Vivre sa vie
Liberté absolue. C’est la première réflexion qui vient à l’esprit après la (re)découverte du quatrième long métrage de Jean-Luc Godard. Liberté de ton, liberté dans les thèmes abordés, liberté de jeu d’Anna Karina, liberté dans les ruptures de style. Faux documentaire sur le quotidien d’une jeune femme glissant peu à peu vers la prostitution, Vivre sa vie offre surtout le point de vue radical d’un artiste sur le médium cinématographique, la servitude du capitalisme et la sexualité.
Découpé en douze chapitres, indiquant chacun le déroulement et le lieu de l’action, le film plonge son héroïne dans un Paris capté sur le vif par une caméra virtuose, personne à part entière de l’univers godardien. Impulsive et imprévisible, la caméra saisit un plan de Nana à la volée chez un disquaire, puis virevolte et “regarde” à travers la fenêtre. Dans un bar, elle balaie l’espace, comme si elle cherchait à circonscrire l’action au lieu. Et dans la rue, elle s’attarde sur une prostituée, puis croise le chemin de Raoul, le proxénète. La caméra n’est pas destinée à susciter un effet de style, mais à sonder le regard des gens et à dépeindre le mystère des âmes. Car le cinéaste, brisant par là même la convention du cinéma, rappelle au spectateur l’artificialité du dispositif pour mieux cerner la vérité intérieure d’un être.
Artiste ludique aimant jouer avec la forme, Godard s’amuse à utiliser les codes du polar et de la comédie. On assiste ainsi à des fusillades entre malfrats dans une ville soudain évocatrice des œuvres de Melville. Et l’on rit de séquences incongrues, qu’il s’agisse de ce voyou imitant un enfant qui gonfle un ballon ou de cette scène de danse improvisée au rythme d’un juke-box. Libre, toujours aussi libre, le réalisateur alors au sommet de son art ponctue son film d’échos poignants. Il nous montre Nana dans une salle de cinéma où l’on projette La Passion de Jeanne d’Arc de Dreyer : la jeune femme, qui s’identifie à Maria Falconetti, est bouleversée par le sort de la Pucelle, jugée et condamnée au bûcher par un tribunal d’hommes. Comment ne pas faire de parallèle entre la malheureuse héroïne du chef d’œuvre du muet et la protagoniste de Vivre sa vie, toutes deux victimes d’une société foncièrement patriarcale ?
Epoustouflante Anna Karina. Pour capter la fraîcheur de son jeu, Godard – à qui elle était alors mariée – refusait de lui donner son texte jusqu’au dernier moment et ne tournait le plus souvent qu’une seule prise. Avec sa peau de porcelaine, son regard inquiet et sa coupe de cheveux à la Loulou, elle semble improviser devant la caméra du cinéaste. Fascinante réflexion autour de la vérité du jeu ou de l’artifice de la mise en scène. On n’a qu’une seule envie : revoir le film, encore et encore, pour mieux en apprécier la richesse.
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Vivre sa vie
Avec Anna Karina, Sady Rebbot, Guylaine Schlumberger et André S. Labarthe
France – 1962 – 80 min – Noir et blanc – 1/1,33
Prix spécial du jury et Prix de la Critique – Festival de Venise 1962
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