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Théo Lopez et Ladislas Kijno : une rencontre artistique à ne pas manquer à la Galerie Vincent Tiercin

Vincent Tiercin, dans sa galerie du XIIIe arrondissement parisien, met en regard des œuvres de Théo Lopez (1989), fer de lance du Graffuturisme d’aujourd’hui, et de Ladislas Kijno (1921-2012), maître de l’abstraction lyrique des années 1950/60.

Théo Lopez rappelle qu’il s’est familiarisé avec la peinture de Ladislas Kijno suite à l’importante rétrospective, La grande utopie de Kijno, qui s’est tenue en 2017 au Manège Royal de Saint-Germain-en-Laye. Dans cette exposition, associé au Collectif du 9e Concept, il s’était déjà inspiré de celui qu’on nomme “le père spirituel du street art en France” en prenant pour référence sa fameuse série de toiles Balises pour Angela Davies de 1971, conservées au Musée du Touquet.

La première ressemblance entre Théo Lopez et Ladislas Kijno est leur amour commun du voyage, leur curiosité débordante qui les conduit aux quatre coins de la planète. Comme Kijno qui avait fait “trois fois le tour du monde” et s’était inspiré aussi bien des jardins zen du Japon, des grands bouddhas de Chine, des figures hiératiques de l’Île de Pâques pour aller jusqu’au fin fond du Pacifique sur les pas de Paul Gauguin, Théo Lopez est un grand voyageur qui a produit des œuvres in-situ aussi bien en Russie, en Israël, qu’aux États-Unis. Il a d’ailleurs choisi récemment d’installer son atelier en Espagne, à Barcelone, la ville d’Antonio Gaudi et de Juan Miró. Cette soif de l’ailleurs qui nourrit les deux artistes leur permet de renouveler leur inspiration et de se confronter aux autres, tout en développant leur style propre. Tous deux ont aussi un amour insatiable de la musique qu’on retrouve dans la rythmique endiablée de leurs œuvres.

Quant à leur technique, elle procède de similitudes évidentes. Il faut, bien sûr, garder en mémoire que Kijno fut l’un des premiers à peindre avec le spray de la bombe aérosol. Son ami Robert Combas aime à dire : “Kijno est le premier tagueur !” et il sait de qui il parle, lui qui, avec Kijno, a réalisé en 2005 un exceptionnel Chemin de Croix à quatre mains. Il rappelle cette anecdote : un soir où Kijno déjà âgé avait croisé une bande de jeunes en train d’asperger un mur avec des bombe de peinture, il s’était emparé des aérosols et avait dessiné avec eux une grande fresque à même la rue. Dès les années 1960, il utilise un pulvérisateur aussi bien pour créer des halos lumineux qui simulent la troisième dimension et donne un aspect sculptural à sa peinture, que pour inscrire des mots, des messages, des slogans sur la peau de la toile. Cette prise en main novatrice et révolutionnaire de la bombe fait évoluer son geste qui passe du signe abstrait au graffiti puis à la lettre.

Ladislas Kijno et Théo Lopez

Pour en revenir à leur démarche parallèle, Kijno répétait qu’il ne “vivait que dans une dynamique de spéléologie mentale, dans un labyrinthe obscur” et, de même, si Théo
Lopez vient du street art et du graffiti, sa ligne précise se dégage vite de la typographie pour mettre en avant des influences tribales et spirituelles. Kijno s’était aperçu très tôt que l’on ne reste jamais dans la simple représentation de l’objet. Quand, dans les années 1950, installé à Antibes, il se met à peindre des figuiers, il voit alors apparaître sous ses pinceaux, des galets, puis les contours du moteur d’une automobile ! C’est cette même mutation qui a lieu dans les Balises pour Angela Davies. Au début l’artiste travaille à la représentation d’un gouvernail de bateau et peu à peu la forme s’impose à lui et il y découvre le profil de la militante des Black Panthers si reconnaissable à sa coupe Afro.

Il y a chez lui, constamment, des transformations, des mutations, des hybridations permanentes de l’objet pour donner naissance à des archétypes autour d’une forme ovoïde, “la boule initiatique”. Les figuiers, les galets, les bouddhas, les formes symboliques de l’univers du peintre semblent des sortes de fœtus en perpétuelle métamorphose chamanique. Sensible à la parole de Siddhârta, il se souvient comme premier principe que : “Toute vie est changement.”

De son côté, Théo Lopez, inspiré formellement par la rigueur des Constructivistes russes et stylistiquement par la spiritualité des artistes du Cavalier Bleu, compose, dessine, coupe, brise, recouvre, additionne et dissimule les formes, en jouant sur la réflexion autant que sur la spontanéité. Dans l’éblouissement de l’espace, il vaporise la couleur au moyen de la bombe, en oriente la trace, la module par le déplacement de caches. Il laisse surgir l’effleurement d’un geste, le frémissement plus que la trace, la silhouette d’un passage comme un rayogramme de Man Ray virant brusquement dans l’éclat de la couleur.

Théo Lopez

La complexité de son langage artistique, soutenu par un large spectre de couleurs, joue sur différentes variations de parallèles et de courbes, de l’ombre et de la lumière. Des bandes régulières, des triangles aigus, une géométrie complexe, déclinent les couleurs du prisme, rythment et dynamisent la surface du tableau. Ses lignes incurvées ou tranchantes, ses teintes vives, sa décomposition de la lumière blanche en arc-en-ciel fuyant, jouent souvent sur des effets de miroir. La contemplation de l’œuvre absorbe le spectateur dans des spirales kaléidoscopiques qui imposent un univers onirique et mystique invitant à la méditation. Dans la relecture que Théo Lopez propose, il semble avoir été particulièrement sensible aux paroles de Kijno quand en peintre-philosophe il écrivait : “J’ai compris que ce qui était important, ce n’est pas les objets en soi mais leur mise en rapport et le vide qu’il y avait entre eux. C’est le rapport que les choses établissent entre-elles avec ce vide du risque, ce vide effroyable, qui existe aussi entre nous et qui est dans le fond la source de toute communication.”

Ainsi Théo Lopez ne rend pas un banal hommage à Ladislas Kijno. S’il s’inspire pour sa production de compositions importantes du maitre : visions du port d’Antibes, séries des Galets éclatés, Écritures blanches, signes virevoltants de Guerre et Jazz…, il se nourrit surtout de l’énergie éblouissante qui se dégage des toiles de Kijno pour en proposer une nouvelle vision qui lui est tout à fait personnelle. Là où Kijno donne à voir des balises, des formes rondes et compactes, sensuelles, noires comme de l’ébène, Théo Lopez propose, lui, les projections de lumière de phares maritimes, des balayages explosifs et dilatés, des transparences subtiles comme des pierres précieuses. Nous ne sommes pas du côté du pastiche ou de la simple copie mais dans une recréation inventive, un souffle continu, une respiration innovante.

Cette exposition originale met en scène une véritable alchimie où Théo Lopez crève de façon métaphorique la fameuse boule noire de Ladislas Kijno, la transforme en purs rayons de lumières scintillantes, la métamorphose. Kijno avait décidé d’éclater les galets par la couleur pour atteindre au noyau en brossant sur le fond incandescent de ses tableaux cette infime partie de la terre en apesanteur. Théo Lopez, en retravaillant sur ce fragment de caillou laissé par Kijno, réveille, à son tour le passé d’étoile d’une simple pierre. Un morceau de charbon est diamant pour l’un comme pour l’autre !

Cette exposition, sorte de confrontation toute socratique entre maître et élève, entre deux créateurs, aurait certainement plu au philosophe, élève de Jean Grenier, qu’était Ladislas Kijno. Les deux artistes, par leur utilisation savante de la pulvérisation de la bombe de peinture, libèrent de la chaleur humaine à l’état pur, raniment des flammes artistiques pour attiser ensemble, comme dans un poème de Paul Éluard : “un feu pour être son ami, un feu pour vivre mieux…”

Ladislas Kijno

Renaud Faroux est historien d’art, journaliste, commissaire d’exposition, spécialiste de l’abstraction des années 1950 et du Pop Art. Il enseigne l’histoire de l’art au Département Prospective de l’UCL et à l’Université de Lille.

Vernissage le mercredi 15 juin 2022 à partir de 18h en présence de Théo Lopez et Renaux Faroux (critique d’art)

[Source : communiqué de presse]

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