Un pedigree – Edouard Baer
La voix est tendue, d’une gravité insoupçonnée, neutre pourtant, à force d’être retenue. “Je suis né le 30 juillet 1945, à Boulogne-Billancourt, 11 allée Marguerite, d’un juif et d’une Flamande qui s’étaient connus à Paris sous l’Occupation (…)“. Lentement, “Un pedigree”, le texte fondateur de Patrick Modiano, déroule sa douleur sèche. Edouard Baer en fait bien mieux qu’une lecture : il l’accompagne et l’apprivoise avec une finesse rare. A la fois sensible et distant, retrouvant dans cet élan contradictoire l’humeur tout à fait singulière de l’écrivain. Celle qui, ici plus encore que dans ses romans, lui a permis d’évoquer, comme au travers d’une vitre embuée, son enfance et son adolescence sur le qui-vive, égaré qu’il était entre un père et une mère interlopes, cruellement lointains, indifférents.
“Pour en finir avec une vie qui n’était pas la mienne“, explique l’auteur sobrement, posément, tout au long de ce constat en forme de documentaire. Saisissant. “Je suis un chien qui fait semblant d’avoir un pedigree“, égrène, dans son sillage, le comédien qui abandonne tout effet. Bouleversant. Sans doute, au départ, nombre de spectateurs se sont déplacés au théâtre de l’Atelier, à Paris, pour découvrir “en live” son dandysme si délicieusement joueur, d’ordinaire. D’emblée, pourtant, le ludion Baer a l’intelligence de s’effacer derrière la précision des mots de Modiano. Qu’il ne se contente pas de dire : acteur exigeant, habité, il les vit, un peu à la façon d’un tendre médium, d’un très délicat relais. Dès lors, que l’on soit fan ou pas, l’on est irrémédiablement happé. Et touché.
Nul hasard, de fait, s’il s’en revient pour 15 représentations exceptionnelles, en ce mois de juin 2010, après avoir créé l’événement au printemps 2008, déjà à l’Atelier : “Un pedigree” est un texte qui se nourrit de nombre de flux, de non-dits, de marées et qui, donc, jamais ne s’épuise tout à fait. D’autant mieux qu’Edouard Baer et Anne Berest ont choisi, simplement, une scène aux allures de hangar désaffecté pour l’accueillir. Chambre d’écho idéale de dénuement, de tristesse intermédiaire, elle laisse doucement remonter les zones d’ombres affolantes, au fond, de ce monologue impeccable. A tout point de vue.
Ariane Allard
Un Pedigree
Jusqu’au 26 juin 2010
A 20h, samedi 5, mercredi 9, jeudi 10, vendredi 11, samedi 12, mercredi 16, jeudi 17, vendredi 18, samedi 19, mercredi 23, jeudi 24, vendredi 25, samedi 26.
Réservations au 01.46.06.49.24. ou sur le site du théâtre.
Théâtre de l’Atelier
1, place Charles Dullin
75018 Paris
Métro Anvers
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