Nini, une femme libérée dans une France occupée
L’histoire de Nini s’inscrit dans celle de la seconde Guerre mondiale. A sa manière. En 1937, elle débarque de sa Normandie natale et découvre Paris. Les noms des rues qui invitent au rêve, les quartiers qui, à peine prononcés, se parent de toutes les promesses. Certes, Paris sera toujours Paris mais en 1943, la ville de lumière est juste occupée. Nini y a ses occupations. Avec les occupants. Elle les fait rêver. Ils ne sont pas légionnaires sentant le sable chaud, simplement des « fridolins », des « boches ». Bref, des hommes souvent jeunes, beaux et bien élevés, des « restes d’enfants dans des corps d’officiers » qui une fois jeté leur uniforme orné de l’ignoble svastika sont capables d’amour. Et l’amour, Nini l’a dans la peau. Prostituées de mère en fille dans sa famille, elle a décidé de rompre la tradition pour vivre comme une femme amoureuse. Comme elle le dit « Pour l’amour, il faudra me payer avec le cœur »…
La performance que livre Sandra Gabriel dans le rôle titre est entière, multiple, puissante. Et parcourt un delta émotionnel qui relève du grand écart. Le sujet est casse-gueule. Pas simple de faire rire avec une tragédie personnelle s’inscrivant dans une infamie collective, une honte nationale. Une gouaille « arletienne » que rehausse un sourire canaille quasi permanent dédramatise le propos bourré de bons mots et calembours, un clin d’œil à Eluard, un hommage à Piaf et Guitry, le tout enrobé de chansons qu’on pourrait supposer extraites du répertoire de l’époque. L’étonnement de n’en reconnaître aucune (et pour cause : elles sont toutes originales à l’exception d’un titre, « Aimer » immortalisé par la Garance des « Enfants du Paradis ») confère à l’ensemble du spectacle son caractère inédit, rare.
Car la rareté est bien la clé de voute de ce formidable moment de théâtre, de cabaret, de music hall. Aussi rare que l’hommage rendu par l’Histoire, la grande, celle qu’on affuble d’une majuscule, cette grande amnésique, à tous ces suppliciés, ces humiliés, ces offensés. A l’instar du film Liberté de Gatlif avec les tsiganes ou Bent de Martin Sherman pour les homosexuels, Nini honore et réhabilite la mémoire de ses femmes tondues à la Libération. Ces coupables d’innocence. Coupables d’avoir eu l’idée aussi saugrenue que traitresse de fricoter avec l’ennemi, pire encore d’en tomber amoureuse.
Un dispositif vidéo projette des images fictionnelles à la Renoir ou Carné, en noir et blanc, contrepoint de toutes les couleurs qui ensoleillent le spectacle. Ces images alternent avec des archives où la vindicte populaire laisse éclater sa haineuse, son animale incompréhension. Elles étayent un final bouleversant. On regrette presque d’avoir tant ri quelques minutes plus tôt lorsque Nini, qui s’arrange comme elle peut avec sa piété, nous lançait « Je préfère aller jacter avec le fils du patron plutôt que de passer par le chef d’atelier ». Messagère de Dieu à sa manière, l’ange Gabriel, Sandra Gabriel, alias Nini, a la blondeur de l’ange bleu. Bénie soit elle.
Franck Bortelle
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Nini, une Femme Libérée dans une France Occupée
Texte et mise en scène de Gil Galliot
Avec Sandra Gabriel
Musiques : Pascal Lafa // Chorégraphies : Philippe Bonhommeau
Décors : L’Usine à 5 pattes // Costumes : Candice Arnouil
Durée : 1h20
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