds importants. C’est important pour cela, mais la pièce montrée à Monumenta a également été montrée à l’Armory, au Japon.

Mais je ne crois pas qu’il y ait aujourd’hui un prestige particulier. Concernant ma carrière, à mon âge tout cela est dérisoire, ma carrière est faite, je suis très célèbre aux États-Unis, au Japon, je suis Prix Impérial…
Mais pour un jeune artiste, Venise peut être lourd à porter. Le meilleur artiste français est aujourd’hui probablement François Morellet et il n’a jamais été à la Biennale de Venise. Une participation à cet événement n’aurait rien changé à sa carrière.

Vous n’exposez presque plus en galerie, comment financez-vous ces projets monumentaux ?

J’ai des bienfaiteurs, tasmaniens, japonais… Mes pièces sont généralement détruites après, presque systématiquement. Qu’il s’agisse de celles de Venise, Monumenta ou São Paulo, une fois l’exposition terminée, il ne reste plus d’objets, mais la pièce peut être rejouée, de la même manière qu’une pièce musicale.

Quel regard portez-vous sur le marché de l’art, sur l’argent qu’il génère ?

C’est une chose qui ne me concerne pas. Mais vous savez, être riche c’est une chose assez facile, être un grand peintre est une chose assez difficile, et je suis assez ambitieux…  L’un des artistes les plus riches au monde est Botero, et ce n’est pas le meilleur, de la même manière que certains artistes chinois qui sont aujourd’hui atroces et très riches, cela n’a aucun sens.

Et en termes de reconnaissance ?

Non cela ne signifie rien en termes de reconnaissance. SI vous êtes acheté par un milliardaire chinois qui a vendu des hot dog toute sa vie, je ne vois pas la reconnaissance que cela apporte. J’ai vendu assez tard et lorsque j’étais jeune artiste la question de vendre ne se posait pas.

Aujourd’hui être collectionneur, c’est acheter de la noblesse. Pour tous les gens qui sont des hommes d’affaires douteux, acheter de l’art contemporain permet d’appartenir à une sorte de caste, mais nombre d’entre eux n’y connaissent rien. C’est dans ce sens qu’être collectionné par des gens comme cela ne m’apporte rien en termes de reconnaissance, cela n’a pas de sens.
D’être acheté par les grands musées a plus de sens.

Quels sont vos prochains projets ?

Je vais partir au Mexique pour préparer une exposition muséale et le prochain projet sera au Chili, où je fais à la fois une grande rétrospective au Musée National et une pièce dans le nord du pays, dans le désert, qui sera très grande et permanente.

Art Media Agency

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