Vampires. De Dracula à Buffy, la nouvelle exposition de la Cinémathèque
Vampires, de Dracula à Buffy, la nouvelle exposition à découvrir à la Cinémathèque jusqu’au 19 janvier 2020.
Surgie des tréfonds du Moyen-Âge, la légende du vampire prend corps à la fin du 19e siècle avec Dracula, l’illustre roman de Bram Stoker. Le cinéma émerge au même moment, qui ne tarde pas à s’emparer du mythe naissant pour le nourrir et le décliner avec frénésie et irrévérence. L’exposition Vampires raconte ces deux histoires parallèles, la fascination des cinéastes du monde entier pour cette icône ténébreuse et sexy. Elle montre son pouvoir d’attraction qui a depuis longtemps débordé le strict cadre du cinéma, contaminant la peinture, la photographie, la littérature ou plus récemment la série télé. Elle célèbre le gotha cinéma, Coppola, Christopher Lee, Lugosi, Deneuve, Herzog, Bigelow, Browning, Adjani, Bowie, Pattinson ou Tim Burton, qui depuis un siècle s’est frotté à Dracula. Peuplée d’artistes hantés par son ombre noire (Warhol, Goya, Saint Phalle), riche de centaines d’extraits, elle révèle l’empreinte indélébile posée par le vampire sur cent ans de culture populaire, de Murnau à Twilight, de Dreyer à True Blood.
VAMPIRES, DE DRACULA À BUFFY
« Je suis Dracula » est une phrase culte de l’histoire du cinéma, prononcée avec un mystérieux accent slave, par des acteurs comme Béla Lugosi ou Gary Oldman. Le comte Dracula, vénéré par le public d’hier et d’aujourd’hui, avec la même ferveur teintée de crainte, est une icône dark, incarnation de ce que l’humain a de plus pulsionnel dans son rapport au sexe, à la folie, et à la mort. Mais Dracula n’est qu’un vampire cinématographique parmi tant d’autres, au même titre qu’Edward Cullen dans Twilight ou Lestat de Lioncourt dans Entretien avec un vampire. Tous, ils hantent les écrans du monde entier, surgissant des ténèbres de nos civilisations, à chaque fois que celles-ci vacillent, que les idéologies se fissurent.
À L’ORIGINE DU MYTHE
Héritier d’obscures superstitions ancestrales, entre autres grecques (les stryges) et mésopotamiennes (Lilith), le mythe du vampire s’enracine en Europe centrale, dans les ténèbres sanguinaires du Moyen-Âge. La rumeur commence par se répandre dans les charniers de pays déchirés par les guerres et les épidémies : on dit du « vampyri », pour reprendre le vocable slave utilisé à l’époque, qu’il affectionne les cimetières où il déterre les cadavres, et tourmente les humains pour se nourrir de leur sang. Les récits d’un non-mort incarné, aux attributs terrifiants, s’étayent au XVIIIe siècle au travers d’écrits scientifiques, avant de se cristalliser au XIXe siècle dans la littérature gothique anglaise : la légende du vampire trouve alors un point d’orgue avec l’ouvrage de l’Irlandais Bram Stoker, Dracula (1897). Dans son livre, l’auteur, curieux d’occultisme et d’hypnose, invente un personnage complexe, redouté mais fascinant, aux attributs fantastiques : ainsi est-il capable de se transformer en animal (chauve-souris, loup) et d’émettre de la lumière avec les yeux. Insaisissable, Dracula est un Anté-Christ immortel, apeuré par les signes religieux, dont l’extermination ne peut passer que par les brûlures du soleil ou par le pieu qui lui percera le cœur. Autour de lui, Stoker crée également les personnages iconiques de Van Helsing, émérite chasseur de vampires, et de la belle Mina Harker, que le comte tente de posséder.
L’OMBRE SUR L’ÉCRAN
Le cinéma, né à l’aube du XXe siècle, n’a pas tardé à s’intéresser avec engouement à ce récit initiatique, par ailleurs critique détournée de la société victorienne. L’expressionniste Nosferatu de Murnau, sorti en 1922 (adaptation à peine voilée du roman de Stoker) pose les bases d’une métaphysique qui donne à réfléchir le cinéma lui-même comme art vampirique : art de l’illusion et de l’embaumement ; art des corps qui ne vieillissent pas et des caméras qui ne se reflètent pas dans les miroirs. Du coup, à l’approche diégétique du vampire, la mise en scène se retrouve altérée, comme si le cinéma, mordu dans sa chair, subissait des métamorphoses pathologiques, impactant directement sa forme. Ainsi dans Martin de Romero et …Et mourir de plaisir de Vadim, tournés en couleurs, le noir et blanc surgit au moment de la morsure. Dans Nadja, tourné en 35 mm, le réalisateur Almereyda a utilisé pour les séquences de vampirisation une caméra amateur, dont la mauvaise définition crée une sensation de trouble spatial, voire de pixellisation. Dans tous ces cas, l’expérience vampirique crée une distorsion profonde de la mise en scène : la première victime du vampire est le cinéma lui-même.
Depuis ses origines, le cinéma est donc indissociablement lié aux vampires. Pas étonnant donc que les plus grands cinéastes aient ressenti la nécessité de mettre en scène leurs vampires. Avec eux, ils expriment quelque chose de leur pratique artistique, dans un vertigineux jeu de miroir : Dreyer, Browning, Polanski, Herzog, Coppola, Carpenter, Burton, Bigelow, Jarmusch n’échappent pas à cette tentation de regarder la mort en face, avec parfois une dose d’humour irrévérencieuse (films d’horreur et parodie ne sont pas incompatibles). Il en est de même pour les grands acteurs et actrices (car il existe aussi des femmes vampires, popularisées par l’ouvrage de Sheridan Le Fanu paru en 1872, Carmilla). Parmi les plus emblématiques : Béla Lugosi dans les années 30 (qu’Andy Warhol magnifia avec sa sérigraphie The Kiss, puissante interrogation sur la part de vampirisation à l’œuvre dans le culte des idoles hollywoodiennes) ; Christopher Lee, Isabelle Adjani, Catherine Deneuve, David Bowie, Grace Jones au pic de la libération sexuelle des années 70/80 ; plus récemment, et contemporain du sida que le vampirisme souvent métaphorise, Tom Cruise, Tilda Swinton, Johnny Depp. Ou encore, les jeunes Robert Pattinson et Kristen Stewart dans le très adulé Twilight, qui à l’orée des années 2000 renouvelle considérablement le genre des films de vampires, la coolitude et la tendresse en plus. Et si, dans le fond, tout le monde voulait être un vampire ?
DÉVORATION ET TRANSGRESSION
Le sex appeal irrésistible de ces êtres fantastiques ne se limite jamais à l’autosatisfaction. Incapables de se suffire à eux-mêmes, ils sont dans une quête sans fin de l’Autre, qui les révélera à ce qu’ils sont. Dracula n’est jamais du côté du narcissisme, mais du côté de la libido (de la pénétration, de la dévoration), dont il est l’incarnation absolue. Le vampire est à nu, d’où peut-être le nombre incalculable de films érotiques qui lui sont associés, avec cette nudité particulière qui demeure profondément inquiétante : qu’il s’agisse de films tournés en Europe et aux États-Unis mais aussi au Mexique, au Nigeria, à Taïwan et au Japon. Avec pour point commun une part de transgression (sexuelle donc, mais aussi souvent politique) dont le vampire est le signifiant.
AU CINÉMA ET AU-DELÀ
L’exposition thématique montre, en plus des occurrences cinématographiques du vampire, ses apparitions dans d’autres champs artistiques. Des œuvres maîtresses jalonnent le parcours, choisies dans un souci de mise en rapport directe avec le cinéma : les châteaux hantés du symboliste Redon, les visions cauchemardesques de Kubin, les femmes vampires de Leonor Fini, l’homo-érotisme de Bouguereau, les collages surréalistes d’Ernst, les dénonciations sombres et engagées de Goya et de Niki de Saint Phalle, les fêtes foraines de Fusco et de Mike Kelley, jusqu’aux boîtes-vampires aspirant le reflet de Charles Matton. Sans oublier deux œuvres contemporaines au fort pouvoir de déstabilisation, créées spécialement pour l’exposition : Self-Portrait As a Vampire de Claire Tabouret et Fuck the Facts de Wes Lang. In fine, cette exposition pluridisciplinaire posera la question du statut du vampire en ce début de XXIe siècle, au cinéma, ainsi que dans ses très nombreux avatars télévisuels (Buffy, True Blood, The Strain). Qu’a-t-on encore envie de raconter aujourd’hui avec ces vampires ? Pourquoi l’obsession ne s’est-elle jamais tarie ? Ni mort, ni vivant mais fondamentalement marginal, le vampire se demande qui il est. Et conduit subtilement réalisateurs et spectateurs à se poser exactement la même question. Le vampire est devenu l’image même de celui qui cherche sa place dans le monde, incarnant même, dans la pureté de ses interrogations, une forme d’utopie.
Le cinéma s’écrit avec la lumière mais il se projette dans l’obscurité, qui reste pour toujours le royaume intemporel des vampires.
Matthieu Orléan, commissaire de l’exposition Vampires
[Source : communiqué de presse]
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