Tuez Charley Varrick – film policier de Don Siegel
Dès la séquence d’ouverture de Charley Varrick, sans doute l’un des ses opus les plus méconnus, Siegel livre une formidable leçon de mise en scène : après un hold-up qui tourne au drame, les deux seuls malfrats qui en sortent indemnes foncent à travers le désert, puis font exploser leur véhicule, avant de se changer en tenues de travail et de regagner leur caravane pour se partager le butin.
En quelques minutes à peine, le cinéaste campe les enjeux du récit, sans qu’un seul plan soit inutile, et donne le ton du film. Certes, il s’agit d’un thriller d’action, mais teinté d’ironie et marqué par la revanche du « petit » sur le « gros ». Car le protagoniste est un homme de l’ombre, simple pulvérisateur d’insecticides vivant dans un mobile-home, qui se contente de modestes larcins. Jusqu’au jour où il tombe sur une somme d’argent dépassant toutes ses espérances – sauf qu’elle appartient à la mafia… Tout en brouillant sans cesse les pistes et en nous donnant le sentiment que le crime organisé garde une longueur d’avance sur Varrick, Siegel organise l’espace comme un vaste terrain de jeu, où le manipulateur n’est pas forcément celui qu’on croit. Prostituées, revendeur d’armes, faussaire, ou simple banquier provincial – les personnages sont des pions que Varrick et son ennemi sans visage déplacent sur un échiquier grandeur nature avec maestria.
Déjouant encore les attentes et les codes du genre, le réalisateur ne situe pas l’action dans les ruelles sombres d’une métropole suffocante, mais dans les étendues désertiques inondées de soleil du sud-ouest américain. Si la plupart des intérieurs sont nimbés de lumière naturelle – à l’image de la banque ou de l’armurerie –, les deux scènes d’action qui ouvrent et concluent le film se déroulent en extérieurs, en plein jour. Loin de jouer avec les ombres portées d’inspiration expressionniste, Siegel opte pour un découpage ultra-rythmé et organise un affrontement par machines interposées : la voiture contre le biplan. Dans cet univers aux allures de polar rural, des personnages d’enfants ponctuent le film, comme des figures de l’innocence vouée à être bientôt dévoyée : une fillette qui demande au caïd de la mafia de la pousser sur une balançoire ou un petit garçon qui demande au shérif, blessé à la tête, s’il va mourir… Mais le film doit beaucoup à la bonhomie et au tempérament flegmatique de Walter Matthau dans un rôle où on ne l’attendait pas. Lui qu’on a connu face à Jack Lemmon dans des joyaux de la comédie signés Billy Wilder incarne ici un type qui ne perd jamais son sang-froid, y compris dans les situations les plus inextricables. Sorte de contrepoint placide et drolatique au minéral Eastwood de L’inspecteur Harry, Matthau livre l’une de ses plus belles prestations et dévoile une facette peu connue de son talent.
Tuez Charley Varrick (1973)
De Don Siegel
Avec Walter Matthau, Joe Don Baker et Felicia Farr
Durée : 111 min.
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